Le transsexualisme est une affection rare qui génère un désarroi existentiel majeur et pose des problèmes médicaux, sociaux, éthiques et juridiques complexes. La définition de ce trouble touchant l'identité de genre est purement clinique et on ne connaît pas encore son étiologie mais sa présentation suggère des troubles précoces au niveau des déterminants hormono-cérébraux responsables de la perception de l'identité sexuelle. Sans réassignation hormono-chirurgicale, le trouble évolue de manière chronique et les rémissions spontanées ou après psychothérapie seule sont rares. Les études de suivi à long terme rendent compte d'un taux de satisfaction élevé après changement de sexe médico-chirurgical. Grâce à une prise en charge pluridisciplinaire suivant les standards de soins internationaux, on peut offrir à ces patients des soins de qualité et un suivi de longue durée.
Le terme de transsexualisme date de 1923 mais son diagnostic clinique précis n'est entré dans les classifications internationales qu'en 1980, sous la catégorie des troubles mentaux. Cette maladie qui est rare, puisqu'elle toucherait selon les statistiques internationales,1 entre un homme sur 24 000 et un homme sur 100 000 et entre une femme sur 100 000 et une femme sur 400 000, est devenue célèbre d'une part par son succès médiatique et d'autre part par l'intérêt qu'elle suscite dans les milieux de la prostitution.2 En effet, après le boom des prostitués homosexuels des années 1990, les prostitués transsexuels connaissent aujourd'hui un essor et un succès considérables.3
Le transsexualisme est une problématique complexe qui concerne différentes spécialités médicales et qui engendre d'importants troubles sur le plan du développement psycho-sexuel ainsi que de grosses difficultés d'intégration sur le plan socioprofessionnel. L'objectif premier de cette revue des connaissances scientifiques à ce jour est de mieux informer le monde médical, étant donné que le phénomène devient de plus en plus connu du public grâce aux interventions des médias, ce qui fait croître le nombre de demandes de changement de sexe,4en particulier la proportion des cas féminins. La chirurgie ayant fait des progrès spectaculaires dans ce domaine, le succès et la qualité de vie après réassignation sexuelle s'en trouvent nettement améliorés.
Dans la dixième révision de la classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement CIM ou ICD-10 de l'Organisation mondiale de la santé,5 on trouve le transsexualisme sous le point F64 intitulé «Troubles de l'identité sexuelle», qui est bien distinct du point F66 intitulé «Problèmes psychologiques et comportementaux associés au développement sexuel et à l'orientation sexuelle» qui traite du choix sexuel (hétéro-, homo- ou bi-sexualité), ou encore du point F65 intitulé «Troubles de la préférence sexuelle» et qui correspond à ce qu'on appelait auparavant les «perversions sexuelles».
La définition du transsexualisme (F64.0) est la suivante :
«Il s'agit d'un désir de vivre et d'être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s'accompagne habituellement d'un sentiment de malaise ou d'inadaptation envers son propre sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.»
Pour faire ce diagnostic, l'identité de type transsexuel doit avoir été présente d'une manière persistante pendant au moins deux ans, ne pas être un symptôme d'un autre trouble mental tel qu'une schizophrénie, et ne pas être associée à une autre anomalie sexuelle génétique ou chromosomique.»
Ce trouble de l'identité sexuelle débute le plus souvent dans l'enfance (F64.2) :
«Trouble débutant habituellement dans la première enfance (et toujours bien avant la puberté), caractérisé par un désarroi intense et persistant relatif au sexe assigné, accompagné d'un désir d'appartenir à l'autre sexe (ou d'une affirmation d'en faire partie). L'enfant est préoccupé en permanence par les vêtements et les activités propres au sexe opposé et rejette son propre sexe. Ce trouble, probablement peu fréquent, ne se limite pas à un refus des stéréotypes comportementaux associés à chaque sexe. Il doit exister une perturbation profonde de l'identité sexuelle normale pour porter ce diagnostic ; il ne suffit pas qu'une fille soit simplement un «garçon manqué» ou qu'un garçon soit une «fille manquée».
