L'empowerment ou la prise en charge individuelle de la gestion du «capital santé» est un des défis du développement durable individuel et global. Les nouvelles technologies de l'information et de communication (NTIC) sont des instruments qui pourraient améliorer l'autonomie des individus face à la gestion de leur santé, mais à condition que des réglementations pertinentes veillent à la qualité de l'information médicale mise à la disposition du public. En outre, cette information doit être facilement compréhensible, dépourvue de biais commerciaux, idéologiques et opérationnels. Le développement du sens critique des utilisateurs face aux NTIC est indispensable pour une approche judicieuse de la gestion individuelle de la santé.
La notion d'empowerment est un corollaire du concept du développement durable.
Le concept du «développement durable» (sustainable development) a été porté à la connaissance du public par la Conférence des Nations- unies pour l'environnement et le développement (CNUED), tenue à Rio de Janeiro en 1992.1 Ce concept propose une pondération de l'économie par les composantes sociales et environnementales. Il préconise également la création d'un nouveau partenariat entre les citoyens et les dirigeants et encourage les activités qui visent le renforcement de la capacité des individus et des groupes sociaux à exercer leurs droits et la prise de décisions qui les concerne (empowerment).
La notion d'empowerment ne prend pas la même signification au niveau global (niveau «macro»), national (niveau intermédiaire ou «méso»), local (niveau «micro») ou individuel. Au niveau «macro» et «meso», l'empowerment définit la capacité de résister et de revendiquer des individus et du groupe contre les puissances économiques, politiques ou les autorités internationales ou nationales.2 Au niveau «micro», l'empowerment propose de renforcer les rapports de force entre les communautés et les autorités locales, de favoriser la démocratisation, la bonne gestion des affaires publiques, la décentralisation ainsi que l'acquisition d'aptitudes de la population locale à revendiquer ses droits de manière à prendre en charge son avenir.3 Finalement au niveau individuel, l'empowermentfavorise l'autonomie individuelle, englobe la notion de choix, du contrôle et d'autodétermination.
Dans les sociétés modernes, l'individu ne reçoit plus son identité de la structure sociale.4 Il doit lui-même accéder à son rang social et produire le sens de son existence. Il y parvient par une démarche réfléchie, mûrie et décidée en toute connaissance de cause.
L'autonomie (du grec autos, soi-même et nomos, la règle, la loi) individuelle est la faculté d'un être vivant à trouver lui-même ses régulations propres en fonction de contraintes extérieures. Elle dérive du libre-arbitre et trouve son expression dans le rapport entre les choix réels et les choix potentiels. C'est-à-dire qu'elle dépend de la quantité d'information et d'énergie à disposition.5 L'autonomie individuelle suppose la capacité de se fixer des limites ou de respecter les contraintes existantes, d'affronter victorieusement les pressions du monde extérieur et d'apprendre à devenir son propre lieu de contrôle (autorégulation). L'empowerment ou la prise en charge individuelle est un des moyens pouvant servir à augmenter l'autonomie individuelle.
Dans le cadre du développement durable, l'autonomie individuelle doit s'insérer dans une dynamique plus large, celle de la solidarité communautaire, basée sur une interdépendance de l'individu et de la collectivité et sur les conditions générales qui garantissent, entre autres facteurs, le droit à l'éducation et aux soins médicaux équitables pour tous.
En matière de santé, l'empowerment ou la prise en charge individuelle joue un rôle déterminant dans la promotion de la santé : il accorde une opportunité aux individus de prendre en main leur propre style de vie dans le but de mieux vivre, de réduire les facteurs autogènes (consommation d'alcool et de tabac, alimentation, exercice, port de la ceinture de sécurité, pratiques sexuelles à risque, etc.) de maladie et de mort prématurées, de réaliser un développement durable individuel6,7 et de «vieillir en santé». De plus, l'empowerment permet aux patients de s'affranchir partiellement de la prise de décisions top down des médecins en matière de traitement et d'établir des relations bilatérales patient-médecin basées sur la communication, la discussion et la négociation.8
a La promotion d'empowerment fait partie de la politique nationale de la santé. Office fédéral de la santé publique : http://www.admin.ch/bag/amt/f/leitbild.pdf
Afin de jouer un rôle efficace dans la promotion de la santé, l'empowerment nécessite :
1. une amélioration significative des connaissances individuelles et communautaires en matière de santé ;
2. un accès facilité à l'information médicale ;
3. un développement du sens critique des consommateurs par rapport aux propositions, actions et initiatives concernant la santé et le bien-être.
