Interposé entre la mère et son foetus, le placenta est le reflet de cette relation étroite. Toute perturbation physiologique de la mère ou de l'enfant peut produire des lésions à cette interface et influencer l'évolution optimale de la grossesse. Un examen approprié du placenta est donc un élément important sinon indispensable pour la compréhension du déroulement de la grossesse et parfois même permet de révéler des pathologies dont les implications ne se limitent pas à la grossesse en cours, mais peuvent se répéter au cours des grossesses futures.Une revue des principales pathologies qui peuvent être suggérées par l'examen histopathologique du placenta semble le meilleur moyen de solliciter l'intérêt pour cet organe, capital pour le développement du ftus.
Bien que généralement tout le matériel chirurgical soit soumis pour examen pathologique, le placenta ne semble pas être considéré à part entière, une pièce chirurgicale.
On ne pose jamais la question si l'on doit soumettre à la pathologie un sac herniaire ou une vésicule biliaire mais la question se pose en revanche pour le placenta. Ce problème vient du fait que tous les placentas ne nécessitent pas un examen anatomopathologique approfondi. Heureusement, la plupart des grossesses se déroulent normalement. Mais parfois des évolutions anormales pour la mère ou l'enfant auraient pu bénéficier de renseignements que l'examen du matériel placentaire apporte.
En effet, le rôle du placenta dans la croissance ftale est essentiel puisqu'il est le site des échanges nutritifs et gazeux entre la mère et le ftus et qu'il produit de nombreuses hormones et facteurs de croissance nécessaires au maintien de la gestation et au développement ftal.1
Pour le ftus toute altération primitive ou secondaire de la fonction placentaire peut contribuer à des problèmes de développement que ce soit au cours de la grossesse ou lors de situations pathologiques après la naissance.
Le taux de pathologies placentaires est élevé dans certaines situations comme le retard de croissance intra-utérin (RCIU) par exemple.2,3,4 Et le nombre d'indications à un examen du placenta est relativement important (tableau 1). Les renseignements que l'on peut obtenir sont nombreux et précieux, non seulement pour la grossesse en cours, mais parfois pour une évaluation en cas de grossesses suivantes.
En effet, le placenta peut jouer un rôle dans de multiples pathologies dont les plus importantes sont à regrouper en cinq grandes catégories :
I Malformations placentaires et d'implantation (y compris cordon et membranes).
I Anomalies vasculaires (troubles circulatoires utéro-placentaires).
I Atteintes infectieuses.
I Maladies systémiques (diabète, HTA, maladie de surcharge, etc.).
I Maladies trophoblastiques (môle, dysplasie placentaire).
La plupart des anomalies du cordon sont suspectées à l'échographie. Certaines n'ont pas de signification pathologique comme les faux-nuds, des palmures membraneuses, un rétrécissement du cordon à l'insertion chez les ftus macérés. D'autres peuvent amener à des pathologies ftales (agénésie du cordon, insertion marginale ou vélamenteuse, artère ombilicale unique ou hypoplasique, double veine ombilicale, cordon long ou court).5
Le cordon long favorise la compression des vaisseaux par procidence, étirement ou circulaire. Le cordon court risque la déchirure et est responsable de décollement placentaire ou de tractions pendant la délivrance.
Certaines anomalies n'ont pas de signification comme la présence de vestige de la vésicule vitelline, la métaplasie malpighienne de l'amnios, le kyste cytotrophoblastique sous-chorial.
D'autres anomalies peuvent être pathologiques. La coloration verte des membranes est le signe d'une souffrance ftale avec présence de méconium dans le liquide amniotique. L'épaississement blanchâtre avec fragilisation des membranes révèle souvent une chorio-amnionite. L'amnion nodosum est le témoin d'un oligoamnios chronique.