La caractéristique diagnostique essentielle est un désir puissant et persistant d'appartenir à l'autre sexe (ou une affirmation d'en faire partie) associé à un rejet intense des caractéristiques du sexe assigné (comportement, attributs, vêtements). Ces manifestations existent habituellement dès l'âge préscolaire. En tout cas, le diagnostic n'est possible que si elles ont été apparentes avant la puberté. Dans les deux sexes, il peut exister un rejet des structures anatomiques de son propre sexe. Typiquement, les enfants nient être perturbés par leur trouble de l'identité sexuelle ; ils peuvent cependant souffrir de conflits avec leur famille ou des enfants de leur âge du fait de l'écart entre ce qu'ils sont et ce qu'on attend d'eux, ou être victimes d'un rejet ou de moqueries.
On en sait davantage sur ce trouble chez les garçons que chez les filles. Typiquement, dès l'âge préscolaire, les garçons sont préoccupés par les stéréotypes des activités ou des jeux féminins. Il existe souvent une préférence pour les vêtements de fille ou de femme. Mais un tel changement vestimentaire ne procure pas d'excitation sexuelle (à l'inverse du transvestisme fétichiste chez les adultes). Il peut y avoir un désir très intense de participer aux jeux et aux passe-temps des filles ; les poupées sont souvent leur jouet favori et les filles sont généralement leurs compagnes de jeu. L'ostracisme social se développe dès les premières années d'école, avec un maximum au milieu de l'enfance (moqueries et humiliations de la part des autres garçons). Les comportements nettement féminins peuvent diminuer au début de l'adolescence. Mais les études longitudinales montrent qu'environ un à deux tiers des garçons ayant un trouble de l'identité sexuelle de l'enfance présentent une orientation homosexuelle au cours de l'adolescence et au-delà. Cependant, un très petit nombre présente un transsexualisme à l'âge adulte (bien que la plupart des adultes transsexuels aient eu un problème d'identité sexuelle dans leur enfance).
Les troubles de l'identité sexuelle sont moins fréquents chez les filles que chez les garçons et dans les échantillons cliniques, mais on ignore si ce sex ratio est le même dans la population générale. Comme chez les garçons, le trouble se manifeste habituellement précocement par des stéréotypes comportementaux de l'autre sexe. Typiquement, les filles ont pour camarades des garçons et montrent un vif intérêt pour les sports et les jeux brutaux. Elles manquent d'intérêt pour les poupées et pour les rôles féminins dans les jeux de type «papa et maman» ou «maison». Les filles ayant un trouble de l'identité sexuelle ne sont pas victimes du même degré d'ostracisme social que les garçons bien qu'elles puissent souffrir de moqueries dans la grande enfance ou à l'adolescence. La plupart d'entre elles abandonnent leur intérêt excessif pour les activités et les vêtements masculins lorsqu'elles approchent de l'adolescence mais certaines d'entre elles gardent une identification masculine et peuvent avoir une orientation homosexuelle.
Le trouble s'accompagne souvent d'un rejet persistant des structures anatomiques de son propre sexe. Une fille atteinte de ce trouble peut affirmer de façon répétée qu'elle a un pénis ou que celui-ci va se développer, refuser d'uriner assise, ne pas vouloir avoir de seins ou de règles. Un garçon peut affirmer qu'en grandissant il deviendra une femme, que son pénis ou ses testicules sont dégoûtants ou vont disparaître, ou bien qu'il serait préférable de ne pas en avoir.»
Il existe une forme intermédiaire intitulée «Transvestisme bivalent» (F64.1) dont la définition est la suivante :
«Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé pendant une partie de son existence, de façon à se satisfaire de l'expérience temporaire d'appartenir au sexe opposé, mais sans désir d'un changement de sexe définitif ou d'une modification chirurgicale. Le transvestisme bivalent doit être distingué du transvestisme fétichiste dans la mesure où le port de vêtements de l'autre sexe ne s'accompagne ici d'aucune excitation sexuelle.»