Dans cet article nous nous proposons d'examiner le rôle des nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC) dans l'empowermentindividuel en matière de santé, d'examiner les points positifs et les dérives possibles des NTIC et plus particulièrement de l'Internet, dans ce domaine.
Les NTIC occupent une part de plus en plus importante dans notre existence.9 La cyberculture, l'interactivité, l'éducation par Internet, l'amélioration de la communication sont des concepts attrayants qui modifient profondément et durablement la façon d'informer et de transmettre le savoir.10
Dans le domaine médical, les NTIC opèrent progressivement une révolution. Cette révolution touche le secteur hospitalier, la surveillance et le traitement des malades, la gestion des données (tests de laboratoire, imagerie médicale), améliore la communication (en «temps réel») entre les différents services et est un outil non négligeable dans la formation continue des professionnels (système d'aide au diagnostic, bases de données professionnelles).11-17 Cette révolution modifie également le comportement des individus face à l'information médicale.18
Jusqu'à présent, l'information médicale, publiée par un nombre limité de revues scientifiques dont les communications étaient validées par un comité de lecture certifiant leur qualité, n'était pas facilement mise à la disposition du public. Avec l'arrivée d'Internet, l'accès à l'information médicale (bases de données destinées au public, textes de vulgarisation, conseils on line), à la documentation «grise» (travaux de diplôme, thèses) et aux points de vue «alternatifs» ou personnels se multiplient.19-20 Il en résulte que le patient peut plus facilement obtenir l'information médicale qui lui est nécessaire, se renseigner sur la maladie et sur les traitements existants et être soutenu dans les différentes démarches relatives à son état de santé par les différents groupes d'entre-aide :20-22 mieux informé, le patient devient un partenaire dans la prise de décisions en rapport avec la gestion de son «capital santé» et avec les choix thérapeutiques les mieux adaptés non seulement à sa maladie, mais également à sa personnalité. L'empowerment du patient par rapport au médecin est à l'origine d'une transformation progressive du rapport entre le personnel soignant et le malade.23,24
La multiplication des sources d'information, même si elle peut avoir des vertus didactiques et contribuer à diffuser plus largement les connaissances de base sur la physiologie25,26 et la pathologie humaines, génère des inquiétudes liées à la pertinence des informations médicales diffusées sur la «toile»,27 à sa crédibilité et/ou au manque potentiel de respect des obligations déontologiques (par exemple en matière de confidentialité). Elle pose également la question de savoir quels moyens de protection du patient doivent être mis en uvre pour éviter que l'information erronée ou mal comprise ait un impact néfaste sur la santé des individus et par conséquence sur la santé publique.27,28
A l'heure actuelle, il existe de nombreuses tentatives de régulation visant à assurer la qualité de l'information médicale sur la toile.27,30,31 Certaines démarches proposent de limiter l'accès aux données aux personnes non autorisées, d'autres suggèrent d'introduire des «labels électroniques» de qualité. L'US Department of Health and Human Services (HHS) fixe l'amélioration de la qualité de l'information médicale sur Internet comme sa priorité pour 2010.32 Le ministère français de l'Emploi et de la Solidarité (Mission pour l'informatisation du système de santé et Direction générale de la Santé) en relation avec le Conseil national de l'Ordre des médecins met également en uvre des initiatives visant à renseigner l'internaute sur la qualité du site traitant de «e-santé» (projet «qualité e-santé» dont la charte verra le jour en 2001) avec l'objectif de définir un certain nombre de règles permettant à l'usager de se faire lui-même une opinion sur la qualité de l'information médicale. L'Association médicale américaine (American Medical Association, AMA),33,34 le HONcode,35 le e-Health Ethics Initiative36 visent à améliorer l'information médicale circulant sur la toile et à assurer la confidentialité.
Ces démarches avant-gardistes ont cependant toutes les défauts qui leurs sont propres32 et aucune ne répond pleinement aux besoins du public. La pluralité de ces démarches peut induire en erreur certaines personnes. En effet, face à la multitude des codes de conduite, certains payants, d'autres attribués arbitrairement, certains utilisateurs peuvent se sentir incapables de juger quel code de conduite est pertinent. De plus, la concurrence entre les différentes institutions «régulatrices», les redondances, le manque de cohérence dans le vocabulaire agrandissent les zones d'ombre déjà nombreuses dans le domaine de l'information médicale existant sur l'Internet.
