IntroductionDepuis la publication de l'ouvrage «To Err is Human : Building a Safer Health System» par l'Institute of Medecine en 2000,1 une attention particulière a été portée au sujet des erreurs de médication en milieu hospitalier, alors que la problématique est connue depuis de nombreuses années.2 Cet ouvrage a reçu un large écho à la fois auprès du public et du corps médical. Le nombre de décès imputables à ce type d'erreur atteindrait de 44 000 à 98 000 patients par année aux Etats-Unis, pour un coût de 37 à 50 milliards de dollars, correspondant à 4% des dépenses de santé. En rapportant ces données à la Suisse, l'OFAS a estimé qu'il y aurait ainsi de 2 à 3000 décès par année dans les services hospitaliers traitant des affections aiguës,3 pour un coût que l'on peut estimer à 1,6 milliard de francs. Bien que les chiffres cités dans «To Err is Human» aient donné lieu à des controverses dans la littérature médicale,4,5 la fréquence élevée des erreurs de médication doit avant tout être considérée comme un appel à une amélioration de l'usage des médicaments. En effet, une partie importante des effets indésirables médicamenteux est due à des erreurs de prescription qui peuvent être prévenues.6,7 On estime ainsi qu'en Angleterre, 11% des patients hospitalisés sont victimes d'un effet indésirable médicamenteux,7 chiffre analogue à celui observé en Suisse.8Parmi les solutions proposées par les différentes organisations professionnelles qui permettent une réduction des erreurs de médication, citons la mise en place de nouvelles procédures de distribution et d'administration de médicaments,2 l'utilisation de logiciels de prescription informatisée,9,10,11 l'intensification des activités de pharmacie clinique,12,13 ainsi que la formation du personnel médical et soignant (tableau 1).Certaines autorités considèrent le problème suffisamment important pour qu'il fasse l'objet d'une législation particulière. Ainsi, à partir du 1er janvier 2002, l'Etat de Californie obligera les hôpitaux à présenter un plan de réduction des erreurs de médication, incluant par exemple une prescription informatisée.14Qu'est-ce qu'une erreur de médication ?Quelquefois appelées «erreurs thérapeutiques», «incidents thérapeutiques», ou encore «aléas thérapeutiques»,2 la notion d'erreur médicamenteuse répond très souvent à une définition propre à chaque publication. Ceci explique la grande variabilité du taux d'erreur relevée dans la littérature.L'Institute of Medicine1 définit une erreur comme étant l'échec de la réalisation d'une action telle qu'elle a été planifiée, ainsi que l'utilisation d'un mauvais plan d'action pour atteindre un objectif. Selon cette définition, il y aurait donc des erreurs de planification (par exemple, administration de 3 x 2,2 g d'Augmentin® à un patient dont la clairance de la créatinine est de 20 ml/min) et des erreurs d'exécution (par exemple, un patient reçoit une dose d'Augmentin® destinée à son voisin de chambre). Selon Wu,15 une erreur est une omission qui a potentiellement des conséquences négatives pour le patient lorsque cette action est jugée par des pairs expérimentés, et ceci indépendamment des conséquences effectivement observées chez le patient.Un risque bien réelEn se basant sur un collectif de 4031 entrées hospitalières, Bates6 a déterminé que 6,1% des patients subissaient une erreur de médication. L'origine de ces erreurs concernait dans 56% des cas l'ordre médical. Dans cette étude, environ un tiers des erreurs auraient pu être prévenues. Les différents facteurs associés à une prescription inadéquate ont été étudiés par Lesar,16 et sont résumés sur le tableau 2. Le groupe de facteurs le plus important relevé dans cette étude concernait l'absence de connaissances au sujet du médicament (30% des erreurs). Le second groupe de facteurs le plus important était celui des paramètres liés au patient nécessaires à une