Mi-septembre, les vendanges françaises s'achèvent sous des soleils caniculaires qui, en Alsace, en Anjou et en Touraine autant que dans le Sauternais, engendreront de formidables liquoreux que goûteront nos enfants aux frontières de la moitié de ce siècle naissant. Rue Traversière, à Tours, les premières feuilles de tilleul et d'érable tombent pour la dernière fois. Sur les ondes, on ne parle plus que d'anthrax, de bioterrorisme, de bombardements sur le sol et le peuple afghans.Et au travers des joies et des larmes, la crise de la vache folle est toujours là, tenace, indéracinable. En France, la consommation de viande bovine est toujours réduite de 8 à 12% par rapport au mois octobre 2000 et ce alors que les consommateurs paient en moyenne 10 francs de plus le kilo de chair bovine. Pour Luc Guyau, nouveau président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, «l'incidence des différentes charges nouvelles (taxe d'équarrissage, tests de dépistage) sur le coût de la viande est de l'ordre de Fr. 3.50 au kilo pour le consommateur. Chez l'éleveur, la baisse est d'environ 5 francs au kilo, alors que le consommateur continue de payer sa viande 10 francs de plus au kilo».Comment comprendre ? Faut-il s'interroger sur l'attitude et les marges prises par les professionnels du reste de la filière ? Faut-il, dans un toujours tentant réflexe protectionniste, dénoncer les importations de viande bovine de pays tiers comme l'Argentine dont on peut toujours dire qu'elle est fortement touchée par la fièvre aphteuse ? Faut-il laisser entendre comme M. Guyau, que ces importations «de viande pas toujours très fiable» étaient principalement destinées à la restauration collective, cantines scolaires ? «Le secteur de la viande bovine doit bénéficier de véritables mesures de retraits de marché pour réguler les cours et notamment de retrait des jeunes veaux» a insisté M. Guyau.Appel traditionnel de l'agriculture et de l'élevage aux perfusions de deniers publics, nationaux ou européens. L'air est malheureusement trop connu qui cadre si mal avec la fierté, l'indépendance et le libéralisme paysan. Se basant sur des données établies ces dix dernières années, M. Guyau, ancien président de la toute puissante FNSEA, a estimé que l'agriculture française était actuellement «dans une situation favorable» tout en mettant l'accent «sur le divorce impressionnant entre les résultats économiques et le climat social» et soulignant l'accélération du nombre de départs d'agriculteurs en cours de carrière. Etrange autant que paradoxal divorce.En déplacement à La Rochelle, Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, a pour sa part estimé que la crise liée à la vache folle «est passée d'un point de vue sanitaire», qu'elle est toujours là d'un point de vue économique». «On ne sous-estime pas la gravité de la crise, elle est là et plus elle dure, plus c'est grave, parce que ça se cumule en termes de revenus pour les producteurs», a-t-il dit lors d'une rencontre avec les professionnels de la filière. Les producteurs bovins sont passés, «de mois en mois, de la colère à une espèce de résignation déprimée, voire une sorte de désespérance, ce qui est très inquiétant», a-t-il ajouté avant d'appeler les consommateurs à acheter de la viande française par «patriotisme économique».Déprime générale donc. En un an, les éleveurs de races à viande (Charolaises, Aubrac, Limousines, etc.) ont perdu 30 à 50% de leur chiffre d'affaires. ces données sont fournies par Pierre Chevalier, président de la Fédération nationale bovine. Ainsi, un kilo de viande charolaise se négocie actuellement à 14 francs, contre 22 francs l'année dernière. «Le bilan 2001 de la filière ? Ce sont des éleveurs qui ne peuvent pas vendre leurs bêtes, des consommateurs qui n'ont jamais payé leur viande aussi cher et des industriels qui n'ont jamais eu un bilan aussi positif», observe M. Chevalier.Dans une mécanique pavlovienne trop bien connue, les éleveurs sont donc repassés à l'action, lançant des opérations «coup-de-poing» à Limoges, Clermont-Ferrand et Montmarault (Allier) pour contrôler les importations de viande étrangère. Des opérations qu'ils annoncent vouloir poursuivre dans les prochains jours et les prochaines semaines. Les importations de viandes étrangères ? Elles sont d'environ 300 000 tonnes sur une consommation annuelle totale de l'ordre de 1,65 million de tonnes. Provenance ? Principalement l'Allemagne et les Pays-Bas, où elle est de 25 à 30% moins chère.«Nous sommes dans un marché ouvert et ces pays sont aussi nos acheteurs», justifie Laurent Spanghero, ancien et célèbre joueur de rugby, devenu président de la Fédération nationale des industries et du commerce en gros des viandes. Ces industriels, comme ceux de la grande distribution, sont également régulièrement accusés. «Fin mars, nous étions dans le rouge et nous nous sommes refaits un peu, mais en moyenne sur cinq ans, les marges nettes des entreprises de la viande sont inférieures à 1%», affirme M. Spanghero. Pour lui, comme pour les organisations syndicales agricoles, une des solutions passe par «une purge radicale du marché» en accélérant les mesures de retrait et de destruction des animaux. C'est donc dit : abattons, détruisons, entre 100 000 et 150 000 bêtes excédentaires. A toute crise, ses bûchers, à tout engorgement, sa purge.Autres chiffres : depuis le mois de janvier de cette année, tous les bovins de plus de 24 mois entrant dans la chaîne alimentaire ont été dépistés vis-à-vis de l'ESB. A la date du 6 octobre, 1 646 346 tests ont été effectués, 188 cas positifs ont été confirmés en France, dont 48 décelés dans le cadre des tests systématiques en abattoirs chez des animaux qui, sinon, auraient été consommés.