Il est important de distinguer le transsexualisme du «Transvestisme fétichiste» (F65.1) défini comme suit :
«Le port de vêtements du sexe opposé, principalement dans le but d'obtenir une excitation sexuelle. Ce trouble doit être distingué du fétichisme simple dans la mesure où les vêtements et les accessoires fétichistes ne sont pas seulement portés, mais sont agencés pour créer l'apparence d'une personne du sexe opposé. Plusieurs articles vestimentaires sont habituellement portés ; il s'agit souvent d'un ensemble complet incluant perruque et maquillage. Le transvestisme fétichiste se distingue du transvestisme transsexuel par son association claire avec une excitation sexuelle et par le besoin de se débarrasser des vêtements une fois l'orgasme atteint et l'excitation sexuelle retombée. Des antécédents de transvestisme fétichiste sont habituellement rapportés par les transsexuels et constituent probablement, dans ces cas, une phase précoce du développement d'un transsexualisme.»
Les définitions que l'on trouve dans le DSM-IV6sous les mêmes termes sont très semblables à celles de l'ICD-10. On utilise aussi le terme «dysphorie de genre» qui désigne la souffrance psychique résultant du stress de vivre dans un corps ne correspondant pas au sexe perçu intérieurement.
On ignore encore la cause véritable du transsexualisme qui est, pour l'instant, considéré par certains comme une maladie mentale de type conviction délirante, psychotique ou perverse. On connaît d'autres dysmorphophobies, en particulier en sexologie, où la discordance entre la perception du patient et sa réalité anatomique est importante.7Il arrive que des patients psychotiques présentent des idées délirantes somatiques ou s'automutilent au niveau des parties génitales dans des phases aiguës. Il n'empêche que les tests psychologiques effectués chez les transsexuels ne révèlent que rarement une schizophrénie ou une autre forme de psychose et que les personnalités borderline et névrotiques sont beaucoup plus fréquentes. On rencontre des transsexuels dans toutes les couches sociales et professionnelles.
Les parents des transsexuels auraient certaines caractéristiques, comme une mère trop symbiotique, mal à l'aise dans sa féminité ou dépressive de longue date, et un père absent, froid et peu sûr de sa virilité.8 On a aussi accusé les parents de transsexuels d'avoir trop désiré un enfant du sexe opposé et de l'avoir donc élevé comme tel. L'étude du devenir des enfants porteurs de malformations ambiguës des organes génitaux externes montre en effet qu'un enfant s'adapte au rôle sexuel dans lequel il est éduqué même si son sexe génétique et/ou gonadique est différent.9 L'éducation et la perception du milieu environnant sont plus déterminantes sur l'identité sexuelle que le sexe biologique.10
Le processus de maturation cérébrale qui mène à la perception de l'identité sexuelle passe par la représentation du corps et de ses fonctions au niveau cognitif. On sait que la perception de l'image corporelle peut être altérée, comme on le voit fréquemment chez les anorexiques ou dans les troubles somatoformes douloureux.7 Chez les transsexuels, on a évoqué l'hypothèse que l'identité sexuelle pourrait être perturbée par une exposition hormonale anormale in utero, ou par une insensibilité cérébrale aux hormones sexuelles ou aux neurotransmetteurs correspondants (LH, FSH), ou encore par une modification des noyaux centraux de l'hypothalamus qui pourraient aussi favoriser l'homosexualité.1 Les processus de différenciation sexuelle au niveau cérébral sont encore peu connus et toutes les hypothèses sont possibles.
