IntroductionSi la médecine, à l'instar d'autres branches scientifiques, s'est caractérisée au XXe siècle par un développement technique extraordinaire, tant dans le domaine diagnostique que thérapeutique, l'art médical se présente aussi, à l'évidence, comme un champ d'application des droits humains fondamentaux. Le respect du secret médical et du consentement à l'acte médical, l'accès à des soins de santé appropriés sont en réalité, une partie intégrante de l'affirmation historique de la reconnaissance des Droits de l'Homme non seulement dans le cadre des Etats nationaux, mais aussi dans un contexte international plus large.Pour bien comprendre cette évolution dynamique, il convient de se rappeler qu'avant la Seconde Guerre mondiale, les textes internationaux visant la protection des Droits de l'Homme étaient lacunaires : ébranlée par les drames humains survenus lors de la Seconde guerre mondiale, la communauté internationale a donc voulu affirmer sa volonté de se donner les moyens de mieux protéger à l'avenir les Droits de l'Homme ; c'est dans cette orientation historique générale que s'inscrit la reconnaissance des divers droits humains, individuels et communautaires, ayant trait à la médecine.Les Droits de l'Homme constituent l'un des sous-ensembles de règles du droit international public (ci-après DIP), qui a eu une influence importante dans le domaine de la médecine ; c'est pourquoi, ils seront développés de manière plus détaillée dans cet article tout en n'oubliant pas que d'autres branches du DIP, tel que le Droit international humanitaire, sont également liées à la médecine.Médecine et Droits de l'Homme : une évolution dynamique historique visant à une meilleure affirmation des droits fondamentaux de la personne humaineSur le plan historique, trois catégories de Droits de l'Homme sont apparues successivement, à savoir : les Droits de l'Homme de la «première génération», apparus à la fin du XVIIIe siècle, qui protègent des droits individuels essentiels, tels la vie, la liberté, le mariage, et qui représentent avant tout des obligations d'abstention de la part de l'Etat concerné vis-à-vis des individus ; c'est par exemple dans ce cadre que s'inscrit directement le respect du secret médical et du consentement à l'acte médical ; les Droits de l'Homme de la «deuxième génération», apparus à la fin du XIXe siècle, qui consacrent des droits à la fois individuels et collectifs et se réfèrent à la situation de l'individu par rapport à son milieu social ; les droits ainsi garantis sont notamment le droit au travail, le droit à la sécurité sociale, le droit à l'éducation, le droit à la santé, etc. ; la mise à disposition pour tout individu appartenant à un groupe social, d'un réseau de soins approprié, correspond donc à la réalisation de Droits de l'Homme de cette catégorie ; les Droits de l'Homme de la «troisième génération», apparus à la fin de la Seconde Guerre mondiale,1 qui protègent les droits collectifs auxquels un individu peut prétendre en tant que membre d'une communauté (droit à l'autodétermination, droit à la libre disposition des richesses et des ressources naturelles, droit à un développement économique, social et culturel, etc.) ; la médecine est moins concernée par cette catégorie de Droits de l'Homme.Ces trois catégories de Droits de l'Homme s'associent à des mécanismes de contrôle différents, qui sont directement en rapport avec la qualité des droits garantis par les textes internationaux. En effet, si les Droits de l'Homme de la «première génération» peuvent à l'évidence faire l'objet d'un contrôle strict et élaboré, notamment par l'intervention d'organismes tels une commission, un comité ou une cour de justice, par contre, les Droits de l'Homme des «deuxième et troisième générations» ne peuvent être garantis que par des mécanismes de contrôle plus lâches et moins contraignants pour les Etats, car la mise en uvre de ces droits fait appel à un ensemble de paramètres difficiles à évaluer et à contrôler (critères économiques, sociaux, politiques, etc.). C'est donc essentiellement par l'intermédiaire de rapports écrits régulièrement communiqués aux instances internationales chargées de veiller à la protection des Droits de l'Homme, que les Etats