Nous poursuivons ici l'analyse du rapport de l'«Alliance pour les technologies médicales» que vient de rendre public l'Académie française de chirurgie (Médecine et Hygiène du 10 octobre 2001). Donnée centrale : la douleur postopératoire doit être considérée comme un effet indésirable et attendu de la chirurgie, ce qui implique qu'une analgésie efficace apparaît comme un bénéfice clinique indiscutable. Il est aujourd'hui bien établi que le circuit neurobiologique de la douleur prend sa source en périphérie où se trouvent les nocicepteurs sensibles aux stimuli physiques, chimiques, thermiques. Les neurones sont relayés dans la moelle épinière par d'autres fibres nerveuses, qui forment des faisceaux ascendants se projetant dans différentes structures du cerveau. «Contrairement à une hypothèse en faveur il y a plusieurs années, il n'existe pas un seul faisceau ascendant se projetant sur le thalamus, mais de nombreux faisceaux ascendants, peut-on lire dans le rapport. Le laboratoire de Jean-Marie Besson, directeur de recherche au CNRS, à la tête de l'Unité de physio-pharmacologie du système nerveux de l'INSERM a montré, par exemple, qu'en dehors de ce faisceau, intervenant dans la détection de la douleur, il en existe d'autres qui jouent un rôle important dans ses composantes affective et émotionnelle. Ce qui balaie l'idée d'un centre unique de la douleur dans le cerveau. Autre notion importante : le cheminement de la douleur ne fonctionne pas comme une liaison téléphonique. Il existe des interactions complexes, des filtres qui modulent l'intensité, agissent tout au long de la chaîne de transmission, en particulier au niveau de la moelle épinière par des voies descendantes originaires de la partie postérieure du cerveau pour aboutir, soit à une réduction, soit à une amplification de la douleur.»La douleur postopératoire est bien évidemment en premier lieu la conséquence du traumatisme chirurgical local. On oublie ou on sous-estime souvent qu'elle est également due à des actes sondages ou drainages qui pourraient parfois être évités, comme le recommande la Société française d'anesthésie et de réanimation (SFAR). Celle-ci recommande aussi de limiter les divers prélèvements biologiques postopératoires et d'avoir recours aux modes de ponction les moins douloureux. «La douleur est aussi entretenue et renforcée par des facteurs psychiques : anxiété, stress, vécu culturel, écrivent les auteurs du rapport. L'anxiété, plus importante chez le sujet âgé, est un facteur favorisant essentiel de la perception douloureuse. Elle rend celle-ci plus diffuse, mal interprétable. De même, les prédispositions personnelles liées à la culture, à l'expérience, au sexe ou à l'histoire sociale jouent sans doute, mais restent difficilement quantifiables. A ce paysage, il faut ajouter les préjugés qui subsistent dans l'esprit du public, qui expliquent sans doute que 40% des opérés ne demandent toujours pas d'antalgiques.»Il importe aussi de rappeler que l'intensité et la durée de la douleur postopératoire sont très variables selon le type de chirurgie. Pour la SFAR, on peut distinguer les chirurgies qui entraînent : Une douleur forte plus de 48 heures : chirurgie abdominale sus-et sous-mésocolique, l'sophagectomie, l'hémorroïdectomie, la thoracotomie, la chirurgie vasculaire, la chirurgie rénale, la chirurgie articulaire (à l'exception de la hanche) et du rachis (fixation) et l'amygdalectomie. Une douleur forte moins de 48 h : cholécystectomie (laparotomie), adénomectomie prostatique (voie haute), hystérectomie (voie abdominale), césarienne. Une douleur modérée plus de 48 heures : appendicectomie, hernie inguinale, vidéo-chirurgie thoracique, hystérectomie vaginale, chirurgie gynécologique mineure, clioscopie gynécologique, mastectomie, hernie discale, thyroïdectomie, neurochirurgie. Une douleur modérée moins de 48 heures : chirurgie cardiaque et de la hanche, chirurgie ORL (larynx, pharynx). Une douleur faible : cholécystectomie clioscopique, prostate (résection transurétrale), chirurgie urologique mineure, circoncision, IVG/curetage, chirurgie ophtalmologique.«La douleur postopératoire se situe d'abord au niveau de la cicatrice d'intervention et peut irradier à distance, rappellent les auteurs du rapport. D'abord isolée, elle peut être qualifiée de banale, avant que des symptômes comme la fièvre, l'altération de l'état général, les modifications de la cicatrice ne fassent penser à une complication locale ou à une complication à distance, une embolie. Elle s'accompagne volontiers d'une accélération du rythme respiratoire et/ou cardiaque, ainsi que de la pression artérielle. Trop souvent encore, l'évaluation de la douleur est faite à l'estime, «à vue de nez», en fonction de l'expérience des médecins, alors que les outils existent et peuvent être utilisés sur la grande majorité des opérés.»S'il est indispensable d'évaluer la douleur postopératoire, il est impossible de prédire l'intensité de la douleur telle qu'elle sera perçue par un opéré, pas plus que l'on ne peut prévoir ce que sera sa consommation d'antalgiques. Ainsi, pour une intervention donnée, à soulagement identique, la consommation d'antalgiques peut varier d'un à cinq. Quant à la consommation en morphiniques par analgésie contrôlée par le patient, elle peut constituer un indice indirect de mesure de la douleur postopératoire.(A suivre)