La cardiologie et, principalement, la maladie coronarienne ont bénéficié du développement de nombreux scores à finalité diagnostique (diagnostic de l'angine de poitrine et de l'insuffisance cardiaque) ou pronostique (pronostic de la maladie coronarienne symptomatique ; risque de maladie coronarienne asymptomatique en fonction des facteurs de risque ; pronostic de l'angor instable et de l'infarctus sans sus-décalage du segment ST), pour ne citer que certains exemples qui sont présentés et analysés. Ces scores devraient guider le clinicien dans les indications au recours à des moyens diagnostiques ou thérapeutiques plus coûteux ou risqués en l'aidant dans la détermination de la prévalence de la maladie ou de son pronostic. Malheureusement, force est de reconnaître que, malgré des performances tout à fait acceptables, ces scores ne se sont guère implantés dans la démarche médicale courante.
Il n'y a, probablement, pas de discipline médicale plus appropriée à l'établissement de scores que la cardiologie, avec une part prépondérante de la maladie coronarienne. Cette dernière a reçu l'attention d'investigateurs il y a déjà quelque trente ans, essentiellement pour déterminer les risques de maladie coronarienne en fonction des caractéristiques de la douleur thoracique et de l'âge. Plus tard, sont apparues des tables définissant la probabilité même de la maladie coronarienne sur les 5,10 ou 12 ans à venir, en l'absence de symptômes, mais en fonction de certains facteurs de risque. Vinrent ensuite des scores visant non plus seulement à aider au diagnostic, mais bien plutôt à orienter le clinicien dans ses interventions en fonction du pronostic de l'affection. Dans ce foisonnement de données et de scores, cette courte revue ne pourra guère prétendre à l'exhaustivité, elle a pour objectif d'illustrer certaines composantes des phases des maladies cardiovasculaires qui se prêtent à une formulation sous forme de scores à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou pronostiques.
Il existe une multitude de tables ou tableaux, qui donnent une représentation graphique du risque de développer une maladie coronarienne ou de décéder d'une maladie cardiovasculaire en fonction de certains facteurs de risque, l'immense majorité basée sur l'équation tirée des données de Framingham obtenues sur un suivi de quatre à douze ans.1,2,3,4,5,6
Cette source d'information n'est pas sans conséquences. Si, pour certains, elle est la manifestation de l'hégémonie américaine et de l'impérialisme «Framinghamien» en matière d'épidémiologie clinique et, partant, diabolique, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de la seule banque de données réalisée de façon prospective à des fins pronostiques. Il convient pourtant de savoir l'utiliser avec une certaine circonspection, le rôle du cholestérol, en particulier, dans la mortalité coronarienne n'étant pas le même dans toutes les régions du globe.
Quels sont les facteurs de risque initialement impliqués dans ce score pronostique ?
Le sexe, l'âge, le tabagisme, la tension artérielle systolique, la présence de diabète ou non, le cholestérol total et ses variantes, dont, surtout, le rapport cholestérol total/ HDL-cholestérol, la présence ou non d'une hypertrophie ventriculaire gauche.
Il n'est certes pas possible dans le cadre de cette brève présentation de discuter toutes les variations qui ont été développées à partir de cette fonction primitive, qu'il s'agisse de l'adjonction d'autres facteurs de risque tels le LDL-cholestérol, la TA diastolique, la suppression de certains (l'hypertrophie ventriculaire gauche) ou encore de la définition des éléments du risque cardiovasculaire : décès de cause cardiovasculaire et infarctus du myocarde (données dites dures), angine de poitrine, angor instable et infarctus du myocarde silencieux (données plus «molles»). Il est utile de préciser que les données de Framingham reposent sur la globalité de ces end-points, les durs et les mous ! Les variations brièvement mentionnées résultent de façon prédominante des récentes études prospectives testant l'effet de mesures de prévention de type pharmacologique, les hypolipémiants en particulier. Le lecteur intéressé pourra trouver les tableaux qui l'intéressent dans ces articles cités.1-6
Haq et coll. ont procédé à une intéressante analyse de cinq scores de risque pour maladie coronarienne, quatre d'entre eux étant basés sur les données de Framingham, l'étalon standard étant une équation de prédiction d'origine allemande, PROCAM.7 Si la sensibilité des quatre méthodes «Framinghamiennes» était comprise entre 90 et 98%, leur spécificité variait entre 37 et 63%, l'amélioration de la spécificité étant liée à la prise en considération du rapport cholestérol total/HDL-cholestérol, et plutôt qu'au cholestérol total seulement.
Parmi les sites Internet qui donnent une information similaire, citons :
I le site de Evidence-Based Medicine à Oxford : http://cebm.jr2.ox.ac.uk, (dans EBM toolbox).
