«Au bazar du vivant» par Jacques Testartet Christian Godin. Paris : Seuil, 2001.ISBN : 2.02.051234.3.Certes, on ne trouve rien de vraiment nouveau dans «Au bazar du vivant», ouvrage de Jacques Testart et Christian Godin. Néanmoins, il s'agit d'une utile synthèse de la boîte de Pandore que la biologie du dernier quart du XXe siècle a ouverte.Se ralliant à toutes les causes que défend son interlocuteur, Christian Godin, philosophe, en résume les travaux et les réflexions depuis bientôt vingt ans. Jacques Testart confirme et complète ces propos de la façon incisive qui fait sa notoriété depuis une quinzaine d'années.A travers l'évocation des métamorphoses de la biologie et celles de la médecine de la procréation, à travers aussi la critique de la raison éthique, la carrière de Jacques Testart tisse la trame de ce livre. Une carrière marquée par trois avancées qui l'ont conduit à réfléchir aux difficultés auxquelles le métier de chercheur peut conduire.Première avancée : douze années durant, Testart met au point, à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), la technique de la fécondation in vitro (FIV) chez les vaches. Le but est d'accélérer la sélection des vaches laitières les plus productives. Ce projet, on le sait, a atteint son but. Mais au bout du compte, Testart, dont la réflexion sur le sens de la recherche débute, réalise que ce travail aura pour conséquence de mettre des milliers, voire des dizaines de milliers de paysans sur la touche. Car au moment même où la FIV devient fiable à grande échelle, le marché du lait sature en Europe et l'Union européenne fixe des quotas. Or, augmenter la productivité des vaches alors que la production globale de lait a atteint sa limite revient à orchestrer ce que Pierre Thuillier appelle «le meurtre du paysan». Un meurtre mûrement prémédité.Réalisant qu'il a contribué à produire un effet social qu'il juge «idiot», Testart décide de bifurquer vers le domaine médical, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Travailler sur la procréation humaine, pense-t-il, «ça va être autre chose» ! En effet.Deuxième avancée : Testart contribue à appliquer aux femmes la technique de la FIV qu'il connaît bien. En 1982, il permet de mettre au monde Amandine, quatre ans après Louise Brown. Mais, pressent-il, maintenant qu'il est possible de manipuler des embryons hors du corps de la femme, il devient aussi envisageable de les trier. «Puisque les embryons étaient là dans l'éprouvette et pas encore dans le ventre, viendrait la tentation de les identifier pour choisir le meilleur afin d'en faire un enfant», écrit Testart. Cette crainte, il l'exprime avec force dans «L'uf transparent», en 1986. Il prédit dans ce livre que l'alliance de la génétique d'identification et de la procréation médicalement assistée renforcera le risque d'eugénisme. Quinze ans plus tard, analyse Testart, le bien-fondé de cette crainte se précise : nous allons tout droit, prévient-il, vers un eugénisme «démocratique».Cette volonté de Testart de susciter le débat sur l'eugénisme est louable et socialement utile. Mais il est frappant que ce chercheur ait, par deux fois, directement contribué à créer un problème qu'il dénonce dans ses livres. Lorsque Christian Godin le lui fait remarquer (précisant qu'il ne fait que répercuter cette critique qu'il ne partage pas) Testart répond que chacun doit faire son expérience. «C'est ma façon d'élever les enfants, explique-t-il : il faut qu'ils fassent leurs expériences avec des risques. La leçon donnée par les Anciens, ce que l'on peut lire et entendre, c'est bien, mais tant que l'on ne l'a pas vécu, ça n'a pas beaucoup de poids».Cette réponse met sans doute le doigt sur la difficulté à laquelle est confronté un chercheur, seul aux prises avec son histoire et sa conscience. Cette réponse suggère aussi qu'il est temps de privilégier le débat collectif, en amont de cette recherche, de manière à éviter de placer chaque chercheur dans la position d'avoir à faire sa propre expérience pour pouvoir réaliser que sa recherche n'était peut-être pas la plus judicieuse à mener. Mais là n'est pas la seule raison de favoriser la décision collective. Car les chercheurs sont, le plus souvent, sûrs de leur fait. C'est l'éclairage final qu'offre la troisième avancée technique à laquelle Testart a contribué.En 1995, Testart prolonge la technique de l'Intra Cytoplasmic Spermatozoon Injection (ICSI) qui permet de lutter contre la stérilité, en injectant dans un ovule de femme une spermatide. Lui qui a souvent attaqué ses pairs, subit cette fois leurs foudres et celles des médias. On lui reproche d'ignorer l'intimité des événements métaboliques qu'une telle injection impose aux gamètes et à l'embryon. D'autant qu'on ne sait pas pourquoi la spermatide ne devient pas spermatozoïde. Or, des malformations évidentes ne sont pas seules à redouter d'une telle opération. Des anomalies plus subtiles, compatibles avec la vie, pourraient, par exemple, affecter le système nerveux des humains mis au monde grâce à cette technique. Mais sur ce point, Testart revendique son acte, soutenant notamment que la technique était fiable, qu'elle avait fait ses preuves en Belgique.«Au bazar du vivant» est intéressant à au moins deux titres. Il rappelle utilement certaines dérives possibles de la médecine de la procréation alliée à la génétique prédictive, plaçant l'humanité face à la responsabilité d'avoir à décider de refuser l'eugénisme. Tout aussi utilement, il montre qu'il ne faut plus laisser les chercheurs seuls avec l'aval de comités d'éthique largement conçus pour les cautionner décider face aux enjeux que soulèvent leurs recherches. Remercions Testart de son précieux témoignage.