«Fiasco» : de la locution italienne far fiasco qui équivaut à notre «échouer.» Le Petit Robert nous précise que ce terme peut être utilisé pour évoquer ou définir «un échec d'ordre sexuel chez l'homme» (pourquoi uniquement chez lui ? et comment parler du phénomène symétrique dans l'autre genre ?) ainsi, dans un domaine moins privé, qu'un «échec complet et notoire». Dans les deux cas, le contraire est bien évidemment la réussite, encore que l'on puisse raisonnablement douter que l'absence de fiasco chez l'homme coïncide dans tous les cas à une réussite féminine. Mais nous nous égarons.Le terme fiasco a aussi été volé aux Italiens par les Anglais. Et c'est avec justesse qu'il vient de faire la Une de nombreux titres de la presse britannique pour résumer une affaire dont nos amis britanniques auraient sans doute bien volontiers fait l'économie.Résumons. On se souvient que l'une des questions essentielles aujourd'hui toujours sans réponse est celle du passage ou non de l'agent de la maladie de la vache folle au mouton. Les cas de tremblante observés au Royaume-Uni (entre 5000 et 10 000 par an, indique-t-on de bonne source) sont-ils bien des cas de tremblante ou, comme on peut raisonnablement le redouter, des cas de ce qu'il faudrait appeler encéphalopathie spongiforme ovine ? Or, le gouvernement de Tony Blair vient de reconnaître ne pas être en mesure de publier les résultats d'une vaste recherche engagée, il a quatre ans, et qui visait, précisément, à établir si l'agent de l'ESB était ou non présent dans le cheptel ovin d'outre-Manche. L'annonce que le matériel biologique sur lequel travaillaient les scientifiques n'était pas le bon, des cerveaux ovins ayant été confondus avec des cerveaux de bovins. L'affaire est d'autant plus incroyable que l'on avait réuni à cette fin un pool de près de 3000 cerveaux d'ovins atteints de tremblante et que les scientifiques travaillaient (ou plus exactement croyaient travailler) depuis quatre ans sur ce précieux matériel.Les autorités de Londres ont, dans un premier temps, expliqué qu'il y avait eu contamination croisée du pool de cerveaux de mouton par des instruments ayant déjà servi à autre chose, voire par la présence d'une proportion minime de cerveau bovin dans le pool de 2860 prélèvements de cerveaux ovins. Quelque temps plus tard, on apprenait que les scientifiques avaient bel et bien utilisé «par erreur» des cerveaux de bovins et non les cerveaux de moutons sur lesquels ils croyaient travailler. On aurait confondu le matériel contenu dans un récipient marqué «ovine» mais dont le «b» initial aurait par mégarde disparu. L'erreur est humaine certes, elle peut même parfois être scientifique. Mais à ce point, peut-on parler d'erreur ? Ne faut-il pas voir là un lapsus insulaire, le subconscient britannique refusant de savoir quelle réalité, quel démon, épidémiologique l'habite.Ce fiasco a vivement irrité les experts non britanniques de la Commission européenne. Il a aussi, pour la première fois dans l'histoire de la vache folle, jeté un sérieux doute sur la qualité des travaux scientifiques menés outre-Manche et plongé le gouvernement dans l'embarras. Le Pr David King, conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique, a pour sa part annoncé jeudi 25 octobre qu'une nouvelle étude sur ce thème allait être lancée à partir d'une nouvelle technique permettant d'établir dans les 48 heures si un animal est atteint de l'ESB. Il a toutefois précisé qu'il faudrait attendre «des mois plutôt que des semaines» avant de parvenir à des conclusions définitives du fait notamment du grand nombre de tests qui devront être pratiqués pour que la réponse soit statistiquement significative.Tout cela survient aussi alors que l'hypothèse du passage au mouton du prion pathologique de l'ESB est aujourd'hui tenue pour hautement vraisemblable comme en témoigne un avis du comité scientifique directeur (CSD) de la Commission européenne que Bruxelles vient de rendre public. Faut-il redire que la démonstration scientifique de la possibilité de ce nouveau franchissement de la barrière d'espèce par l'agent de l'ESB a été fournie il y a plusieurs années déjà et que rien n'a encore été démontré sur le terrain ? Dans l'attente d'une réponse scientifique claire que les Britanniques reconnaissent être dans l'incapacité de donner les experts du CSD formulent désormais une série de recommandations qu'ils souhaitent voir mises en uvre de manière urgente. «Nous souhaitons savoir au plus vite quelle est l'ampleur réelle des affections spongiformes transmissibles chez les ovins des pays de l'Union et tout particulièrement en Grande-Bretagne. Nous recommandons pour cela la mise en uvre au plus vite de tests qui permettront de faire rapidement la distinction entre l'ESB et la tremblante, a déclaré, au Monde, Gérard Pascal, président du CSD. Nous estimons d'autre part indispensable que des travaux soient menés pour déterminer si les races de moutons naturellement résistants à la tremblante ne sont pas en réalité des porteurs sains de l'agent de l'ESB susceptibles de véhiculer l'infectivité».