I le site de l'hôpital Broussais : http://www.
broussais.fr/Scientific/fram.html (dont le fonctionnement récemment paraissait quelque peu aléatoire), avec un atout spécifique, l'adaptation des données de Framingham au pronostic gaulois, en tenant compte du «French paradox».a
A noter que le site http://www.imothep.com donne une analyse comparative intéressante de plusieurs sites Internet proposant des calculs du risque cardiovasculaire pour le professionnel aussi bien que pour l'honnête citoyen.
La lecture des titres de plusieurs de ces articles aura sans doute révélé au lecteur perspicace que le calcul du risque cardiovasculaire est maintenant intimement lié au bénéfice possible découlant d'interventions visant à contrôler le taux de cholestérol ou l'hypertension. Il est clair que cette association soulève de nouveaux problèmes, en dehors de champ de cette brève revue : quel rapport coût/efficacité choisir pour tenir compte de la prévalence et du risque de la maladie coronarienne, mais aussi du coût des méthodes préventives utilisées. Ce thème en soi mériterait qu'il lui soit consacré un numéro entier.
C'est l'entreprise la plus ancienne de détermination de score diagnostique, cela grâce au travail de pionnier de Diamond, Forrester, Pryor et autres. Le contexte du développement de cette analyse est intéressant à discuter. Il s'inscrit en effet dans l'avènement et la maîtrise de la coronarographie, dans la relation entre les symptômes et l'importance des lésions vasculaires, dans les premiers d'une analyse décisionnelle encore fort timide, mais qui avait révélé au monde médical l'importance de la probabilité pré-test ou de la prévalence d'une maladie pour interpréter des tests diagnostiques. C'était également la période d'or du test d'effort cardiologique utilisé à des fins tout d'abord diagnostiques, puis pronostiques.
Le tableau 1, qui résume et simplifie les données initialement publiées par Diamond et Forrester en 1979,8 permet de tirer les enseignements suivants : chez les patients asymptomatiques, la prévalence devient dépendante des facteurs de risque, concept qui vient d'être discuté plus haut. Sinon, toute douleur, de par sa seule présence, qu'elle soit non angineuse, typique ou atypique, va définir le niveau de probabilité de maladie coronarienne, indépendamment des facteurs de risque, et cela d'autant plus que le patient est de sexe masculin et âgé. A noter cependant que, dans la tranche d'âge 60-69 ans, les inégalités hommes-femmes s'estompent. Si l'on se rappelle que les tests diagnostiques sont d'autant plus efficaces que la prévalence de la maladie est proche de 50%, c'est dans l'angor atypique qu'ils sont donc les plus utiles. Par contre, dans l'angor typique, il n'est plus tellement question de savoir s'il y a ou non maladie coronarienne, mais bien plutôt quelle est son extension, qui va déterminer sa prise en charge thérapeutique.
Ultérieurement, Pryor et coll.9 ont développé un score destiné à évaluer la sévérité de la maladie coronarienne, la sévérité étant définie par une sténose de > 75% du tronc commun ou de l'ensemble des trois artères coronaires majeures. Il est composé des éléments suivants, chacun ayant un facteur de pondération individuel :
I |
[âge /10] x 2 |
.. |
points |
I |
infarctus du myocarde ancien |
5 |
points |
I |
fréquence des douleurs > 4 /jr |
2 |
points |
I |
souffle carotidien |
1 |
point |
I |
diabète |
3,5 |
points |
I |
hyperlipidémie |
1 |
point |
I |
tabagisme |
2 |
points |
I |
hypertension |
2 |
points |
Ce score, associé à la caractéristique de la douleur (angineuse typique, atypique,...) et à la durée des symptômes, permet, sur la base d'un nomogramme, de calculer avec une précision certaine les chances d'avoir une maladie coronarienne sévère.
Morise et coll.10 ont plus récemment publié leur score d'évaluation de probabilité de maladie coronarienne, score dont l'intérêt réside dans l'absence d'équation compliquée ou de nomogramme (tableau 2). Un total entre 0 et 8 est associé à une basse probabilité de maladie coronarienne significative (= lésion de >= 1 vaisseau avec sténose de >= 50%) (16%), entre 9 et 15 à une probabilité intermédiaire (44%) et entre 16 et 24 à une haute probabilité (69%). La maladie coronarienne dite sévère (>= 2 vaisseaux avec >= 70% de sténose) se retrouvait dans une prévalence réduite de moitié environ par rapport à la maladie dite «significative».
Finalement, le même groupe autour de Pryor,11 en ayant recours à un nombre plus étendu, mais toujours facilement accessible, de variables cliniques, radiographiques (thorax !) et électrocardiographiques, a publié un modèle de régression permettant non seulement d'évaluer la sévérité de la maladie coronarienne, mais aussi son pronostic, avec des performances comparables à celles du test d'effort.
