La biopsie hépatique joue un rôle essentiel dans la prise en charge des patients avec hépatite chronique C. Elle est le gold standard actuel pour quantifier les lésions inflammatoires et la fibrose qui conditionnent les traitements antiviraux. Elle permet d'établir un pronostic, de rechercher d'éventuelles maladies associées et d'exclure des complications telles que cirrhose ou carcinome hépatocellulaire. La classification actuelle de l'hépatite chronique C est basée sur l'évaluation du grade et du stade histologiques. Le compte rendu de pathologie dans la routine d'un laboratoire est descriptif et semi-quantitatif. Le score numérique, en principe réservé à des spécialistes dans le cadre de protocoles ou d'études contrôlées, ne doit pas être utilisé sans que les éléments qui le constituent soient clairement détaillés.
Le virus de l'hépatite C (VHC), qui n'a été identifié que récemment, est une cause importante d'hépatite. L'OMS estime que 170 millions d'individus dans le monde, dont 10 millions en Europe de l'ouest, seraient concernés.1 L'histoire naturelle de l'infection par le VHC est caractérisée par une hépatite aiguë le plus souvent asymptomatique, dont le risque principal est le passage à la chronicité (80%), avec évolution vers la cirrhose (20%) et le carcinome hépatocellulaire (3 à 5%), dont l'incidence augmente dans les pays industrialisés. L'infection par le virus C est en train de devenir un problème de santé publique dans notre pays comme dans le reste de l'Europe occidentale et aux Etats-Unis.
L'infection chronique C est très hétérogène tant sur le plan clinique qu'évolutif, sa durée pouvant varier de vingt à quarante ans en fonction de l'âge de la contamination (supérieur à 40 ans), du sexe (évolution plus rapide chez les hommes que chez les femmes), de la consommation d'alcool (supérieure ou égale à 80 g/jour), de la présence de co-infections (VIH, VHB).2,3
L'histoire naturelle de l'infection par VHC nécessite une prise en charge diagnostique et thérapeutique précoce pour prévenir la cascade évolutive de la maladie vers la cirrhose et ses complications. Il n'existe pas de critères virologiques permettant de présumer de l'intensité des lésions hépatiques ou d'établir un pronostic,4 ni de corrélations entre le taux de transaminases et l'atteinte histologique du foie en particulier l'étendue de la fibrose.5,6,7 De plus, il existe une corrélation inverse entre la présence d'une fibrose extensive ou d'une cirrhose et la réponse au traitement antiviral.8 La biopsie hépatique joue donc un rôle-clé dans la prise en charge des patients avec hépatite chronique C ;9,10,11les données qu'elle fournit permettront au clinicien d'élaborer une stratégie thérapeutique et/ou la surveillance du patient.
La biopsie de foie n'est qu'exceptionnellement pratiquée à la phase aiguë de la maladie, et les lésions observées ne sont pas spécifiques de l'origine C. Par contre, le rôle de l'anatomopathologiste est important dans la prise en charge des patients atteints d'une hépatite chronique. La ponction-biopsie hépatique permet :
1. de confirmer le diagnostic d'hépatite chronique ;
2. d'en déterminer l'activité nécrotico-inflammatoire (grade histologique) et le degré de la fibrose (stade histologique) ;
3. d'exclure une autre hépatopathie ou une maladie associée ;
4. d'établir le diagnostic de cirrhose et/ou de carcinome hépatocellulaire.
Comme toutes les hépatites chroniques, l'hépatite chronique liée au virus C se caractérise par une atteinte inflammatoire des espaces portes, de l'interface et du lobule, associée ou non à de la fibrose avec ou sans remaniement structural. Il n'y a pas de lésions hépatiques spécifiques de l'infection par le virus C mais certains éléments tels que la stéatose hépatocytaire microvésiculaire, la présence d'agrégats lymphoïdes intraportaux et de lésions inflammatoires des canaux biliaires suggèrent cette étiologie (fig. 1 et 2).
