Sous le titre «Politique folle», Jean Glavany, ministre français de l'Agriculture, publie aujourd'hui un ouvrage tonique dans lequel l'encéphalopathie spongiforme bovine et humaine occupe une large place ; un ouvrage de combat dans l'optique des prochaines échéances électorales nationales dans lequel l'auteur ne cache pas, loi du genre, l'admiration qu'il porte à l'actuel chef du gouvernement, ancien trotskiste devenu socialiste. Un ouvrage aussi dans lequel l'auteur lève à sa façon le voile sur certains des croustillants aspects politiciens.Depuis plus de deux ans, nous avons appris à connaître Jean Glavany. Rencontres, entretiens, échanges téléphoniques, nous avons découvert un homme solide, ardent, courageux, parfois violent, politicien toujours. Avec lui, nous avons mieux compris comment le pouvoir gérait une crise, prenait l'avis des experts, imposait ses décisions et mettait tout en uvre pour ne jamais laisser entrevoir ses doutes, ses hésitations. Deux ans à voir le ministre de l'Agriculture en première ligne, ferraillant à Bruxelles, négociant avec les troupes agricoles de l'Hexagone, ne cessant de faire uvre de pédagogie auprès des téléspectateurs, se faisant photographier chez Lipp en train de manger un steack tartare pour dire la confiance que l'on pouvait avoir dans la viande bovine française. Deux ans durant lesquels il occupa avec courage un rôle qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait joué, celui d'ardent défenseur de la santé publique orientant progressivement le ministère de l'Agriculture et de la pêche vers celui de l'alimentation. Quoi qu'on pense par ailleurs, il faudra se souvenir de ce tournant historique qui vit un ministre traditionnellement défenseur des paysans et de l'agroalimentaire commencer à mener, souvent avec brio et toujours avec pugnacité, un combat au nom de la santé dans l'espace national et européen.Deux ans où tout n'a pas toujours été simple tant l'homme est entier, peu ouvert à la critique, fut-elle fondée. Nous gardons notamment en souvenir cet échange téléphonique violent quelques heures après la publication dans les colonnes du Monde d'un article dans lequel, à propos des atermoiements gouvernementaux concernant le retrait de la totalité des intestins bovins des circuits alimentaires, nous écrivions que le gouvernement abandonnait la mise en uvre du principe de précaution pour regagner les rives antiques et bien connues du principe de prévention. «Contrairement à ce qui avait été annoncé ces derniers mois par les autorités sanitaires, le gouvernement vient de renoncer à interdire l'utilisation, dans les circuits d'alimentation humaine et animale, de la totalité des intestins des bovins, écrivions-nous en juin 2000. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, devait signer, jeudi 22 juin, un arrêté en ce sens. Une telle décision est d'autant plus surprenante que la mise en uvre de cette mesure de prévention, vis-à-vis de la dissémination de l'agent pathogène responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine, est recommandée depuis un an par les experts français des maladies à prions réunis au sein du comité présidé par le Dr Dominique Dormont.»Quelques mois plus tard, la mesure fut prise mais, dans l'instant, ces quelques lignes suscitèrent l'ire d'un ministre de l'Agriculture par ailleurs ancien joueur de rugby (nous avons le souvenir lointain d'échanges nocturnes en terre tourangelle, du type de ceux que l'on qualifie pudiquement de «virils mais corrects») et qui pratique aujourd'hui le canyoning, «sport de montagne à très haut risque.» Un ministre qui, parmi toutes ses qualités, jouit d'une mémoire sans faille comme en témoignent les multiples anecdotes qu'il nous livre dans «Politique folle», à commencer par celle du «coup de Jarnac de Jacques Chirac» en référence à la prise de parole du Président de la République, datée du 25 octobre 2000, pour réclamer au gouvernement l'interdiction des farines animales et la mise en place de tests de dépistage de l'ESB.«Après tout le Président peut s'exprimer sur le sujet de son choix, reconnaît M. Glavany. C'est sa liberté, même si personne n'ignore qu'il lui arrive de céder à la tentation de faire des «coups politiques». Nous avons tous nos petites faiblesses. Mais fallait-il vraiment s'adresser au peuple depuis l'Elysée, sur fond de drapeaux tricolore et européen, dans un discours retransmis par l'ensemble des chaînes télévisées, et sur l'air de la patrie en danger, pour lancer le message jupitérien : «Il faut absolument, tout de suite, immédiatement, interdire les farines animales» ? Une telle dramatisation ne correspondait en rien à une réelle urgence et n'était pas faite pour aider un gouvernement occupé à rechercher la meilleure solution possible au problème. La politique folle !»Pour M. Glavany, la politique folle, c'est encore cette «course éperdue derrière le risque zéro qui emporte tout sur son passage». C'est «cette quête effrénée de coupables comme seule réponse aux drames humains». Aux politiques de trouver «un chemin de raison» dans un paysage fait d'émotion, d'irrationnel et de vils calculs politiciens. «N'est-ce pas alors folle prétention que de vouloir gouverner dans de telles conditions ? s'interroge notre gouvernant. Non. Parce que ces scènes de folie ordinaire n'empêchent pas la connaissance et le progrès de l'emporter au bout du compte.» On retrouve là, avec grand plaisir, la foi en la science, sinon toujours dans les médecins conservateurs, de l'homme de gauche.