Résumé
Une histoire cliniqueLe voisin de palier d'un médecin, un homme de 80 ans, un soir à 22 heures, chute dans les escaliers. Examiné immédiatement par le voisin médecin, celui-ci constate que le patient s'est heurté la tête, avec traumatisme d'une arcade sourcilière et du nez, et qu'il présente des douleurs au poignet droit ainsi que des douleurs thoraciques latérales. Le patient est conscient.Le médecin transporte alors le patient avec son véhicule personnel jusqu'à l'hôpital régional où le patient est admis à 23 heures et reçu par un médecin assistant de garde. Ce dernier constate qu'il s'agit d'un patient en bonne santé, à l'exception d'un angor d'effort traité par nitrés transdermiques et nifédipine retard. A l'admission, le patient se plaint de douleurs multiples, du nez, du poignet droit, du thorax à droite, mais également antérieures, de nature constrictive. La pression sanguine ainsi que les fréquences cardiaques et respiratoires sont normales. Le score de Glasgow est à 12 à l'entrée, à15 deux heures plus tard. Les radiographies de la tête (face et profil), du nez, du thorax et du poignet droit révèlent une fracture de l'os propre du nez, une fracture du poignet droit non déplacée, ainsi que deux fractures de côtes non déplacées également. Un électrocardiogramme révèle un sous-décalage de1 mm en V2/V3 associé à des ondes T négatives dans les mêmes dérivations, anomalies disparaissant après l'administration de deux comprimés de Trinitrine®, tout comme disparaissent également les douleurs thoraciques antérieures. Une alcoolémie pratiquée en raison d'un ftor révèle un taux d'alcool à 1,7 gramme pour mille.Le patient bénéficie immédiatement de la mise en place d'une attelle plâtrée au poignet droit, d'une suture de l'arcade sourcilière ainsi que d'un traitement d'antalgique. Le lendemain, il est présenté au consultant ORL qui pratique une réduction de l'os propre du nez. Le patient peut alors retourner à domicile. Deux semaines plus tard, le patient écrit une lettre de remerciements et de satisfaction à son voisin médecin, ainsi qu'à l'hôpital en raison de la prise en charge rapide et efficace dont il a bénéficié.Qu'est-ce que la qualité des soins ?Il est classiquement admis que l'analyse de la qualité des soins doit prendre en compte des aspects de structure, de procédures et enfin de résultats.1 Outre ce découpage schématique de l'appréciation de la qualité de soins, il ne fait pas de doute pour nous médecins, qu'en matièred'appréciation de qualité, on doit se référer également aux standards de qualité établis, tout comme aux recommandations pour la pratique clinique fondées sur les preuves («Evidence-based medicine»), mais que l'on ne saurait se passer des indices de satisfaction recueillis auprès des patients. Qu'en est-il en médecine d'urgence ?Qualité des structures en médecine d'urgenceEn matière de structures, les programmes qualité en médecine d'urgence font surtout appel à la définition de standards organisationnels. Depuis plusieurs années, la Société française de médecine d'urgence (SFMU) s'est donnée pour tâche l'amélioration de la qualité des soins d'urgence, entre autres par l'évaluation des services d'accueil des urgences. En 2000, elle a procédé à une enquête auprès de 137 structures d'urgence publiques après avoir établi un outil d'évaluation constitué de 28 critères considérés comme des standards de qualité.2 De manière similaire, la Société irlandaise de qualité des soins a édicté des standards dans l'évaluation des départements d'urgence, au nombre de 63, détaillant de manière précise les aspects organisationnels et structurels des centres d'urgence.3 On retrouve ce même souci pour l'accueil en urgence des enfants, pour lesquels l'American Academy of Pediatrics vient de publier des «guidelines» structurels.4Il est intéressant de noter que ces standards organisationnels, issus de sociétés savantes faisant référence en la matière, sont également l'objet d'études scientifiques permettant d'en vérifier la pertinence, notamment en terme d'outcomes cliniques. Ainsi, une étude récente permet d'être rassuré sur la qualité d'accueil et des soins des enfants traumatisés admis dans des centres d'accueil mixtes adultes/ enfants, où la survie est aussi bonne, voire meilleure que celle des centres d'urgence exclusivement pédiatriques.5Bien entendu, on ne saurait parler de qualité structurelle, sans évoquer l'absolue nécessité d'une professionnalisation de l'urgence, passant par la nécessité d'équipes multidisciplinaires, bénéficiant spécifiquement d'une formation à l'urgence «in situ» pour être en phase avec les besoins des patients. Les structures d'urgence sont par nature des structures transverses, et doivent tout à la fois être autonomes dans leur spécificité, et en phase avec les services hospitaliers pour la continuité des soins.Qualité des procédures en médecine d'urgenceEn matière de procédures, il y a bien entendu légion de standards de qualité des soins, dont plusieurs articles de ce numéro en sont des illustrations. C'est également en matière de procédures de soins que la médecine fondée sur les preuves connaît son plus grand développement. Les recommandations pour la pratique clinique servent tout à la fois de références de pratique, mais également d'outils de formation et enfin d'instruments visant à améliorer la qualité des soins. La médecine d'urgence se prête