L'exemple des «testicules féminisants» qui sont des hommes souffrant d'une insensibilité partielle ou complète à la testostérone et qui se développent sous une apparence de femme malgré leur caryotype XY et la présence de testicules fonctionnels montre qu'ils ne demandent jamais de réassignation sexuelle lorsque l'on découvre leur diagnostic et leur sexe d'origine à la puberté en investiguant les causes de leur aménorrhée. Ils se sentent bien dans leur identité de femme et tiennent beaucoup à ce que leur caryotype masculin reste un secret médical.11
On a aussi évoqué l'idée que la transsexualité serait une forme d'homosexualité «aggravée», les hommes homosexuels étant souvent considérés comme efféminés et les femmes homosexuelles comme des garçons manqués, et ceci dès leur plus tendre enfance. Mais ces critères sont très subjectifs et on rencontre aussi bien des homosexuels virils que des homosexuelles féminines. Les études menées sur des enfants présentant des troubles de l'identité sexuelle ne confirment d'ailleurs pas cette hypothèse, puisque les petits garçons efféminés deviennent effectivement plus souvent homosexuels que les autres, mais très rarement transsexuels.12
Le traitement des transsexuels concerne différents spécialistes que sont les psychiatres, psychologues, endocrinologues, chirurgiens, mais aussi les médecins de famille, les urologues, les gynécologues ou tout autre médecin.13De façon plus élargie, les assistants sociaux, les juristes, les orthophonistes, les esthéticiennes et les milieux scolaires ou du travail sont aussi concernés.
Selon certains auteurs,14 la seule demande des transsexuels est le changement de sexe chirurgical et le plus vite possible ! Il faudrait donc résister à la pression obsessionnelle de ces patients en les soumettant à de nombreux examens et tests avant d'accéder éventuellement à leur désir, et ceci seulement après avoir tout tenté pour les en dissuader : psychothérapie contrainte et de découragement, description détaillée de tous les risques et effets secondaires potentiels du traitement médical ou chirurgical, interprétations psychanalytiques à outrance, description des nombreux cas de suicide ou de regret postopératoire, accord pour la chirurgie cosmétique ou plastique mais refus de pratiquer le changement de sexe chirurgical, refus ou délais interminables imposés sans d'autre motif véritablement valable que les propres craintes des soignants concernés face à des patients si déconcertants.15
Une étude sur les pratiques en vigueur dans quinze pays européens met en évidence la diversité des approches et leur manque de cohérence et de concertation, tant sur le plan médical que légal ou financier ; les équipes ouvertes et expérimentées attirent un grand nombre de transsexuels étrangers.16 Cette étude démontre que les réserves émises envers le traitement médical des transsexuels sont plus fréquentes que les mesures d'accompagnement, et que beaucoup de soignants renoncent ou abandonnent ces patients en cours de route. La conclusion est qu'il est essentiel pour les professionnels s'occupant de transsexuels de travailler en équipe multidisciplinaire et d'entretenir des liens avec d'autres équipes afin de pouvoir se concerter, collaborer, échanger leurs expériences et comparer leurs méthodes de travail.
L'école française psychanalytique est très réservée et réticente dans son approche du traitement des transsexuels. Colette Chiland considère que le traitement chirurgical de ces patients est «un leurre qui consiste en une castration mutilante qui transforme un corps sain en un être intersexué et dépendant des hormones à vie».17 La psychothérapie est, selon elle, le seul traitement digne de ce nom mais se heurterait à un refus de se souvenir et de mentaliser chez un patient qualifié de psychotique qui présente un délire froid enkysté et pervers, souvent inaccessible à la psychanalyse. Comment un psychothérapeute confronté à un patient «qui recherche de façon forcenée à authentifier sa conviction en exigeant une transformation de sexe, qui n'est de la part du chirurgien qu'une réponse folle à une demande folle, comment peut-il rester neutre et ne pas être envahi par des mouvements contre-transférentiels puissants et négatifs à l'égard de ces patients qui demandent une castration génitale à corps et à cris ?»