tentent de démontrer la progressive mise en uvre des Droits de l'Homme des «deuxième et troisième générations».Ces trois générations de Droits de l'Homme sont, historiquement, apparues l'une après l'autre : les Droits de l'Homme de la «troisième génération» représentent l'aboutissement le plus récent qui traduit la volonté des Etats de protéger les libertés et les droits fondamentaux des personnes en considérant celles-ci non seulement comme les titulaires de droits individuels subjectifs, mais également comme les bénéficiaires de droits découlant de leur appartenance à une communauté. Le développement relativement récent de la dimension communautaire de la médecine (soins médicaux à des groupes spécifiques socialement vulnérables, tels les réfugiés, les chômeurs, etc.), s'inscrit à l'évidence dans cette orientation.La protection internationale des Droits de l'Homme s'est faite essentiellement à deux niveaux :2 universel avec l'élaboration, au sein de l'Organisation des Nations Unies, de textes valables pour l'ensemble de la planète tels que, par exemple, la Déclaration universelle des Droits de l'Homme (1948) et les deux pactes qui lui sont liés : le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) ; régional avec l'élaboration de documents s'appliquant aux pays d'Europe (exemple : Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, 1950), d'Afrique (Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, 1981) ou d'Amérique (Convention américaine relative aux droits de l'homme, 1969).Une évolution peut être distinguée dans le traitement des aspects médicaux dans les documents relatifs aux Droits de l'Homme. Dans les premiers textes, peu d'éléments spécifiques liés à la santé ou à la médecine étaient expressément mentionnés3 alors que la fin du vingtième siècle a vu la naissance de textes spécifiquement consacrés à la protection des Droits de l'Homme dans les domaines de la médecine et de la biologie (cf. ci-dessous la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine).De plus, la mise en évidence que l'état de santé d'une population dépend non seulement de facteurs médicaux mais également de facteurs socio-économiques et que le respect de la dignité humaine est important dans les programmes de santé publique a démontré la nécessité de tisser des liens entre les Droits de l'Homme et la santé.4Dans ce bref article, nous nous intéresserons surtout aux instruments de protection des Droits de l'Homme, régionaux européens, ratifiés ou en voie de l'être par la Suisse et qui touchent l'activité médicale. Ceux-ci se sont en effet avérés être jusqu'à aujourd'hui plus efficaces au niveau de leur application concrète5 que les instruments universels.6L'impact de la Convention Européenne des Droits de l'Homme dans le domaine de la santéLa Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (ci-après CEDH) a été signée à Rome le 4 novembre 1950 par les pays membres du Conseil de l'Europe et est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Etant donné que ce texte international a été mis en place au début des années 50, au décours immédiat de la Seconde Guerre mondiale, nous ne sommes pas surpris de constater que cette Convention contient principalement des Droits de l'Homme dits de la «première génération» à savoir : le droit à la vie (article 2) ; l'interdiction de la torture (article 3) ; l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé (article 4) ; le droit à la liberté et à la sûreté de la personne humaine (article 5) ; le droit à un procès équitable (article 6) ; le principe de non-rétroactivité de la loi pénale (article 7) ; le droit au respect de la vie privée, de la vie familiale, du domicile et de la correspondance (article 8) ; la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9) ; la liberté d'expression et d'information (article 10) ; la liberté de réunion et d'association, et le droit de constituer des syndicats et de s'y affilier (article 11) ; les droits de se marier, de fonder une famille et l'égalité des époux (article 12) ; le droit à un recours effectif concernant la protection des droits garantis par la CEDH (article 13) ;- la non-discrimination à l'égard des droits garantis par la CEDH (article 14).Bien que la CEDH contienne