Le placenta normal a une forme ronde ou ovalaire. Il peut avoir des contours irréguliers, être polylobé et ce, sans répercussion majeure sur l'évolution de la grossesse. Toutefois, la taille du placenta est importante. Une placentomégalie (poids > 600 g à terme) peut être en relation avec un diabète gestationnel maternel, une maladie de surcharge chez le ftus. Une hypotrophie peut révéler des troubles de la circulation utéro-placentaire.
La pathologie vasculaire représente un secteur important des lésions placentaires. Dès le début de la formation du placenta, un défaut de transformation des artères utéro-placentaires peut entraîner une diminution de la perfusion de la chambre intervilleuse et une hypoxie chronique. Des facteurs maternels comme l'hypertension artérielle, le lupus érythémateux disséminé, la néphropathie chronique peuvent être à l'origine de cette défaillance, de même qu'une infiltration trophoblastique insuffisante des artères spiralées peut être incriminée. Le placenta sera alors le siège de lésions d'insuffisance chronique (collapsus de l'espace intervilleux lobulaire, rétraction des villosités avec tassement des nuds syncitiaux, réapparition de l'assise cytotrophoblastique périvillositaire).
Des lésions plus aiguës sous forme d'une augmentation de la fibrine sous-choriale et périvilleuse, de foyers d'intervillite ischémique avec formation de petits infarctus peuvent être retrouvées dans le placenta et indiquer des troubles de la circulation utéro-placentaire plus récents. A noter la présence de ce type de lésions vasculaires à répétition lors de grossesses successives chez des femmes souffrant d'un facteur antiphospholipides.
Le placenta est un lieu prédisposé à l'infection. Les germes proviennent de la mère par voie sanguine, par voie ascendante endocervicale ou par contiguïté à partir de l'endomètre. La fréquence des infections néonatales, congénitales ou acquises varie dans le temps et selon le milieu. Les infections bactériennes prédominent nettement sur les infections du groupe TORCH (toxoplasmose, rubéole, cytomégalovirus, herpès) et autres virus. La date de l'infection détermine souvent le type de complication. Une infection précoce sera responsable d'avortements ou de malformations (TORCH). Une infection tardive sera à l'origine de RCIU, de prématurité et surtout d'infections néonatales.
Le placenta peut être le siège d'une atteinte infectieuse à différents niveaux.6
La chorio-amnionite se révèle par des infiltrats leucocytaires denses associés à de la nécrose et des colonies bactériennes dans les membranes. Elle s'observe lors de rupture prématurée des membranes, d'une infection placentaire maternelle comme la listériose, parfois à la suite d'une amniocentèse, d'une ftoscopie, une transfusion intra-utérine ou une endocervicite. Les germes pathogènes les plus fréquemment rencontrés sont le streptocoque ß hémolytique, le streptocoque A, le Staphylococcus aureus, des mycoplasmes, le Neisseria Gonorrhea et rarement du candida. La complication la plus fréquente d'une chorio-amnionite est l'accouchement prématuré et l'hypoxie ftale. Le ftus risque de développer dans ces conditions une pneumonie congénitale par aspiration du liquide amniotique infecté, une otite moyenne ou même une méningite.
Sous ce terme, on désigne toute inflammation placentaire touchant à la fois la composante maternelle (les zones intervillositaires) et la composante ftale (les villosités, les vaisseaux ftaux, le chorion).
Les infections à streptocoque ß hémolytique du groupe B sont responsables d'une mortalité ftale élevée soit au terme de la grossesse, pendant le travail ou au cours des premières heures de vie.
Les infections à bacilles Gram négatif sont fréquentes en période néonatale (E. coli, Proteus). Elle peuvent être graves pour le nouveau-né en raison de la libération d'endotoxines (CIVD).
Dans les infections à Listeria (fig. 1), l'atteinte placentaire est presque constante à partir de la seizième semaine. Elle apparaît sous forme de multiples petits abcès blanc-jaune, disséminés dans les lobules et parfois à la surface maternelle ou ftale du placenta. L'image histologique est assez caractéristique avec des leucocytes en couronne à la périphérie des villosités.