Jules Bureau au Québec se montre plus positif : il considère la transsexualité comme une indifférenciation sexuelle et permet aux transsexuels, grâce à son «approche existentielle», de retrouver leur vitalité érotique et de se réconcilier avec leur féminitude ou masculinitude.18 Cette thérapie se montre particulièrement utile et efficace chez des patients d'un certain âge ou déjà très engagés dans leur vie (mariage, enfants, famille, carrière professionnelle).
Certains psychiatres francophones ont accepté de participer plus activement à ces «procédures de convenance» aussi qualifiées de «métaphores de traitement». Marc Bourgeois de Bordeaux est parti à Stanford en 1980 pour mieux connaître le programme de prise en charge des transsexuels qui existait depuis 1968.19 Convaincu qu'il vaut mieux offrir un soutien psychologique et médical structuré à ces patients, plutôt que de les jeter dans les bras de chirurgiens laxistes et activistes à force de tout leur refuser, il tentera de convaincre ses confrères que seule la satisfaction de la demande d'un traitement hormonal et chirurgical permet une amélioration, et ceci avec l'intervention d'un chirurgien compétent appuyé par un psychiatre et un endocrinologue avisés.20 Ce programme pluridisciplinaire permet de sauver ces patients de la dépression, du naufrage socioprofessionnel, du désert affectif et sentimental, des tentatives de suicide ou de l'automutilation. Quelques équipes françaises comme celles du Pr Olié ou du Dr Cordier suivent ses traces.4
La première étape du traitement psychiatrique consiste à déterminer le diagnostic de transsexualisme, ce qui va permettre aux patients d'émerger de la phase de confusion et d'incertitude et du sentiment d'incompréhension qui les font tant souffrir depuis des années et les désespèrent de trouver un jour une solution. Les tests psychologiques établissent un diagnostic de personnalité et dépistent d'éventuelles comorbidités psychiatriques.21 Il est important d'examiner les différents diagnostics différentiels proches du transsexualisme comme certaines formes intermédiaires ou secondaires, ou encore une simple homosexualité avec un goût pour le travestissement. Puis, l'écoute bienveillante et le soutien permettent de soigner la dépression et les idées suicidaires qui sont très fréquentes.
Le traitement hormonal permet à ceux qui ne l'ont pas déjà fait auparavant de se mettre à vivre publiquement comme des individus du sexe souhaité ; c'est ce qu'on appelle le real life test ou experience, ce qui est une étape très significative et qui permet de confirmer ou d'infirmer le diagnostic de transsexualisme vrai. Il est important que le psychiatre accompagne et suive de près les changements que cela engendre dans les relations tant privées que sociales.22 Il est recommandé que le psychiatre rencontre les membres proches de la famille et le ou la partenaire pour répondre à leurs nombreuses questions et les soutenir dans la démarche.23 Les témoignages émouvants de transsexuels qui ont raconté leur histoire et leur parcours personnel en attestent clairement. Faire connaissance avec les parents ou frères et surs des patients permet de confirmer le diagnostic de transsexualisme et de savoir comment l'enfance et la puberté ont été vécues et comprises par l'entourage et quelles ont été leurs observations ou réactions face à cet enfant souvent décrit comme atypique, bizarre et replié sur lui-même.
Leslie Lothstein, psychiatre américain qui a une grande expérience dans ce domaine, décrit bien les étapes successives de cette prise en charge psychothérapeutique :24 une fois l'alliance établie avec le patient autour de buts thérapeutiques définis d'un commun accord, le soulagement symptomatique apparaît et l'état de souffrance psychologique s'améliore puis se stabilise peu à peu, ce qui permettra dans une deuxième phase l'élaboration des conflits précoces remontant à l'enfance et aux relations parentales. L'identité de genre étant un processus qui évolue au cours de la vie, le thérapeute doit rester neutre, flexible et ouvert à toute issue, chirurgicale ou non. L'expérience lui permet de répondre aux questions et aux besoins de ses patients et, surtout de lutter contre ses mouvements contre-transférentiels provoqués par ses propres croyances et angoisses qui sont autant de biais et de résistances qui peuvent faire obstacle à la poursuite du traitement. Il est important pour cela de collaborer étroitement avec les autres membres de l'équipe thérapeutique, et de prendre toujours à plusieurs les décisions pour initier le traitement hormonal et chirurgical. Seul un état d'esprit ouvert et tolérant, sans jugement culpabilisant face à la bisexualité, à l'homosexualité ou au goût du travestissement, permet de suivre ces patients sur leur long chemin de croix.