particulièrement bien à la mise en place de recommandations de type «EBM». Il n'est guère de mois où il n'y a pas parution de «guidelines» en la matière ; il n'y a guère de semaines où des études de haut niveau scientifique ne sont publiées, améliorant de manière conséquente les connaissances sur les procédures de bonne pratique en médecine d'urgence. Pour exemple, le tri des patients ayant souffert d'un traumatisme cranio-cérébral mineur nécessitant un examen par tomographie computérisée a permis d'identifier les patients à risque nécessitant un tel examen complémentaire.6,7 De la même manière, une autre étude récente a permis d'identifier les patients à très bas risque d'une lésion vertébrale cervicale après traumatisme cervical.8 Il en va de même pour l'accueil des syndromes coronariens aigus, par exemple9,10 ou pour la prise en charge des pneumothorax spontanés.11 Dans ce numéro, l'article consacré à la décontamination digestive rend compte d'une analyse de type EBM de la littérature dédiée à ce problème, permettant dès lors l'édition de recommandations pour la pratique clinique.Qualité des résultats en médecine d'urgenceL'analyse qualitative des résultats des soins d'urgence est souvent plus difficile sur le plan méthodologique. Néanmoins, il est maintenant usuel de procéder à l'analyse qualitative des soins d'urgence, que ce soit en terme d'adéquation avec les standards de qualité, tels que dans l'enquête pratiquée par la SFMU2 ou tels que documentés dans l'analyse des résultats de la réanimation intra-hospitalière d'un «team arrêt cardiaque», présentés dans ce numéro. L'implémentation de recommandations pour la pratique clinique dans les centres d'urgence permet également de mesurer leur impact en matière de résultats des soins. On peut citer pour exemple l'analyse des délais «porte-aiguille» pour les traitements incompatibles avec une attente prolongée, tels que la thrombolyse coronarienne, ou l'antibiothérapie des méningites. Il en va de même avec l'accueil des traumatisés où la mise en place de recommandations pour la pratique clinique concernant l'accueil des traumatisés cranio-cérébraux est associée à une amélioration significative de la prise en charge, mais également du pronostic des patients.12Enfin, l'analyse «qualité» ne saurait être complète sans une appréciation de la qualité des soins par les patients eux-mêmes, que ce soit par enquêtes de satisfaction, ou analyse des plaintes. A ceci s'ajoute un monitoring des délais avant examen médical qui sont aussi associés au niveau de satisfaction des patients.Analyse «qualité» du cas cliniqueA la lecture du cas ci-dessus, il pourrait paraître que la prise en charge du patient s'est faite de manière adéquate. Un examen plus attentif identifie néanmoins plusieurs procédures de prise en charge du patient non conformes aux standards actuels. Ainsi, son déplacement sans collerette cervicale dans un véhicule individuel est inapproprié au sens des standards actuels des secours. La présence de plusieurs facteurs de risque pour une atteinte cervicale ou cérébrale tels que l'âge élevé, la présence d'une intoxication alcoolique, l'évidence d'un traumatisme crânien ainsi que la chute d'un lieu élevé nécessitaient la réalisation de radiographies de la colonne cervicale ainsi que la pratique d'un scanner cérébral. De même, l'objectivation d'une douleur thoracique d'origine coronarienne probable, avec douleur typique répondant aux nitrés et anomalies ECG posait la question de la prescription d'anti-agrégants plaquettaires et d'héparine de bas poids moléculaire ainsi que l'organisation d'examens cardiologiques complémentaires à visée coronarienne. Certes, au niveau individuel, cette non-conformité aux recommandations actuelles n'a pas eu d'impact sur le pronostic du patient, par ailleurs fort satisfait par la prise en charge. Cependant, répétées à de nombreuses reprises par ce même service à l'ensemble d'une communauté, de telles attitudes signifient exposer les patients à des risques que la littérature a clairement identifiés. Enfin, la médicalisation d'un centre d'urgence par un seul médecin assistant ainsi que la non-disponibilité d'un spécialiste ORL dans la nuit sont également le reflet de structures de soins qui ne sont pas en accord avec les standards de qualité structurels descentres d'urgence, tels qu'acceptés actuellement par la communauté scientifique et dès lors souhaitables d'un point de vue de santé publique.ConclusionsLa description et l'analyse du cas virtuel présenté ci-dessus permettent d'illustrer comment la qualité des soins d'urgence doit être analysée et vers quoi elle doit évoluer. L'élaboration de recommandations de pratique basées sur une médecine des preuves doit prévaloir, en complément aux standards de qualité structurels et organisationnels. Seule une telle stratégie qualité permettra non seulement de satisfaire les patients, mais également de valoriser les soignants et d'assurer l'efficience des maillons de la chaîne des urgences. Le présent numéro de Médecine et Hygiène consacré à la médecine d'urgence donne quelques aperçus qui tous parlent de qualité des soins, qu'il s'agisse de médecine pré-hospitalière, de traumatologie, de médecine adulte ou de pédiatrie.Bonne lecture !
Contact auteur(s)
B. Yersin
Médecin chef du
Centre interdisciplinaire des urgences (CIU)
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
Lausanne