Les placentites tuberculeuses, actinomycosiques, syphilitiques et à spirochètes sont rares.
Certaines infections virales chez la mère ont rarement une traduction morphologique dans le placenta (grippe, hépatite, etc.). D'autres sont difficiles à déceler (Parvovirus, rubéole, herpès, etc). Dans ces cas, l'inflammation est absente ou minime. Le diagnostic peut être suggéré par la présence d'inclusions dans les macrophages, l'endothélium des vaisseaux ftaux, le trophoblaste ou dans les cellules déciduales.
La plus fréquente des infections ftales (1% des nouveau-nés). Les lésions histologiques sont souvent nécrosantes avec une villite lymphoplasmocytaire faisant rechercher les inclusions caractéristiques en il de hibou.
Bien que rare, une varicelle chez la mère peut provoquer une infection très nécrotique du placenta associée à une réaction gigantocellulaire et épithélioïde.
Certaines de ces infections provoquent une infection des membranes et une villite chronique à prédominance lymphocytaire avec fibrose des villosités comme le Toxoplasma gondii. D'autres se caractérisent par une villite nécrosante souvent granulomateuse comme le trypanosoma cruzi de la maladie de Chagas. L'atteinte granulomateuse du placenta peut révéler une infection à schistosomes.
Ce syndrome propre à la grossesse se traduit chez la mère par une hypertension avec une protéinurie et des dèmes. Bien qu'aucun signe ne soit spécifique, quelques lésions particulières ont été retrouvées dans le placenta. Parfois on peut mettre en évidence un retard de maturation des villosités, un épaississement des membranes basales trophoblastiques, un dème des villosités, une proéminence de nuds syncitiaux, une hypovascularité des villosités, une augmentation de nécrose fibrinoïde péri-villeuse. Une hypothèse émise à l'origine de cette pathologie implique une mauvaise infiltration trophoblastique des artères spiralées, ce qui peut induire des lésions ischémiques secondaires et l'apparition d'un cercle vicieux avec augmentation de la résistance vasculaire placentaire.7
Les lésions placentaires dans le placenta de mère souffrant d'hypertension essentielle sont superposables à celles de la pré-éclampsie à une exception, l'absence de nécrose fibrinoïde.
Le diabète maternel est une complication importante et complexe de la grossesse. Une placentomégalie est observée dans certains cas. A l'examen histologique, on trouve un dème ou de la fibrose des villosités dont le degré de maturité peut être variable par rapport à l'âge de développement, une nécrose fibrinoïde des villosités choriales et des changements vasculaires. Ces lésions ne semblent pas correspondre avec le degré de l'atteinte diabétique chez la mère. Ce type de situation a été parfois confondu avec la notion de diabète gestationnel, qui correspond à une glycosurie avec hyperglycémie survenant chez une femme non diabétique en cours de grossesse, cette symptomatologie disparaissant après la grossesse. En présence de ce tableau clinique, le placenta présente les mêmes modifications que lors d'un diabète maternel mais de façon moins marquée et moins fréquente.8Ce qui ne permet pas de distinguer par l'étude du placenta le type de diabète de la mère.
Des complications de la grossesse sous forme d'abortus ou de mort ftale sont souvent associées à cette maladie. Le parenchyme placentaire est le siège de nombreux infarctus avec artérite nécrosante associés à la présence d'anticorps antiphospholipides.
Les villosités placentaires peuvent donner des informations sur des pathologies ftales telles que les maladies de surcharge. En effet, la présence de matériel non métabolisé accumulé dans le trophoblaste villositaire, les cellules stromales, les cellules de Hofbauer, l'endothélium des vaisseaux ftaux peut suggérer une maladie métabolique chez le ftus. De nombreuses maladies de surcharge, auront pour témoin le placenta telles que les sphingolipidoses (maladie de Nieman-Pick), les gangliosidoses (maladie de Tay-Sachs, maladie de Sandhoff ), les glycogénoses (maladie de Pompe), les mucopolysaccharidoses (maladie de Hurler, maladie de San Filippo, maladie de Morquio) et d'autres plus rares comme la sialidose.
