Les ultrasons focalisés sont connus en urologie pour leur application dans la lithotritie extracorporelle pour le traitement des calculs urinaires. Les ultrasons focalisés de haute intensité créent des lésions irréversibles de nécrose de coagulation et de fibrose. Cela confère à cette arme thérapeutique un potentiel de destruction tissulaire. La prostate étant un organe facilement accessible par voie transrectale, c'est sur elle que sont faites les premières applications thérapeutiques de ce nouveau mode de traitement. Trois quarts des patients présentant un cancer localisé de la prostate ne sont pas candidats à une prostatectomie radicale et les possibilités thérapeutiques se limitent à l'hormonothérapie ou la radiothérapie aux effets secondaires non négligeables. Pour cette catégorie de patients, les ultrasons focalisés à haute intensité constituent une alternative thérapeutique peu invasive intéressante.
En 1880, Pierre et Jacques Curie découvrent la piézoélectricité et en 1918 Paul Langevin invente le triplet et constate qu'une main placée dans un faisceau d'ultrasons de 1 kW ressent une vive douleur semblable à celle d'une brûlure. Dès lors, l'idée d'utiliser l'hyperthermie à visée thérapeutique commence à germer dans les esprits.
Le principe de la destruction tissulaire par ultrasons focalisés (High Intensity Focused Ultrasound : HIFU) a été démontré par Fry en 1955.1 Les HIFU utilisent des fréquences de 0,1 à 10 MHz et permettent d'obtenir un échauffement supérieur à 70°C, localisé et focalisé en profondeur. Le terme de «haute intensité» fait référence à la puissance surfacique émise qui est supposée être supérieure à 100 W/cm 2.
Il y a plus de 35 ans que des systèmes capables de produire des ultrasons focalisés de haute intensité ont été conçus. C'est à Burov2 que l'on doit attribuer la première publication d'utilisation d'ultrasons à haute intensité pour traiter une tumeur.
En urologie, 70% des cancers de la prostate sont diagnostiqués à un stade localisé de la maladie mais seulement un quart bénéficient d'un traitement chirurgical ou d'une radiothérapie curative,3,4 pour les trois quarts restants l'hormonothérapie, dont les effets secondaires ne sont pas négligeables, ou l'abstention, watchful waiting, représente la seule alternative. Dans ces cas, les HIFU sont une alternative intéressante par leur caractère non invasif et par leurs indications potentielles multidisciplinaires.
Généralités physiques
et principes de traitement
La fréquence des ultrasons dans leur utilisation thérapeutique usuelle est comprise entre 0,6 et 1 MHz, voire plus. La puissance surfacique générée est de l'ordre de 0,1 à 3 W/cm2. En appliquant la sonde sur la zone à traiter à l'aide d'une pâte transsonique ou le plus souvent d'une cavité pleine d'eau, on génère des phénomènes de friction et d'échauffement accompagnant le faisceau, réalisant ainsi un massage localisé en profondeur qui accélère la circulation locale et les échanges tissulaires. Les vibrations peuvent même entraîner la lyse de certaines formations fibreuses et trouvent ainsi une application fréquente en rhumatologie.
Les développements technologiques actuels permettent d'envisager de nouvelles options thérapeutiques en utilisant des intensités supérieures à 1000 W/cm 2 par focalisation de l'énergie mécanique des faisceaux d'ultrasons dans un volume réduit appelé point focal. Cette focalisation fait généralement appel à des transducteurs concaves. La taille du point focal dépend de la longueur d'onde qui elle-même est fonction de la fréquence et des constantes du milieu. Le choix de la fréquence est un compromis entre l'absorption du faisceau en avant du point focal, qui doit être faible, et l'absorption du faisceau au niveau du point focal, qui doit être suffisante pour provoquer une forte ascension thermique (fig. 1). La température doit atteindre 60 à 65°C en quelques secondes pour obtenir une lésion irréversible du tissu traité.5
Dans le traitement du cancer de la prostate, on utilise un transducteur piézoélectrique hautement focalisé émettant des salves d'ultrasons qui durent plusieurs secondes. Au point focal, l'absorption soudaine et intense du faisceau ultrasonore entraîne une ascension thermique brutale à 85°C entraînant la destruction cellulaire dans la zone cible. La brutalité et la brièveté du phénomène évitent la diffusion de la chaleur autour du point focal.6 La répétition des tirs et le déplacement du point focal entre chaque tir, contrôlé par ordinateur, permettent de détruire un volume et donc de traiter toute la prostate.