essentiellement, pour des raisons historiques, des Droits de l'Homme dit de la «première génération», il faut néanmoins relever que l'article 6 qui garantit une bonne administration de la justice, oblige en réalité les Etats signataires à se doter d'une organisation judiciaire interne conforme aux droits protégés par la CEDH. Cet exemple illustre assez clairement les limites que nous rencontrons lorsque nous distinguons entre Droits de l'Homme de la «première génération», qui impliquent une obligation d'abstention de la part de l'Etat vis-à-vis des personnes afin de garantir des libertés et des droits individuels, et les Droits de l'Homme des «deuxième et troisième générations», qui entraînent une obligation de prestations de l'Etat pour mettre en uvre des droits collectifs auxquels un individu peut prétendre en qualité de membre du corps social (droit à l'éducation, droit à la santé, droit au travail, etc.).En résumé, nous pouvons constater que la CEDH représente un «standard» minimal au niveau européen en matière de protection des droits fondamentaux de la personne humaine, qui s'inscrit dans une perspective historique où prédomine la notion d'une obligation d'abstention de l'Etat vis-à-vis des individus afin de garantir les libertés et droits fondamentaux de ceux-ci.Dans le domaine de la santé, les instances internationales établies par la CEDH ont été amenées à examiner divers aspects, élaborant ainsi une jurisprudence de référence concernant les éléments suivants :7 la santé dans le cadre de la privation de liberté, en particulier en ce qui concerne la durée de la détention, le traitement médical des personnes incarcérées, les conditions matérielles de détention et l'isolement cellulaire ; l'avortement ; la procréation ; les examens sanguins demandés par une autorité publique ; la vaccination ; le sida ; les traitements médicaux de caractère expérimental ; le transsexualisme ; l'exercice d'une activité médicale ; la sécurité sociale.Alors que la CEDH ne contient pas de disposition spécifique qui garantit directement la promotion de la santé ou de l'un de ses aspects, l'interprétation de la CEDH par les organes de Strasbourg a donc permis de dégager des garanties en matière de santé, principalement dans le cadre de la privation de liberté et des soins psychiatriques, en référence aux art. 3 et 5 al. 4 CEDH. On peut citer l'affaire Winterwerp (Winterwerp c/Pays-Bas No 6103/73) qui a permis de renforcer les garanties légales en matière d'hospitalisation psychiatrique non volontaire.8 Celles-ci comprennent un droit à l'information adéquate, des procédures de recours, un examen régulier des patients psychiatriques hospitalisés contre leur gré. L'art. 8 CEDH a également servi à fixer certaines limites pour les activités médicales quant à l'ingérence qu'elles causent dans la vie privée. La jurisprudence des organes de la CEDH a aussi admis plus récemment que l'Etat était tenu à certaines obligations positives dans le domaine de la santé. Ainsi, une violation de l'art. 3 CEDH a été notamment reconnue dans deux affaires, relatives pour l'une aux mauvais traitements infligés à des personnes en état d'arrestation (cf. notamment affaire Hurtado ci-dessous) et pour l'autre aux soins négligents envers des enfants.9 Dans ces deux situations, il a été reproché à l'Etat de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher la survenance de ces mauvais traitements.En ce qui concerne plus particulièrement la Suisse et afin d'illustrer la portée pratique de la CEDH, quelques décisions sont brièvement décrites ci-dessous, à savoir :1. La requête W. Peyer c/Suisse N° 7397/7610 a pour objet la contestation par le requérant de son internement dans une maison d'éducation au travail, en vertu des dispositions du Code civil suisse de l'époque concernant la tutelle au motif que cette mesure violait l'art. 5 CEDH. Le gouvernement suisse opta pour un règlement amiable avec le requérant en lui versant une indemnité. De plus, une modification du Code civil suisse avec une réglementation exhaustive de la privation de liberté à des fins d'assistance conforme à la CEDH a été adoptée par le Parlement suisse. Ce sont les articles 397 a-f du Code civil suisse.2. La requête Hurtado c/Suisse N° 17549/90. Le requérant, ressortissant colombien, a été arrêté à son domicile de manière «musclée» en raison d'une infraction à la loi sur les stupéfiants. La Commission retient deux infractions à l'art. 3 CEDH (traitement inhumain et dégradant), «résultant non pas des circonstances de l'arrestation du requérant [