Malgré quelques différences décrites dans la littérature, l'examen histologique standard, ne permet pas le diagnostic précis de ces entités et le recours à des techniques plus sophistiquées telles que la microscopie électronique, des tests biochimiques sur cultures de fibroblastes, ou la biologie moléculaire sont nécessaires pour aller plus loin dans le diagnostic lorsque ce type de pathologie est suspecté.
Toutefois, ce type de renseignement à la naissance, peut s'avérer précieux pour une prise en charge diagnostique et thérapeutique précoce de l'enfant qui présente cette pathologie.
Les métastases placentaires sont exceptionnelles. Une placentomégalie peut en résulter. Des amas de cellules cancéreuses ont été décrits dans les cancers maternels du sein, du col utérin, de l'estomac, dans les leucémies et les mélanomes. Ces cellules n'envahissent que peu ou pas les villosités d'où le faible taux d'atteinte cancéreuse ftale dans ces situations.
Des cellules tumorales dans les villosités et surtout dans les vaisseaux ftaux peuvent révéler une tumeur primitive chez l'enfant comme le neuroblastome ou l'hépatoblastome.9
Mis à part les maladies trophoblastiques gestationnelles bien connues comme la môle partielle, complète (fig. 2) ou invasive qui doivent nécessairement faire l'objet d'une étude extensive pour le suivi régulier des patientes qui sont à risque de développer un choriocarcinome, des modifications du parenchyme placentaire sont parfois décrites comme le reflet possible d'une anomalie chromosomique du placenta ou du ftus. Ces changements sont d'ailleurs plus fréquents dans des situations de mosaïque placentaire.
Certaines situations comme l'abortus spontané précoce ou les grossesses non évolutives laissent place à des spéculations quant à leur cause. L'examen histologique du matériel d'abortus ou de curetage permet de déceler certaines anomalies morphologiques orientant le diagnostic vers la mort in utero de l'embryon ou du ftus par la présence de débris de globules rouges nucléés dans les vaisseaux ftaux. Parfois des images d'infiltration insuffisante des artères spiralées soulignent la possibilité d'une anomalie de l'implantation trophoblastique. Dans d'autres circonstances, des anomalies mor-
phologiques des villosités suggèrent un mauvais développement de ces dernières. A l'origine de ce trouble à côté des lésions vasculaires, il faut considérer des anomalies du caryotype ftal.
Un certain dysmorphisme des villosités comme leur contour irrégulier avec indentations du trophoblaste, la présence d'inclusions trophoblastiques intravillositaires, l'hyperplasie trophoblastique des villosités surtout lorsqu'elle prend un aspect circulaire autour de celles-ci fait suspecter la présence d'anomalies chromosomiques (fig. 3). Bien que certaines études aient mis en doute la possibilité d'identifier ces caractéristiques de façon reproductible, l'analyse du contenu en ADN par cytométrie des populations cellulaires de ces villosités, permet la détection de cas aneuploïdes, tri- ou tétraploïdes suggérant la possibilité d'anomalies chromosomiques voire parfois d'un mosaïcisme (fig. 4). Ceci, pouvant alerter le clinicien et les parents quant aux éventuels risques à envisager en cas de grossesses ultérieures.
En conclusion, cette revue succincte des pathologies placentaires a pour but de souligner l'importance de l'examen du placenta pour la compréhension de l'évolution d'une grossesse, arrêtée précocement ou tardivement ou pour expliquer les problèmes périnataux chez le nouveau-né comme un retard de croissance intra-utérine, une infection congénitale ou tout autre déficit survenant dans la petite enfance. De plus, cet examen permet parfois la recherche précoce de pathologies particulières chez le nouveau-né et sa prise en charge rapide ainsi qu'un contrôle adéquat de certaines grossesses ultérieures en présence d'un problème génétique.