Malheureusement, pour l'heure, malgré leur potentiel pour un meilleur ciblage d'investigations coûteuses et agressives, ces scores qu'ils soient diagnostiques et/ou pronostiques, sont encore largement sous-utilisés dans la pratique courante. Le corps médical, dans son besoin de voir (c'est-à-dire de procéder à une coronarographie), pourrait certainement prendre comme patron Saint-Thomas.
Dans le cadre de l'essai randomisé contrôlé TIMI 11B, portant sur l'efficacité de l'héparine à bas poids moléculaire dans ce contexte, une analyse multivariée a permis d'identifier sept variables, la plupart disponibles en routine, et qui, assemblées en score, permettent d'évaluer le pronostic de cette affection dans les deux semaines suivant son développement (tableau 3).12
Le nombre de points du score (chacun de ses éléments valant 1) selon une relation forte, quoique non exactement linéaire, établit le pronostic, qu'il soit défini par la mortalité globale, le développement d'un nouvel infarctus du myocarde, l'indication à une revascularisation urgente.
Un tel score devrait trouver son application dans l'étude de nouvelles modalités thérapeutiques destinées à améliorer le pronostic de cette maladie, tant il est vrai que ce sera surtout dans les groupes à pronostic sévère qu'il sera possible de trouver des effets significatifs de tel ou tel traitement, l'amélioration du pronostic de la maladie coronarienne rendant de plus en plus difficile l'obtention de l'évidence d'un progrès. Il devrait également définir les indications à la poursuite d'un traitement agressif dans les seuls cas où le pronostic pourrait être substantiellement modifié.
La littérature médicale n'est pas saturée d'études de bonne qualité proposant des scores diagnostiques pour l'IC. Sans doute parce que le diagnostic de l'IC est d'une telle apparente banalité et sa symptomatologie classiquement rapportée dans les textbooks suffisamment connue pour décourager tout investigateur de se lancer dans une telle entreprise. Et pourtant, le sujet reste encore d'une grande actualité, et cela pour plusieurs raisons : il existe maintenant un étalon or pour définir l'insuffisance cardiaque, du moins celle définie comme dysfonction systolique : la diminution de la fraction d'éjection en dessous de 35% (chiffre retenu dans la majorité des études). Or, la plupart des signes cliniques n'ont pas l'objet d'une validation en fonction de ce standard. Deuxièmement, une étude récente portant sur le dépistage de l'insuffisance cardiaque13 a indiqué que, si l'on tient compte de ce critère de fraction d'éjection à< 35%, la moitié des cas détectés n'étaient pas symptomatiques, ce qui fait planer un doute sur la qualité des données cliniques associées à l'IC, en tous cas leur sensibilité.
Il existe une revue par Badgett et coll., dans la série «Rational Clinical Examination» du JAMA,14 sur la valeur diagnostique des signes cliniques habituellement associés à l'IC.
Malheureusement, cette revue souffre du fait qu'elle est basée sur des séries extrêmement hétérogènes, dont celles incluant des patients en attente de greffe cardiaque, où le problème diagnostique de l'IC ne se pose sans doute plus ! De plus, l'utilisation de l'algorithme présenté pour situer la place des données cliniques est malaisée.
Plus intéressante sans aucun doute, même si elle ne propose pas un score en tant que tel, est l'étude faite par Davie et coll.,15 portant sur des patients investigués pour suspicion d'insuffisance cardiaque gauche sur la base d'une dyspnée d'effort. La prévalence d'IC, selon les critères échocardiographiques, était de 16% seulement. Le tableau 4 donne la sensibilité de différents éléments anamnestiques, symptomatiques et physiques, ainsi que leur rapport de vraisemblance (RV) qui permettra au lecteur avisé de calculer la probabilité de l'insuffisance cardiaque chez un patient dyspnéique à l'effort. Il ressort de ces données que les signes fréquemment rencontrés dans l'IC (donc sensibles) ne sont malheureusement pas spécifiques (car leur RV est proche de 1), ils sont donc peu discriminants. Une notable exception : le déplacement du choc de pointe. Par contre, des signes plus rares, tels le galop ou un pouls jugulaire, sont infiniment plus évocateurs du diagnostic d'IC. Les signes classiques, liés à l'orthopnée, la dyspnée paroxystique nocturne, les dèmes périphériques, sont d'un désolant manque de spécificité ! Un caveat cependant : cette analyse critique des éléments cliniques liés au diagnostic clinique d'IC ne va pas corriger le fait que la moitié des patients avec IC sont asymptomatiques si l'on en croit McDonagh et coll.13 Par contre, chez des patients avec symptômes, la connaissance de ces rapports de vraisemblance devrait déboucher sur une réduction de faux diagnostics d'IC. Il serait important que ces données puissent être confirmées chez un plus large échantillonnage de patients et un véritable score développé. Comme quoi les entités les plus classiques sont souvent les moins connues.
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