La détection du virus C sur coupes histologiques par des techniques immunohistochimiques ou de biologie moléculaire est possible, mais n'est actuellement pas utilisée dans le diagnostic de routine.12
La classification des hépatites chroniques a suscité de nombreuses polémiques, et a surtout apporté beaucoup de confusion.13,14 L'approche actuelle prend en compte trois considérations principales, l'étiologie, le grade et le stade histologiques. Le diagnostic d'hépatite C implique d'une part la confirmation d'une infection par le virus C, d'autre part l'évaluation de la gravité de l'atteinte hépatique. L'étiologie virale C ne peut pas être déterminée avec certitude sur des bases seulement histologiques et nécessite des investigations de laboratoire, en particulier sérologiques. La biopsie hépatique est par contre le gold standard pour établir le grade et le stade. Le grade histologique est le reflet de l'atteinte nécrotico-inflammatoire de l'infection et par conséquent de son activité. Il permet ainsi de pronostiquer l'évolution de l'hépatite ainsi que sa réponse au traitement. Le stade détermine l'importance et l'extension de la fibrose et est en principe irréversible.
De nombreuses classifications des hépatites chroniques ont été proposées dans la littérature. La classification en hépatite persistante, agressive et lobulaire date de plus de vingt ans, et est obsolète. Les classifications modernes visent à quantifier les lésions histologiques en établissant un score numérique basé sur le degré d'activité inflammatoire et de fibrose présente dans le foie. Pour qu'un système soit applicable, il doit présenter plusieurs caractéristiques. Premièrement, il doit inclure toutes les données nécessaires à déterminer la sévérité et la gravité de la maladie. Deuxièmement, il doit être facile à élaborer et être reproductible avec une variation intra- et interobservateurs raisonnable. Enfin, il doit présenter une utilité clinique, en permettant d'établir un pronostic et une stratégie thérapeutique. Les scores les plus connus et les plus couramment utilisés sont le score de Knodell,15 les scores modifiés de Scheuer16 puis d'Ishak,17 le score du groupe français METAVIR.18 L'index histologique d'activité proposé par Knodell en 1981 (tableau 1) a été le premier score numérique publié. Il se base sur quatre critères histologiques principaux : la nécrose portale de l'interface avec ou sans nécrose confluante, l'atteinte nécrotico-inflammatoire intralobulaire, l'inflammation portale, et la fibrose, fournissant un chiffre final compris entre 0 et 22. Ce score a été largement utilisé dans le monde et est toujours apprécié des cliniciens. Il présente néanmoins les limites suivantes : il n'est pas linéaire ; il additionne des paramètres évaluant le grade (nécrose et inflammation) à des paramètres évaluant le stade (fibrose) ; sa reproductibilité est mauvaise ; il combine l'hépatite de l'interface à la nécrose confluante, qui fait partie de l'atteinte lobulaire.
Dans le score simplifié de Scheuer,16 les deux composants principaux de l'activité nécrotico-inflammatoire sont pris en compte séparément, chacun selon une échelle variant entre 0 et 4. Le degré de fibrose est déterminé indépendamment du grade également selon une échelle variant entre 0 et 4. Par rapport au score de Knodell, ce système a l'avantage d'être linéaire et de considérer séparément grade et stade. L'échelle qu'il propose est cependant plus restrictive, ce qui est sans importance pratique dans l'évaluation de la réponse thérapeutique. D'autre part, sa reproductibilité n'est pas satisfaisante, les divers critères histologiques utilisés n'étant pas suffisamment définis.
Le score d'Ishak17 représente une extension du score initialement proposé par Knodell, avec un nombre mineur de modifications. En comparaison, il a pour avantage d'être basé sur une échelle continue, de considérer l'activité nécrotico-inflammatoire et la fibrose séparément (de 0 à 18 pour le grade, de 0 à 6 pour le stade), d'individualiser la nécrose confluante intra-parenchymateuse de l'hépatite de l'interface.