individualisation de la thérapie (18% des erreurs). Cette étude confirme des résultats antérieurs,17 où la survenue des effets indésirables médicamenteux (et non pas les erreurs de médication) a été évaluée. Dans 30% des cas, un mauvais partage des connaissances au sujet du médicament était à l'origine de la survenue des effets indésirables. Ces travaux soulignent donc l'importance cruciale de mettre à disposition du prescripteur une information pertinente au sujet des médicaments.En analysant les différentes étapes précédant l'absorption du médicament par le patient, on s'aperçoit que les possibilités d'erreurs sont nombreuses (tableau 3). Dans un hôpital de soins aigus non universitaire, le nombre de doses de médicaments absorbés par patient lors d'un séjour hospitalier est de l'ordre de 100 doses/séjour. Ce chiffre inclut aussi bien les perfusions que les médications orales, rectales et parentérales. Si chacune des étapes menant à l'absorption du médicament (tableau 3) est réalisée avec une fiabilité de 99,5%, le nombre de doses incorrectement administrées à un patient est théoriquement de 2,5 par séjour. Ce chiffre illustre l'importance de l'acte de prescription et souligne que seuls les médicaments indispensables doivent être prescrits.Comment réduire les erreurs de médication ?Différentes approches ont été suggérées pour réduire les erreurs de médication.1 Ces recommandations peuvent être classées en modifications organisationnelles et en celles découlant de l'introduction d'un outil informatique (tableau 1). D'un point de vue général, il est nécessaire de faire partager au personnel médical et soignant les erreurs de médication détectées. Il est indispensable de considérer chaque erreur comme une source d'apprentissage permettant d'améliorer le circuit hospitalier du médicament.18 La pharmacopée américaine (USP) a mis sur pied un système de notification anonyme des erreurs, et la première analyse de ces données, couvrant les 6224 déclarations enregistrées en 1999, a été récemment publiée.19 Les produits les plus fréquemment impliqués dans les cas jugés comme étant suffisamment graves pour léser le patient sont mentionnés au tableau 4. Il est à noter que la warfarine, un anticoagulant oral apparenté à l'acénocoumarol (Sintrom®) a été le médicament dont le nombre de déclarations auprès de l'USP a été le plus élevé, mais seuls deux cas parmi les 155 rapportés ont réellement lésé le patient.Afin d'obtenir quelques données locales concernant des hôpitaux de taille moyenne, nous avons introduit, il y a une année, un formulaire de rapport d'erreur (modifié et adapté de NCC MERP),20 qui a permis de mettre en évidence quelques pistes. Ces formulaires sont envoyés, éventuellement anonymement, à la pharmacie pour analyse. Bien que les rapports volontaires d'erreurs de médication ne représentent que 5% du nombre total d'erreurs effectivement présentes dans un hôpital,19 il est intéressant de constater que parmi tous les formulaires reçus depuis douze mois, aucun n'émanait du corps médical. De même, aucun rapport ne concernait la prescription du médicament, alors que, comme mentionné plus haut, les erreurs de prescription représentent plus de la moitié du total des erreurs. Il est vraisemblable que la plupart des erreurs de prescription (médicament non indiqué, médicament sur- ou sous-dosé) passent inaperçues, et que le personnel soignant ne peut relever ce type d'erreur. D'ailleurs, comme l'avait souligné Barker21 en 1982, «puisque la plupart des patients retournent chez eux, la majorité des erreurs de médication n'a probablement pas de conséquences critiques». Ce raccourci ne tient naturellement pas compte d'un éventuel allongement de la durée du séjour hospitalier, et des conséquences humaines des erreurs de médication.Analyse des rapports d'erreurs rapportésGravitéParmi les erreurs relevées, seuls des événements de