Différentes formes de psychothérapie peuvent être offertes aux transsexuels : individuelle, psychodynamique, cognitivo-comportementale, counceling sexologique, thérapie systémique, familiale ou conjugale. La thérapie de groupe est particulièrement efficace car les informations émanant des membres du groupe qui se trouvent à des stades de transformation différents offrent un soutien et des explications utiles à tous.25La prise de médicaments, en particulier les antidépresseurs, s'avère souvent nécessaire et efficace.
L'endocrinologue commence par faire un bilan somatique approfondi en début de prise en charge pour exclure toute autre maladie endocrinienne ou génétique. Lorsque le psychiatre estime que le patient est prêt, l'endocrinologue prescrit un traitement de substitution hormonal.26 On prescrit aux hommes de l'acétate de cyprotérone pour bloquer l'action périphérique de la testostérone accompagné de doses croissantes de gestagènes, qui vont progressivement féminiser l'apparence physique du patient (développement mammaire, diminution de la pilosité, suppression des érections). On prescrit aux femmes des doses progressives d'androgènes qui vont viriliser leur corps (développement de la pilosité et de la musculature, suppression des règles puis mue de la voix). Ce traitement hormonal commencé à faibles doses permet d'abord d'apprécier comment le sujet se sent dans un équilibre hormonal différent, mais aussi d'améliorer l'humeur et de diminuer l'anxiété et l'agressivité antérieurement élevées.
Si ce traitement est mal supporté, il vaut mieux l'interrompre et rediscuter son indication avec le patient ; s'il est bien toléré, on augmente progressivement les doses. Il faut toujours être attentif à la compliance médicamenteuse des patients qui ont tendance à s'automédiquer en cachette et à prendre des doses plus élevées que prescrites, pressés qu'ils sont d'arriver à un résultat visible, ce qui augmente le risque de voir apparaître des effets secondaires habituellement rares.27
Aux Pays-Bas, l'équipe du Dr Cohen-Kettenis, pédopsychiatre commence le traitement hormonal chez des adolescents intimement convaincus de leur transsexualité, au plus tôt à partir de 16 ans, avec l'accord explicite et la participation active des parents.28Le traitement hormonal permet de freiner le développement des caractéristiques sexuelles secondaires qui font tant souffrir les patients transsexuels et qui altèrent leur capacité d'adaptation dans l'autre sexe à l'âge adulte. Ce traitement est réservé aux cas de transsexualité nette depuis l'enfance chez des patients sans comorbidité psychiatrique lourde qui sont bien entourés et soutenus par leur famille. Il permet un meilleur développement émotionnel et intellectuel, et une meilleure adaptation sociale, scolaire et professionnelle. Les résultats semblent très satisfaisants tant sur le plan physique que psychosocial. Il faut relever toutefois que la Hollande est un pays où le traitement médical est entièrement couvert par l'assurance-maladie et pratiqué dans des centres spécialisés, et où le problème des transsexuels est connu de la population générale et le changement de sexe légalement accepté.