], mais du fait qu'il a dû porter des vêtements souillés [
] et n'a pas bénéficié de soins médicaux [
]».11 En effet, il est du devoir des autorités d'assurer les mesures d'hygiène élémentaires et de «garantir l'intégrité physique de la personne qui se trouve sous la responsabilité des autorités policières, judiciaires ou pénitentiaires».12 Mis en prison le jour après son arrestation, il ne sera examiné par un médecin que huit jours après celle-ci, malgré ses demandes répétées. La Commission jugera ce fait comme constitutif d'une violation de l'art. 3 CEDH. En effet, avant que la Cour ne se prononce sur l'affaire, le Gouvernement suisse conclura un règlement amiable avec le requérant en lui versant une indemnité. Ce règlement amiable sera accepté par la Cour après que le délégué de la Commission ait mentionné que le Comité européen pour la prévention de la torture s'était penché sur le problème de l'examen médical des personnes détenues en Suisse.3. La requête Tatete c/Suisse N° 41874/98. La requérante est une ressortissante congolaise entrée en Suisse illégalement. Après avoir déposé sans succès une demande d'asile, elle demande le réexamen de celle-ci en invoquant le fait qu'en raison du stade avancé de ses maladies (sida, hépatite B et tuberculose) et du peu d'établissements hospitaliers à Kinshasa, son expulsion de Suisse constituerait une violation des art. 2 (droit à la vie) et 3 (traitements inhumains et dégradants). Cette demande de réexamen est également refusée de même que le recours contre ce refus. La Cour européenne de Strasbourg déclare la requête de la recourante recevable et indique au Gouvernement suisse qu'il serait souhaitable de ne pas renvoyer la requérante dans son pays, ceci dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure. Le Gouvernement suisse conclura avec la requérante un règlement amiable au terme duquel, pour des motifs humanitaires exclusifs et sans reconnaître une violation de la CEDH, une autorisation de séjour provisoire est accordée à Mme Tatete de même qu'une indemnité.13Procédures mises en place par la Convention Européenne des Droits de l'HommeLa procédure mise en place par la CEDH, qui a été récemment modifiée, prévoit deux types de requêtes : la requête étatique (art. 33) et la requête individuelle (art. 34). Dans le présent chapitre, nous n'examinons que le deuxième type de requête puisqu'il représente l'élément essentiel du système de contrôle instauré par la CEDH : en effet, l'article 34 prévoit que «la Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles».Les articles 20 à 27 définissent la composition et l'organisation de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui fonctionne de façon permanente et a pour objectif «d'assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses protocoles».Lorsque la Cour européenne des Droits de l'Homme (ci-après la Cour) est saisie d'une requête individuelle au sens de l'article 34, elle procède tout d'abord à un examen de la recevabilité de la requête selon les critères définis par les articles 35 à 37 de la CEDH. Outre le fait que le requérant doit être la victime directe ou indirecte de la violation d'un ou plusieurs droits garantis par la CEDH, il faut également que la violation alléguée puisse être imputée à un Etat contractant. Par ailleurs, «la Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes,
dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive». En outre, la Cour ne retient aucune requête anonyme ou qui serait essentiellement la même qu'une requête précédemment examinée par elle ou déjà soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement (principes de la res judicata). Finalement, la Cour doit déclarer irrecevable toute requête qui est «incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses protocoles, manifestement mal fondée ou abusive». A ce jour, si l'on tient compte de l'organisation procédurale antérieure qui instituait l'intervention préalable d'une Commission, seul un petit nombre de requêtes ont été déclarées totalement ou partiellement recevables (moins de 10% de l'ensemble des requêtes transmises aux organes de Strasbourg).Lorsque la Cour déclare une requête individuelle recevable, elle examine l'affaire avec les représentants des Parties, obligeant, si nécessaire, l'Etat ou les Etats concernés à collaborer à cet effort, de manière à «parvenir à un règlement amiable de l'affaire s'inspirant du respect des droits de l'homme tels que les reconnaissent la Convention et ses protocoles» (art. 38 par. 1.b). Si la conciliation aboutit à un règlement amiable, l'affaire est terminée et la Cour rend un court rapport. Il est intéressant de noter que la procédure mise en place devant la Cour reconnaît le droit aux requérants ou à toute personne intéressée autre que le requérant, de «présenter des observations écrites et de prendre part aux audiences» (art. 36).Si un règlement amiable n'est pas obtenu, la Cour examine s'il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles ; cet examen est effectué par une Chambre de la Cour qui est composée de sept juges (art. 27). L'arrêt d'une Chambre devient définitif, soit lorsque les parties déclarent qu'elles ne demanderont pas le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre, soit si le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre n'a pas été demandé trois mois après la date de l'arrêt (art. 44). La Grande Chambre de la Cour, qui est composée de dix-sept juges (art. 27), se prononce sur les requêtes individuelles, soit lorsque l'affaire préalablement examinée par une Chambre lui a ensuite été déférée, comme le permet l'article 43, soit «si l'affaire pendante devant une Chambre soulève une question grave relative à l'interprétation de la Convention ou de ses protocoles, ou si la solution d'une question peut conduire à une contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour» (art. 30 et 31).Alors que les arrêts d'une Chambre de la Cour ne deviennent définitifs qu'aux conditions mentionnées dans le paragraphe précédent, par contre, l'arrêt de la Grande Chambre est définitif (art. 44), et «les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties» (art. 46 par. 1). En outre, «l'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution» (art. 46 par. 2). Finalement, étant donné que la CEDH est un mécanisme essentiellement judiciaire qui permet une réparation a posteriori des dommages occasionnés au requérant, l'article 41 CEDH pose le principe de l'obtention d'une «satisfaction équitable», qui est accordée par la Cour à la partie lésée «si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation».La Convention européenne pour la prévention de la tortureLa Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants fut ouverte à la signature sous l'égide du Conseil de l'Europe, le 28 novembre 1987 et entra en vigueur le 1er février 1989. En août 2001, 41 Etats membres du Conseil de l'Europe ont ratifié cette Convention. L'objectif de la Convention européenne pour la prévention de la torture14 est de renforcer la protection des personnes privées de liberté sur décision d'une autorité publique, par la mise en place d'un mécanisme non judiciaire à caractère préventif, basé sur des visites. Un Comité d'experts indépendants et impartiaux est institué, lequel a pouvoir de visiter des lieux de détention de toute nature (prisons, postes de police, hôpitaux psychiatriques, lieux de rétention des étrangers, etc.), d'examiner le traitement des personnes privées de liberté et, le cas échéant, d'adresser des recommandations à l'Etat visé en vue de renforcer la protection de ces personnes. Au cur de la Convention, se trouvent les principes de la coopération et de la confidentialité : en effet, la Convention a pour but d'aider les Etats Parties à renforcer la protection des personnes privées de liberté et non pas de les condamner. Le Comité pour la prévention de la torture (ci-après CPT) effectue des visites périodiques sur le territoire de tous les Etats concernés ; le CPT peut, en outre, organiser les visites ad hoc qui lui paraissent exigées par les circonstances. Au cours d'une visite, le CPT peut s'entretenir