gravité légère (catégories A-E, voir formulaire) ont été relevés.Type d'erreurI Erreur dans la préparation des médicaments.I Erreurs d'administration (majorité des erreurs relevées) : Médicament administré à un patient à qui il n'était pas destiné. Ordres médicaux non relevés. Mauvais médicament administré. Administration de médicament non prescrit. Administration d'un médicament dont le dosage est inexistant. Vitesse d'administration inadéquate.Les causes d'erreurs suivantes ont été relevées I Mauvaise lisibilité des ordres médicaux.I Erreur de retranscription.I Oubli de retranscription.I Erreur d'étiquetage du médicament par la pharmacie.I Confusion d'unités (gouttes et mg).I Confusion de noms de médicaments.ConclusionsDans le cadre des erreurs de médication, il est important de reconnaître les limites des capacités humaines, de ne pas considérer les erreurs comme des fautes, et de promouvoir un environnement d'apprentissage. Les déclarations volontaires des erreurs de médication, même si elles n'aboutissent pas à des conséquences cliniques pour les patients permettent de mettre sur pied un circuit hospitalier du médicament plus sûr. Elles doivent être encouragées, car tant que les erreurs ne seront pas relevées et suivies au quotidien, elles seront condamnées à être répétées.Bibliographie :1 Kohn LT, et al. To Err is Human : Building a Safer Health System. Washington : National Academy Press, 2000.2 Schmitt E. Le risque médicamenteux nosocomial : circuit hospitalier du médicament et qualité des soins. Paris : Masson, 2000.3 Communiqué de presse du 22 septembre (http://bsv.admin.ch/aktuell/presse/2000/f/00092201.htm).4 Leape LL, et al. Institute of Medicine medical error figures are not exaggerated. JAMA 2000 ; 284 : 95-7.5 McDonald CJ, et al. Deaths due to medical errors are exaggerated in Institute of Medicine report. JAMA 2000 ; 284 : 93-5.6 Bates DW, et al. Incidence of adverse drug events and potential adverse drug events : Implication for prevention. JAMA 1995 ; 274 : 29-34.7 Vincent C, et al. Adverse events in British hospitals : Preliminary retrospective record review. BMJ 2001 ; 322 : 517-9.8 Fattinger K, et al. Epidemiology of drug exposure and adverse drug reactions in two Swiss departments of internal medicine. Br J Clin Pharmacol 2000 ; 49 : 158-67.9 Bates DW, et al. Effect of computerized physician order entry and a team intervention on prevention of serious medication errors. JAMA 1998 ; 280 : 1311-6.10 Nightingale PG, et al. Implementation of rules based computerised bedside prescribing and administration : Intervention study. BMJ 2000 ; 320 : 750-3.11 Schiff GD, Rucker TD. Computerized prescribing : Building the electronic infrastructure for better medication usage. JAMA 1998 ; 279 : 1024-9.12 Leape LL, et al. Pharmacist participation on physician rounds and adverse drug events in the intensive care unit. JAMA 1999 ; 282 : 267-70.13 Bootman JL. To err is human. Arch Intern Med 2000 ; 160 : 3189.14 Anonyme. Am J Health Syst Pharm 2000 ; 57 : 2046-7.15 Wu AW, et al. To tell the truth : Ethical and practical issues in disclosing medical mistakes to patients. J Gen Intern Med 1997 ; 12 : 770-5.16 Lesar TS, et al. Factors related to errors in medication prescribing. JAMA 1997 ; 277 : 312-7.17 Leape LL, et al. Systems analysis of adverse drug events. ADE Prevention Study Group. JAMA 1995 ; 274 : 35-43.18 Stump LS. Re-engineering the medication error-reporting process : Removing the blame and improving the system. Am J Health Syst Pharm 2000 ; 57 (Suppl. 4) : S10-7.19 Thomson CA. USP issues first report from medication-errors database. Am J Health Syst Pharm 2001 ; 58 : 106-7.20 NCC MERP. Taxonomy of medication errors. National Coordinating council for Medication error Reporting and Prevention, 1998.21 Barker KN, et al. Medication errors in nursing homes and small hospitals. Am J Hosp Pharm 1982 ; 39 : 987-91.