Edito: Plaidoyer pour un centre de recherche sur le vieillissement
à Genève
J.-P. Michel et K.-H. Krause
Rev Med Suisse
2001; volume -3.
21748
Résumé
En ce début de XXIe siècle, la question du «Pourquoi vieillit-on ?» est certainement très ancienne et pourtant, la «science du vieillissement» n'en est qu'à ses balbutiements. Ses multiples facettes la rendent fascinante. La difficulté de cerner correctement le vieillissement explique qu'il ait été négligé jusqu'alors par les chercheurs.Aujourd'hui, les cliniciens se trouvent confrontés à des clients qui n'ont jamais été aussi âgés. Il n'est pas rare d'avoir dans les services de gériatrie des malades qui se disputent le record d'âge. Dans la même chambre coexistent souvent des hommes de 93 ou 97 ans jaloux de leur voisine de palier qui, à 103 ans, vit encore seule à domicile, sans aide, si ce n'est celle hebdomadaire de sa fille âgée d'à peine 80 ans
Le décalage des âges est tellement bouleversant qu'il est souvent dit de cette entrante de 72 ans qu'elle est la «benjamine» du service. Ailleurs, cet homme de 61 ans fait exception, car usé par la vie, les traumatismes et l'alcool, il requiert des soins de type «gériatrique», c'est-à-dire des soins personnalisés, holistiques car intégrant les comorbidités et la «fragilité» acquise sur la trajectoire d'une longue vie, pleine de richesses, de pertes, de souffrance et de volonté (S. Pautex et coll.).Ces soins intégratifs doivent de plus en plus reposer sur une connaissance nouvelle d'un organisme modifié par les habitudes alimentaires, les multiples facteurs de risque, les traumatismes, les maladies aiguës (G. Gavazzi et coll., D. Zekry et coll.), mais surtout la chronicité des pathologies dégénératives (P. Ammann et coll.). L'intensité des soins prodigués doit tenir compte des nouvelles normes démographiques et des potentialités individuelles (A. Laszlo et coll., G. Zulian et coll.).Ainsi, pour la première fois, la médecine s'adresse à des personnes qui n'ont jamais été aussi vieilles (en Suisse, le nombre de centenaires a été multiplié par 100 en un siècle). Or, toutes les études biologiques (apports alimentaires requis), physiologiques (réduction des réserves physiologiques), médicamenteuses (géronto-pharmacologie) se limitaient jusqu'à ces dernières années à 65 ans
âge de la retraite déterminé juste après «la Grande Guerre». Aujourd'hui, une Genevoise de 65 ans peut encore espérer vivre en moyenne, une vingtaine d'années. Alors, que faire ? Que dire à cette jeune retraitée ? Que la médecine n'est plus adaptée à partir de cet âge ? Que «son ticket n'est plus valable» ? Ou se battre pour faire de la gériatrie une nouvelle discipline médicale, avec sa propre approche clinique, basée sur une connaissance biologique, physiologique et pharmacologique fondamentale précise ?Si ces problématiques se révèlent particulièrement en milieu institutionnel du fait de la concentration des plus âgés, elles existent, plus diversifiées et criantes encore, au sein de la communauté. Les règles de vie interfèrent grandement sur la longévité (D. Spini et coll.). Les interventions médico-psycho-sociales (D. Marcant) se font alors au coup par coup, sans planification, sans réelle intégration dans un programme de soins idéal qui impliquerait politiciens, administratifs de santé, économistes et soignants de toutes catégories. Une meilleure connaissance intégrative des potentialités, des besoins, des attentes et des ressources profondes serait intéressante et surtout moralement et économiquement très bénéfique pour l'ensemble de la société.C'est pourquoi il paraît important de bénéficier de l'avance de la communauté scientifique genevoise pour favoriser la création d'un centre de recherche sur les diverses facettes de la problématique du vieillissement (I. Irminger et coll.). Ce centre pourrait cristalliser les efforts produits en sciences humaines, biologiques et techniques, pour faire de Genève le phare de la recherche sur une thématique du futur, de notre futur commun : le vieillissement !
Contact auteur(s)
J.-P. Michel
Chef du Département de gériatrie
et
K.-H. Krause
Médecin-chef du service médico-technique de Belle-Idée
Responsable du laboratoire de biologie du vieillissement
HUG, Genève