sans témoin avec les personnes privées de liberté et entrer en contact librement avec toute personne dont il pense qu'elle peut lui fournir des informations utiles. Après chaque visite, le CPT établit un rapport sur les faits constatés en tenant compte de toutes les observations éventuellement présentées par l'Etat intéressé, et ce rapport contient les recommandations que le CPT juge nécessaire ; l'Etat concerné peut ensuite autoriser le CPT à publier le rapport de visite ainsi que tout commentaire de l'Etat intéressé. Finalement, chaque année, le CPT soumet au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, un rapport général sur ses activités, qui est rendu public.Dans le domaine de la santé, le CPT a accordé une attention particulière aux aspects suivants : les systèmes de santé dans les prisons : c'est ainsi que le CPT a défini les critères que les services de santé pénitentiaires doivent remplir pour satisfaire aux objectifs visés par la Convention européenne pour la prévention de la torture ; le CPT a posé sept principes dont il s'inspire lors des visites des Etats Parties, à savoir : l'accès au médecin, l'équivalence des soins, le consentement du patient et la confidentialité, la prévention sanitaire, l'intervention humanitaire, l'indépendance et la compétence professionnelle ;15 la détention par la police et l'emprisonnement : le CPT a notamment souligné l'importance que tout examen médical d'une personne effectué dans un local de police, doit offrir des garanties suffisantes de confidentialité, avec la possibilité pour la personne de faire appel, si elle le souhaite, au médecin de son choix ;16 les placements non volontaires en établissements psychiatriques : le CPT a précisé plusieurs conditions à respecter vis-à-vis des personnes qui font l'objet d'une hospitalisation psychiatrique non volontaire, non seulement quant au traitement de celles-ci, mais aussi concernant les conditions de séjour, le recours aux moyens de contrainte, la compétence des professionnels de la santé et les garanties juridiques qui doivent être respectées en cas de placement non volontaire ;17 la rétention des personnes retenues en vertu des législations relatives à l'entrée et au séjour des étrangers : le CPT a notamment insisté sur l'attention particulière qu'il convient d'accorder à l'état physique et psychologique des demandeurs d'asile, dont certains ont pu avoir été torturés ou maltraités dans les pays de provenance, ce qui implique donc de garantir pour ces personnes un accès facilité au personnel médical et soignant ;18 la prise en charge des mineurs privés de liberté : le CPT a souligné l'importance de la mise en place de garanties contre les mauvais traitements des mineurs et il a également précisé les conditions minimales qui doivent être respectées dans les centres de détention pour mineurs, y compris quant à la prise en charge médico-psycho-sociale de ceux-ci.19Les recommandations du CPT représentent donc une synthèse remarquable des critères et des exigences qui doivent être remplis en matière de santé dans les différents lieux où se trouvent placées des personnes privées de liberté en raison d'une décision d'une autorité publique (prisons, postes de police, hôpitaux psychiatriques, etc.), raison pour laquelle plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe dont la Suisse20 ont été amenés à modifier et améliorer la prise en charge médicale des personnes ainsi placées.La Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine21Ce document, élaboré au sein du Conseil de l'Europe a été rédigé afin de garantir au niveau international le respect des droits fondamentaux dans les domaines de la médecine et de la biologie. En effet, à l'ère de la mondialisation de la science et de la mobilité des patients, les législations nationales s'avèrent parfois insuffisantes, d'où la nécessité de réglementations supranationales.La Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine, entrée en vigueur le 1er décembre 1999, fixe des «principes cadres», et «établit au niveau international un standard de protection commun en faveur des patients».22 Des protocoles additionnels sont prévus pour régler des problèmes plus spécifiques. Ainsi, un protocole additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains23 est entré en vigueur le 1er mars 2001.Les grandes lignes du contenu de la Convention sont les suivantes.Elle garantit notamment le respect de la dignité humaine (art. 1), la primauté de l'être humain sur la société et la science (art. 2), l'accès équitable aux soins ; elle définit l'obligation du consentement libre et éclairé avant toute intervention dans le domaine de la santé (art. 5-9) ainsi que le respect de la vie privée et le droit à l'information (art. 10). En ce qui concerne le génome humain, le principe de non-discrimination en raison de son patrimoine génétique est rappelé (art. 11), les tests génétiques prédictifs ne peuvent être pratiqués qu'à des «fins médicales ou de recherche médicale et sous réserve d'un conseil génétique approprié» (art. 12) ; les interventions dans le génome humain des cellules germinales (art. 13) sont interdites de même que les interventions qui viseraient la sélection du sexe, sauf en vue d'éviter une maladie grave liée au sexe (art. 14) ; les conditions de la recherche médicale sont énoncées (art. 15-17) et la création d'embryons à des fins de recherche est interdite (art. 18) ; les conditions du prélèvement de tissus sur des donneurs vivants à des fins de transplantation sont décrites (art. 19) ; le profit réalisé à partir du corps humain et de ses parties est interdit.La Convention n'est pas soumise à la juridiction de la Cour européenne des Droits de l'Homme mais ce sont les Etats qui sont chargés de sa mise en uvre. En Suisse, elle fera partie intégrante de l'ordre juridique, dès qu'elle aura été ratifiée. Les dispositions qui forment le «noyau dur»24 de la Convention seront probablement directement applicables et invocables par un particulier devant les instances judiciaires suisses. Ces normes sont pour la plupart en accord avec les normes existantes de l'ordre juridique suisse, certaines étendent toutefois la portée de certains principes du droit suisse, notamment ceux relatifs à la recherche. C'est la raison pour laquelle la ratification de la Convention et du protocole additionnel sera soumise au référendum facultatif.25ConclusionLa prise en compte des Droits de l'Homme est indispensable pour l'amélioration de la santé publique. Il demeure néanmoins que leur mise en uvre au niveau universel est loin d'être réalisée. Au niveau régional et en Europe plus particulièrement, les instruments mis en place dans ce domaine apparaissent plus efficaces. Il est intéressant de remarquer qu'ils s'inscrivent non seulement pour sanctionner des violations des Droits de l'Homme mais également, de manière préventive, pour éviter que ces violations soient perpétrées. Les Droits de l'Homme devront également être pris en compte pour que l'utilisation des avancées de la médecine et des sciences biomédicales soit bénéfique et juste. 1 Cf. Auer A, Malinverni G, Hottelier M. Droit constitutionnel suisse. Volume II Les droits fondamentaux. Berne : Staempfli Editions SA, 2000 ; 30-1.2 Cf. Auer A, Malinverni G, Hottelier M. Ibid. 2000 ; 25-9.3 L'art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels garantit le droit à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre. (A ce propos cf. Gostin LO. The Human Right to Health : A Right to the «Highest Attainable Standard of Health». Hastings Center Report 2001 ; March-April : 29-30). L'article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que «Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique».4 Sur les rapports entre Droits de l'Homme et santé cf. le site du François-Xavier Bagnoud Center for Health & Human Rights http://www.hsph.harvard.edu/fxbcenter/ ainsi que Mann JM. Health and human rights : If not now, when ? Health and Human Rights 1996 ; 2 : 113-20 et Mann J. Dignity and Health : The UDHR's Revolutionary First Article. Health and Human Rights 1998 ; 3 : 31-8.5 Harding TW. Health and human rights : Definition and concepts state of the art. Intervention prononcée lors de la Conférence européenne sur «Santé et Droits de l'Homme». Strasbourg, Conseil de l'Europe, 15-16 mars 1999.6 Pour une description de ces instruments universels et de leur application en Suisse : cf. le site http://www.ofj.admin.ch/f/index.html.7 Une