Macabre et patient décompte. L'observation épidémiologique impose aujourd'hui de suivre à la trace, cas par cas, l'émergence de la forme humaine. Sous la loupe des organismes de surveillance, on prend ainsi la mesure d'un phénomène croissant dont nul faut-il le redire ne peut dire quelles proportions il prendra. Dans les premiers jours de septembre, à Paris, l'Institut national de veille sanitaire vient de faire savoir qu'un quatrième cas «probable» de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob venait d'être recensé. Il s'agit d'un homme de 35 ans, dont l'identité et le lieu de résidence n'ont pas été communiqués, la famille souhaitant préserver une totale confidentialité, a précisé le Pr Jacques Drucker, directeur général de cet Institut. «Ce nouveau patient qui a été recensé est toujours vivant. Il est à un stade «probable», le diagnostic de certitude ne pouvant être fait qu'après le décès du patient sur autopsie», a précisé M. Drucker. Les trois premiers cas certains recensés en France ont conduit à des décès en 1996, 2000 et 2001.De Glasgow, Ecosse, l'agence Reuters annonce que le nombre de cas de la forme humaine de la maladie de la vache folle a augmenté de 20% l'an dernier en Grande-Bretagne, et que les personnes vivant dans le nord du pays sont les plus menacées. «Mes collègues statisticiens et épidémiologues de différents groupes conviennent tous qu'il s'agit d'une nouvelle observation» a déclaré le Pr James Ironside, du Western General Hospital d'Edimbourg, en faisant état d'une tendance «à la hausse» observée au cours des quatre derniers trimestres. Dans le nord de l'Angleterre ainsi qu'en Ecosse, la proportion de malades est de deux par million, soit le double de ce qui est observé dans le sud du pays. Pour le Pr Ironside, les habitants de ces régions pourraient avoir été exposés davantage au prion pathologique ou les populations pourraient y être génétiquement moins résistantes.Ajoutons que les différences de comportements alimentaires, notamment une plus grande consommation dans le nord de «produits carnés» plutôt que de «viande» proprement dite, pourraient aussi expliquer ce phénomène. A l'heure où nous écrivons ces lignes, 106 cas ont été enregistrés outre-Manche et cinq de ces patients sont toujours en vie. Reprenant l'antienne de ses confrères, le Pr Ironside a estimé qu'il était impossible de prédire combien d'autres cas seraient diagnostiqués ni quand la vague de vMCJ culminerait, les estimations allant de quelques centaines à plusieurs millions. «Tout ce que nous pouvons dire c'est que désormais, certains des scénarii parmi les plus catastrophiques sont très improbables», a dit le Pr Ironside.La dernière victime britannique est une jeune mère écossaise âgée de 30 ans, dénommée Julie MacRae's, qui travaillait comme réceptionniste et habitait à Inverness dans les Highlands. Elle laisse deux enfants, Beth, 9 ans et Aaron, 5 ans. Les premiers symptômes de la maladie laissaient penser qu'elle souffrait de dépression ce qui conduisit à son hospitalisation à New Craigs, un hôpital psychiatrique d'Inverness. Son état s'aggravant, le diagnostic de vMCJ fut porté puis confirmé par un examen post mortem. Etrange retournement des situations qui voit l'autopsie médico-légale retrouver, avec la vache folle, ses titres de noblesse. «L'autopsie constitue un maillon important du dispositif de veille sanitaire et d'épidémiologie, c'est-à-dire de la protection de la population, souligne le Pr Jean-Jacques Hauw (laboratoire de neuropathologie Raymond Escourolle, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris) dans un opuscule que l'Académie nationale de médecine consacre à ce sujet. A titre d'exemple, en son absence, la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob n'aurait pas été reconnue.»Or, l'autopsie est une pratique qui, en France du moins, est tombée en désuétude. Notre époque qui se pique de tout voir et de ne rien cacher ne veut plus savoir ce qui se passe dans l'intimité des chairs humaines lorsque la vie les a quittées. Le «principe de transparence» est érigé comme une nouvelle morale, une batterie sans cesse croissante d'appareils permet de voir le contenu des corps vivants, les embryons sur les paillasses des laboratoires de procréation assistée et les ftus dans le ventre des mères mais on s'interdit collectivement d'ouvrir le cadavre pour tenter de mieux comprendre le vivant. On décrypte et on informatise le génome humain mais on ne veut plus voir de ses propres yeux les organes et les tissus. Le triomphe du in silico sur le post mortem. Le virtuel plutôt que le vrai.«L'ouverture des cadavres serait très avantageuse aux progrès de la médecine
Mais pour trouver les causes des maladies par l'ouverture des cadavres, il ne faudrait pas se contenter d'un examen superficiel ; il faudrait fouiller les viscères, et remarquer attentivement les accidents produits dans chacun et dans toute l'économie animale ; car un corps mort diffère plus encore d'un corps vivant qu'il n'en diffère à l'extérieur. La conservation des hommes et les progrès de l'art de les guérir sont des objets si importants, que dans une société bien policée les prêtres ne devraient recevoir les cadavres que des mains de l'anatomiste, et qu'il devrait y avoir une loi qui défendit l'inhumation d'un corps avant son ouverture. Quelle foule de connaissances n'acquerrait-on pas par ce moyen ?» De grâce, réveillez-vous Denis Diderot ! Nous allons devenir fous. W