L'expérience du chirurgien et son habileté technique sont des facteurs importants pour la réussite de l'opération de réassignation sexuelle.29 Il y a peu de chirurgiens expérimentés dans ce domaine qui se sentent psychologiquement à l'aise avec ce type d'interventions. Certains chirurgiens bien entraînés et travaillant en équipe sont même capables d'effectuer l'ensemble des transformations en un seul temps opératoire, ce qui améliore nettement le confort du patient et qui évite des situations intermédiaires et asexuées prolongées.30 La phalloplastie est une intervention plus délicate que la vaginoplastie et donne des résultats globalement moins satisfaisants avec un risque de complications plus élevé. La très grande majorité des patients s'estime satisfaite après traitement chirurgical (70 à 97% selon les études) et conserve une bonne capacité orgastique et sexuelle.31
Pour les transsexuelles qui ont une poitrine trop volumineuse et visible les empêchant de faire l'expérience de vivre en homme malgré le traitement androgénique, il est indiqué de pratiquer une mastectomie bilatérale avant l'opération de changement de sexe. La plastie d'augmentation mammaire offre des résultats plus satisfaisants que l'ablation mammaire qui peut laisser d'importantes cicatrices selon la taille des seins au départ. Il est recommandé au gynécologue qui pratique une mastectomie bilatérale de se faire assister par un chirurgien plasticien afin d'obtenir un résultat esthétiquement correct.
La grande crainte des médecins avec les transsexuels est de castrer à tort un individu sain qui pourrait ensuite les accuser de mutilation ou encore se suicider. C'est pourquoi Friedemann Pfäfflin a compulsé 74 études publiées entre 1961 et 1991 couvrant plus de 1000 transsexuels masculins et 500 transsexuelles féminines opérés, la plupart dans des cliniques universitaires ou des centres spécialisés, afin d'évaluer le risque de regrets après changement de sexe chirurgical.32 Il a recensé moins de 1% de regrets chez les femmes transformées en hommes et 1,5% de regrets chez les hommes transformés en femmes, ce qui correspond à une persistance de la dysphorie de genre après traitement hormono-chirurgical. Cette issue dramatique est heureusement fort rare car la restitution ad integrum est impossible.
Pfäfflin a étudié les raisons de ces regrets et repéré trois facteurs contributifs qui sont : un faux diagnostic de transsexualité, l'échec de l'expérience de vie dans le sexe opposé et un traitement chirurgical de qualité insuffisante. Il relève d'autres facteurs prévisibles de mauvais pronostic : des réactions psychotiques, un retard mental, une personnalité psychique instable et fragile, une dépendance à la drogue ou à l'alcool, un support familial inadéquat ou une famille rejetante, une grande distance géographique entre le lieu de vie et le centre de traitement, une constitution physique inappropriée au nouveau genre sexuel, une mauvaise compliance thérapeutique (au traitement psychologique et hormonal), un âge supérieur à 30 ans à la première demande de traitement, un fort intérêt sexuel avec de nombreuses expériences hétérosexuelles antérieures, être marié et avoir des enfants, avoir fait le service militaire, des antécédents de criminalité. Il conclut que le meilleur moyen d'éviter les difficultés est de respecter les standards thérapeutiques internationaux.
La Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association ou HBIGDA est une association internationale qui regroupe des professionnels du monde entier soignants des transsexuels. Elle édicte depuis 1979 des guidelines thérapeutiques détaillées qui proposent des schémas cliniques précis pour la prise en charge des patients souffrant de problèmes d'identité sexuelle. La 6e et dernière version date de février 2001 et elle a été mise au point par un groupe d'experts qui s'est réuni régulièrement pour réfléchir ensemble, échanger leurs expériences et chercher à établir un consensus dans le traitement de ces patients.33 Nous avons l'intention d'en publier prochainement la traduction française.
Ces guidelines décrivent les phases successives du traitement et détaillent les différents rôles des professionnels concernés, les qualifications requises, les modalités thérapeutiques définies pour les enfants, les adolescents et les adultes, ainsi que ce que doivent contenir les lettres de recommandation que le professionnel en santé mentale rédige à l'intention de l'endocrinologue ou du chirurgien. Les critères de choix et de maturité requis, l'évaluation de l'expérience du real life test permettent de poser l'indication à un traitement hormonal et chirurgical. Il est nécessaire de prévoir et d'organiser un suivi médico-psychologique à long terme.
