La presse scientifique publie ces temps maints articles concernant les rapports entre l'exclusion sociale et la santé. Les données scientifiques dans ce domaine s'accumulent. Certaines relèvent du simple bon sens, mais en ces temps de «tout économique», il n'est pas inutile de les relever. Presque exclusivement consacré à ce thème, le BMJ du 28 juillet 20011 contient près de dix articles qui démontrent les conséquences parfois dramatiques de l'exclusion sociale sur la santé. Le New England Journal of Medicine (NEJM)2 du 12 juillet 2001 publie un rapport passionnant sur le lien entre l'incidence d'événements coronariens et le lieu où vit une personne. Plus récemment, le JAMA3 s'interroge sur le fardeau que les maladies suscitent dans une population donnée et les implications que ce fardeau pourrait entraîner sur le financement de la recherche. Les auteurs en profitent pour remarquer que les progrès économiques et en matière d'éducation comptent pour près de 50% dans les succès acquis en santé, les 50% restants étant liés aux progrès technologiques.S'il paraît évident de constater une différence d'espérance de vie de près de vingt ans entre les pays riches et ceux du tiers-monde, les différences à l'intérieur des pays riches nous semblent à tort ! moins importantes. Les conditions d'hygiène et d'accès aux soins expliquent aisément les différences entre les pays riches et les pays du tiers-monde. Mais comment comprendre les différences à l'intérieur des pays riches ? Les études récentes révèlent que le gradient économique et l'environnement social influencent de façon directe la santé dans les pays riches. Elles permettent aussi de mieux connaître les interactions que l'être humain développe avec son environnement et de mieux comprendre les conséquences biologiques qui en découlent.L'une des questions que soulève une des études du NEJM2 est la suivante : l'endroit où vit une personne est-il un facteur prédictif de sa santé ? Sans équivoque, la réponse qu'apporte cette même étude est : oui ! Pour aller chercher cette réponse, les auteurs ont suivi pendant près de dix ans 13 000 personnes et constaté 615 événements coronariens. Ils se sont alors intéressés aux caractéristiques de leur zone de résidence qu'ils ont définies selon des critères socio-économiques. Cette définition est relativement complexe. Elle prend en compte le revenu, la fortune, l'emploi et les niveaux d'éducation et de formation. Ensemble, ces données sont agrégées en une valeur synthétique moyenne par quartier d'habitation et comparées quartier par quartier.Cette étude, pratiquée dans quatre communautés américaines très différentes les unes des autres, démontre qu'il existe une relation claire entre le niveau socio-économique local et le risque d'événements coronariens. Après avoir ajusté les revenus personnels, d'éducation et de profession, et exclu d'autres risques habituels cardiovaculaires, l'étude montre qu'une différence persiste entre les zones favorisées et défavorisées. De plus, fait déjà plus reconnu, les auteurs constatent une relation entre l'incidence d'événements coronariens et les revenus individuels. On savait depuis longtemps qu'être riche et en bonne santé vaut mieux qu'être pauvre et malade ! Cette étude révèle aussi que le quartier et le milieu social dans lesquels vivent les gens contribuent à déterminer leur santé.Dans un excellent éditorial d'accompagnement,4 Michael Marmot relève la complexité liée à l'inégalité. La pauvreté en soi ne se résume pas à une question d'argent, bien qu'un gradient social très net influence la qualité de la santé. Car l'indigence relative dans laquelle une partie de la population vit entraîne des disparités multiples. L'une d'elles a trait aux caractéristiques psycho-sociales. Plusieurs études suggèrent une contribution du cerveau au contrôle de la santé. Plus que la richesse, la capacité de faire face et de s'adapter jouerait un rôle déterminant.Cette opinion de Marmot, lui-même leader incontesté dans ce domaine, est troublante. Le cerveau est un filtre crucial par lequel les influences sociales peuvent affecter la physiologie normale et, ainsi, provoquer des maladies. De la même manière, nos conduites potentiellement à risque peuvent provenir de nos systèmes neuro-endocriniens et donc, à terme, jouer un rôle prépondérant sur notre santé. La langue de bois politico-scientifique a déjà créé plusieurs termes pour définir cette problématique : doit-on parler d'inégalités face à la maladie, de disparités ou de variations ? Reste que le problème de base, connu depuis près d'un siècle, perdure : la maladie et la mort ne sont pas également réparties et le gradient social est un facteur primordial dans ce domaine. Mais face à ces faits qui deviennent scientifiquement indiscutables, quelles sont les possibilités réelles de décisions et d'actions disponibles pour améliorer les ressources individuelles et l'environnement social des individus ?Bibliographie :1 BMJ 2001 ; vol. 323, No 7306.2 Diez Roux AV, Merkin SS, Arnett D, et al. Neighborhood of residence and incidence of coronary heart disease. N Engl J Med 2001 ; 345 : 99-106.3 Michaud CM, Murray CJL, Bloom BR. Burden of Disease : Implications for Future Research. JAMA 2001 ; 285 : 535-9.4 Marmot M. Inequalities in health. N Engl J Med 2001 ; 345 : 134-6.