En 1996, un groupe d'hépatologistes français propose, pour la classification des hépatites chroniques virales d'origine C, le score de METAVIR18 (tableaux 2, 3 et 4). Ce score, comme les deux scores précédents, a l'avantage d'être linéaire, de dissocier inflammation et fibrose ; sa reproductibilité tant intra- qu'interobservateurs est par contre supérieure.
Tous les systèmes de classification basés sur un score histologique numérique soulèvent un certain nombre de questions.19
Le problème fondamental des différents systèmes proposés, est que le chiffre final indiqué par le score ne représente pas la mesure d'une variable continue, un score identique pouvant en effet se rapporter à plusieurs catégories d'activité. En voici un exemple pratique. La nécrose panacinaire correspond à un score de dix points et la nécrose lobulaire focale à un score d'un point dans la classification de Knodell, à un score respectivement de quatre points et d'un point dans celle de Scheuer, à un score respectivement de six points et d'un point dans celle d'Ishak, alors que tous les systèmes reconnaissent que la nécrose panacinaire est une lésion plus sévère que la nécrose lobulaire focale. Les points attribués à chaque lésion sont donc totalement arbitraires et n'ont aucune valeur mathématique.
D'autre part, le score numérique résulte de l'addition de lésions n'ayant pas toutes une signification pronostique semblable. Un même score peut ainsi correspondre à une image histologique complètement différente (tableau 5). Le système d'évaluation proposé par le groupe METAVIR résout au moins partiellement cette difficulté.
La reproductibilité des résultats est sujette à des variations tant intra- qu'interobservateurs, indépendamment de la méthode utilisée et même par des experts.20 Dans tous les systèmes, l'appréciation de la fibrose a une meilleure reproductibilité que celle de l'activité nécrotico-inflammatoire. Pour améliorer les résultats, certains préconisent l'évaluation de chaque biopsie par au moins deux pathologistes expérimentés. La classification selon METAVIR semble reproductible sans avoir recours à ce stratagème.
Finalement des erreurs peuvent être liées à l'échantillonnage. Même si l'hépatite chronique est un processus diffus, l'extension de la fibrose et l'intensité de l'activité inflammatoire sont parfois hétérogènes. La fibrose sous-scapulaire n'est pas représentative de la fibrose du reste du parenchyme hépatique et une biopsie en provenance de cette zone est impropre à l'évaluation du stade de la maladie. Pour être interprétable, une biopsie doit comporter un minimum de quatre espaces portes complets. Indépendamment de la longueur et de l'épaisseur du prélèvement, il ne faut pas oublier qu'un matériel de biopsie à l'aiguille n'est pas toujours approprié pour reconnaître une cirrhose macronodulaire.
Une biopsie de foie doit être pratiquée avant toute considération thérapeutique chez les patients atteints d'une hépatite chronique C. Malgré ses limitations, le score numérique est l'outil de choix pour évaluer le grade et le stade de l'hépatite de patients enrôlés dans des protocoles cliniques ou des études contrôlées. Son application est cependant réservée à des spécialistes, afin d'assurer la reproductibilité et la fiabilité des résultats. Chaque expert utilise idéalement la classification qui lui est la plus familière.
Le compte rendu de pathologie dans la routine d'un laboratoire reste descriptif et rapporte séparément et semi-quantitativement l'évaluation de l'activité nécrotico-inflammatoire et de la fibrose en usant de termes tels que «minime», «léger», «modéré», «sévère». Un score numérique ne doit pas être mentionné, sans que les éléments qui le constituent soient clairement détaillés.
La biopsie hépatique est le gold standard actuel pour quantifier les lésions inflammatoires et la fibrose qui conditionnent les traitements antiviraux. Elle permet d'établir un pronostic, de rechercher des maladies associées et/ou d'exclure des complications.