Notre consultation pluridisciplinaire spécialisée lausannoise respecte ces standards de soins internationaux et nous permet de confirmer à plusieurs le diagnostic de trouble de l'identité sexuelle, puis de décider ensemble quand il est judicieux de passer à la phase de traitement par substitution hormonale ou par intervention chirurgicale. Le fait de recevoir ensemble à plusieurs spécialistes les patients ainsi que leur entourage familial, permet d'une part de répondre à leurs multiples questions et inquiétudes, et d'autre part d'améliorer le confort, la qualité et la sécurité du travail médical.
On retrouve d'importantes différences entre les pays, tant sur le plan légal qu'administratif. Les assurances-maladie ne couvrent pas partout tous les frais occasionnés par un changement d'identité sexuelle, en particulier lorsque les soins sont prodigués dans des cliniques privées et non dans des hôpitaux publics. Les interventions de chirurgie plastique ne sont souvent pas remboursées, comme certains autres frais annexes tels que la rééducation orthophonique ou l'épilation définitive, alors que les patients en ont presque toujours besoin.16
Il en va de même sur le plan juridique, les législations nationales variant d'un pays à l'autre. Certains pays disposent maintenant de lois spécifiques aux transsexuels comme le Danemark, la Suède, la Hollande, l'Allemagne ou l'Italie. D'autres pays reconnaissent le changement de sexe juridique suite à une demande spéciale qui doit être accompagnée d'une attestation médicale de changement de sexe chirurgical, comme la Suisse, la Belgique ou la France. L'identité sexuelle et le prénom peuvent alors être modifiés sur les registres d'état civil et les papiers officiels. Quant à la possibilité de se marier ou d'adopter des enfants, elle est réservée à certains pays plus ouverts que d'autres. De manière globale, le statut des transsexuels est meilleur dans les pays du Nord de l'Europe que dans ceux du Sud.
Le transsexualisme est une affection rare qui génère un désarroi existentiel majeur et pose des problèmes médicaux, juridiques, éthiques et sociaux complexes. La définition de ce trouble est purement clinique et on ne connaît pas son étiologie de façon certaine mais sa présentation suggère fortement des troubles précoces au niveau des déterminants sexuels hormono-cérébraux, responsables de l'identité sexuelle. Le traitement proposé est plus palliatif que curatif, mais sans réassignation chirurgicale le trouble évolue de manière chronique et les rémissions spontanées ou après psychothérapie seule de la dysphorie de genre sont rares. Les études de suivi à long terme rendent compte d'une amélioration clinique certaine après traitement médico-chirurgical complet et d'un taux de satisfaction élevé chez la grande majorité des patients évoquant la joie de la renaissance après ce voyage au bout de l'enfer.34 Grâce à une prise en charge pluridisciplinaire dans un centre spécialisé effectuée par des professionnels de santé intéressés et expérimentés qui suivent les standards de soins reconnus internationalement, on peut pratiquer un screening diagnostique systématique, sélectionner correctement les patients et leur offrir des soins de qualité et un suivi de longue durée. Une approche globale de cette problématique incluant la famille, les proches et tous les acteurs concernés permet une bonne évolution et une réinsertion socioprofessionnelle. Les études montrent que plus le diagnostic et le traitement sont précoces meilleur est le pronostic, et que plus la formation et l'information des soignants seront adéquates, mieux ces patients seront soignés et orientés vers des centres spécialisés. Des associations de patients uvrent dans ce sens et offrent un soutien individuel ou en groupe et des informations précieuses diffusées par des magazines spécialisés35 ou sur internet.36 Il est évident qu'il faut encore développer la recherche clinique et scientifique sur cette maladie37 et encourager l'évolution en matière de reconnaissance légale du changement de sexe.