recherche des décisions de la Cour européenne de Strasbourg dans ces domaines est possible dans le site http://www.echr.coe.int/Fr/Judgments.htm.8 Cf. Harding TW. The application of European Convention of Human Rights to the field of psychiatry. International journal of law and psychiatry 1989 ; 12 : 245-62.9 Affaire Z et autres c. Royaume-Uni, Jugement de la Cour du 10.05.2001. La Cour a reconnu une violation de l'art. 3 CEDH en raison du fait que l'Etat n'a pas mis en uvre de mesures suffisantes pour éviter que des enfants ne subissent de graves négligences.10 Recueil Décisions et Rapports N° 15, Strasbourg, Octobre 1979, p. 105 ss.11 Jugement de la Cour du 28.01.1994, Série A N° 280-A, paragraphe 12.12 Avis de la Commission du 8 juillet 1993, paragraphes 68 et 79 in Annexe au Jugement de la Cour du 28.01.1994, Série A N° 280.13 Jugement de la Cour du 06.07.2000, paragraphes 3 et 20.14 Harding TW, Bertrand D. Preventing Human Rights Violations in Places of Detention : A European initiative. Health and Human Rights 1995 ; 1 : 234-42.15 Cf. 3e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1992 (CPT/Inf(93)12), paragraphes 35 à 77 : «Services de santé dans les prisons».16 Cf. 2e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1991 (CPT/Inf(92)3), paragraphes 35 à 60 : «Détention par la police et emprisonnement».17 Cf. 8e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1997 (CPT/Inf(98)12), paragraphes 25 à 55 : «Placement non volontaire en établissement psychiatrique».18 Cf. 7e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1996 (CPT/Inf(97)10), paragraphes 24 à 36 : «Personnes retenues en vertu de législations relatives à l'entrée ou au séjour des étrangers».19 Cf. 9e rapport général d'activités du CPT couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre 1998 (CPT/Inf(99)12), paragraphes 20 à 41 : «Mineurs privés de liberté».20 Pour la Suisse, cf. rapports publiés de visites effectuées par le CPT en 1991 (CPT/Inf(93) 3) et en 1996 (CPT/Inf(97) 7).21 Cf. le texte de la Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (aussi dénommée Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine), le rapport explicatif ainsi que les pays ayant signé et ratifié ce document sur le site http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Cadreprincipal.htm. La Suisse l'a signée le 7 mai 1999, elle ne l'a pas encore ratifiée. Cf. aussi le Journal international de bioéthique (N°1, vol. 12. 2001) consacré à La Convention européenne sur la biomédecine et les Droits de l'Homme.22 Cf. Rapport en vue de la procédure de consultation relative à la Convention sur la protection des Droits de l'Homme et la biomédecine et au Protocole additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains (site http://www.ofj.admin.ch/themen/bioeth/intro-f.htm), p. 4.23 Le Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine portant interdiction du clonage d'êtres humains a été signé par la Suisse le 7 mai 1999. Cf. le site http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Cadreprincipal.htm24 Art. 5 à 9 relatifs au consentement, art. 10 ch. 1 et 2 relatifs au respect de la vie privée et au droit à l'information, art. 11 à 14 relatifs au génome humain, art. 16 et 17 sur la recherche, art. 18 ch. 2 qui interdit la création d'embryons à des fins de recherche, art. 19-20 sur le prélèvement d'organes et de tissus sur des donneurs vivants pour une transplantation, art. 21-22 qui interdisent le profit à partir du corps humain ou de ses parties et règlent leur utilisation, Cf. Rapport en vue de la procédure de consultation relative à la Convention sur la protection des Droits de l'Homme et la biomédecine et au Protocole additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains, p. 8-9.25 Cf. Rapport en vue de la procédure de consultation relative à la Convention sur la protection des Droits de l'Homme et la biomédecine et au Protocole additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains, p. 39.Bibliographie : British Medical Association. The Medical Profession & Human Rights. BMJ Bookshop, London, 2001. Pettiti LE, Decaux E, Imbert PH. La Convention européenne des Droits de l'Homme. Commentaire article par article. Paris : Ed. Economica, 1999.