En décubitus latéral droit et en rachi-anesthésie, la tête de tir est introduite dans le rectum et le ballon de latex est rempli à 150 cc de liquide de couplage anticavitation. La tête de tir en position d'imagerie ( fig. 2), l'opérateur définit les limites de la zone cible dans le plan sagittal puis le logiciel déplace la sonde plan par plan, en mode transversal. Le traitement débute à 5 mm de l'apex anatomique jusqu'au col vésical qui représente le point final du traitement. Les lésions provoquées ont une longueur de 13 à 18 mm. Toute la prostate est ainsi traitée par des tirs successifs de 4,5 secondes séparés par une période allant de 5 à 12 secondes pendant laquelle la tête de tir se déplace. Le traitement se déroule «tranche par tranche» de l'apex à la base, chaque «tranche» ayant une épaisseur de 1,6 mm.
Certaines équipes réalisent une résection première de la prostate de façon systématique alors que d'autres ne le font qu'en cas de présence d'un lobe médian afin de diminuer la masse prostatique et la durée de drainage vésical.
La prostatectomie radicale est le traitement de choix du cancer prostatique localisé. Cependant, un bon nombre de patients ne peuvent pas en bénéficier en raison de comorbidités fréquentes ou d'un stade localement avancé. Les HIFU peuvent être une alternative thérapeutique non invasive intéressante chez ces patients car elle permet de retarder le traitement hormonal et par conséquent le phénomène
d'échappement et d'obtenir en plus un contrôle local complet du cancer dans 60 à 80% des cas et incomplet dans 20% des cas.5,6,7 L'efficacité du traitement est jugée sur l'évolution du PSA et le résultat des biopsies. Le traitement induit une ascension brutale du taux de PSA avec un pic plus intense qu'après radiothérapie8 mais dont le nadir est obtenu plus rapidement (deux mois versus 6 à 12 mois pour la radiothérapie). Il n'existe pas de consensus sur le taux de PSA qu'il faut obtenir après traitement mais il semblerait que les patients traités par HIFU dont le taux est inférieur à 1 ng/ml ont une évolution favorable. La stabilité du taux de PSA paraît plus importante que sa valeur absolue. En cas de remontée du PSA, la situation est différente de celle de la radiothérapie puisque le traitement par ultrasons peut être répété : il n'y a pas de doses limites. Les biopsies de contrôle retrouvent des lésions de nécrose de coagulation et de fibrose. Les complications sont rares et peu nombreuses : ce sont essentiellement les infections urinaires post-traitement, les incontinences de stress et les fistules recto-urétrales, surtout en début de pratique, qui ont, de plus, quasiment disparu avec la nouvelle génération de transducteurs et l'adaptation des stratégies thérapeutiques, pour ne représenter finalement plus que respectivement 1 à 3,9% et 0 à 1,3% des complications selon les différentes séries.6,7,9
Le risque de métastases à distance induites par le traitement a été étudié par Chapelon et coll.,10 Yang et coll.11 et Oosterhof et coll.12 sur des modèles expérimentaux et toutes ces études ne montrent pas de risque métastatique.
Actuellement, le traitement du cancer prostatique par HIFU est indiqué chez les patients ne pouvant pas bénéficier de la chirurgie, ceux présentant une maladie localement avancée et en cas de récidive après chirurgie, radiothérapie ou traitement hormonal précoce.13,14 Le traitement par ultrasons ne doit pas être utilisé chez les patients candidats à un traitement chirurgical du fait de l'accolement du bloc prostatique à la paroi antérieure du rectum après traitement. L'utilisation des HIFU à visée curative est actuellement évaluée par une étude européenne multicentrique de phase 2.5
Pour le cancer localisé de la prostate ne relevant pas de la prostatectomie radicale, les possibilités thérapeutiques actuelles se limitent à la radiothérapie et à l'hormonothérapie aux effets secondaires non négligeables. Les HIFU représentent une arme thérapeutique supplémentaire, non invasive, permettant de diminuer les symptômes locaux et retarder la progression locale de la maladie améliorant ainsi la qualité de vie. Les possibilités curatives de ce type de traitement sont en cours d'évaluation. Les voies de recherche actuelles comprennent la mise sur pied de stratégies de traitement des gros volumes, l'amélioration des connaissances des mécanismes de destruction cellulaire et tissulaire adaptées à chaque tissu et l'amélioration des techniques d'imagerie pour le repérage et le contrôle du tissu traité. Comme pour la lithotritie extracorporelle, cette technique nécessite la présence et l'action de l'urologue pour optimiser le repérage et assurer une sécurité optimale.