Depuis ces dernières années, l'enseignement des NTIC s'est largement généralisé. Dispensé largement dans les écoles et dans les cours de formation continue, cet enseignement nécessite aujourd'hui d'intégrer une dimension nouvelle, celle de développer le sens critique des utilisateurs par rapport à la qualité de l'information sur le Web. En plus d'assurer la maîtrise des NITC, cet enseignement doit viser maintenant à dispenser à chaque futur utilisateur la formation qui, à terme, le mettra à même de faire une utilisation raisonnée des NTIC, d'en percevoir les possibilités et les limites.
En matière d'information médicale, il reste indispensable d'identifier le fournisseur de l'information (médecin, malade, membre de l'association), son affiliation, la date de la parution, de veiller sur les incohérences potentielles présentes dans le texte, de juger de la pertinence des liens proposés, d'avoir recours à la pluralité des sources et finalement, de ne pas hésiter à recourir aux formes traditionnelles de diffusion de l'information médicale (par exemple voir son médecin).
Plusieurs initiatives existant déjà sur le Web visent à augmenter le sens critique des utilisateurs par rapport à la qualité de l'information médicale. Parmi elles, le projet DISCERN (créé en 1997, par British Library, NHS Exectutive Anglia et l'Université d'Oxford). Son but initial était de développer un instrument pour permettre aux consommateurs et aux fournisseurs de l'information d'évaluer la qualité de l'information médicale traditionnelle (écrite). Ce questionnaire, testé et approuvé par des instances médicales a été adapté pour évaluer la qualité d'information médicale disponible sur l'Internet.37 Une autre initiative, Net Scoring38 vise à apprendre aux consommateurs (grand public ou professionnels) à se servir intelligemment et en toute sécurité de l'information médicale sur Internet. En répondant à une série de questions, l'utilisateur obtient des indications sur la crédibilité, le contenu et le design/interactivité du site analysé. Les deux initiatives décrites choisies parmi d'autres, certes, attirent l'attention du public sur un certain nombre de points précis devant être clairement mentionnés sur le site et donnent un score de fiabilité. Toutefois, ce type d'outils peut être une «béquille» supplémentaire qui déresponsabilise l'utilisateur en lui donnant une fausse impression de qualité. En effet, ces questionnaires ne permettent pas de détecter des erreurs spécifiques concernant les traitements médicaux, ou déceler des imprécisions en rapport avec les traitements médicaux.
D'autres moyens pour aiguiser le sens critique de l'utilisateur par rapport à l'information médicale, pour lui permettre d'opérer de bons choix et faire une sélection dans la masse d'informations proposées serait d'améliorer sa formation de base sur la physiologie du corps humain et l'«hygiène de vie» dès le plus jeune âge. Mieux formé, l'utilisateur pourrait détecter plus facilement des biais et des erreurs. L'amélioration de la formation de base et le développement du sens critique pour une meilleure «gestion de la santé» chez les enfants pourrait s'inscrire dans le cadre du plan d'action Agenda 2139que le canton de Genève met en uvre dans le but de mener des stratégies multisectorielles uvrant pour le développement durable.
L'Internet permet de chercher de l'information sur les divers traitements, d'obtenir un soutien psychosocial, de partager une expérience personnelle, et de trouver un entourage offrant un soutien. Il assure l'indépendance en terme de temps et de lieu et devrait garantir l'anonymat. Il pourrait jouer un rôle important dans l'empowerment des individus par rapport à la gestion de leur propre «capital santé». Cependant, à l'heure actuelle, la présence sur le Web d'informations erronées, biaisées par des intérêts personnels, idéologiques ou économiques induit en erreur et désinforme un certain nombre d'utilisateurs. La création d'un standard unique garantissant la qualité d'information médicale sur le Web et/ou la censure de l'information incorrecte étant inimaginable pour le moment, car contraire même à l'esprit d'Internet, le développement d'un sens critique chez les utilisateurs pour évaluer les sites et la qualité de l'information offerte demeure une condition sine qua non pour que les NTIC puissent jouer un rôle dans l'empowerment des individus. D'ici là, les NTIC devront se contenter d'un rôle secondaire par rapport aux moyens classiques de diffusion de l'information médicale.