L'heure, aujourd'hui, est à ces végétaux génétiquement modifiés, destinés à l'alimentation des hommes et de leurs bêtes que l'on désigne désormais sous le sigle unique d'OGM comme si les bactéries et les virus dont le patrimoine héréditaire naturel a été modifié par l'homme n'étaient pas, eux aussi, des OGM. Noël approche et la question posée ce matin par les journalistes des stations de radio est de savoir si le célébrissime, tricolore et truculent José Bové, cofondateur de la Confédération paysanne, passera ou pas les fêtes en prison. L'avocat général de la cour d'appel de Montpellier a requis huit mois de prison ferme pour sa participation à la destruction de riz transgénique au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), en juin 1999. Une condamnation à de la prison ferme entraînerait, en toute logique judiciaire, l'annulation du sursis qui accompagnait une première condamnation à huit mois de prison par le tribunal correctionnel d'Agen en février 1998 pour avoir détruit en 1997 et avec plusieurs militants de la Confédération paysanne un stock de semences transgéniques sur un site du géant suisse Novartis à Nérac (Lot-et-Garonne).
Devant la cour d'appel de Montpellier, l'avocat général avait justifié son réquisitoire en reprochant à M. Bové d'être un «récidiviste». «Ce qui est intolérable, c'est que les prévenus revendiquent de pouvoir casser pour faire triompher leurs idées» avait-il dit, rappelant que loin de devoir débattre des vertus ou des dangers des OGM les magistrats devaient se borner «à juger un acte délictuel et faire appliquer la loi». Pour sa part, l'avocat du CIRAD, partie civile, avait souligné que José Bové et ses amis n'étaient «ni les gardiens des intérêts de la planète ni les détenteurs de la vérité». Quant à l'avocat de M. Bové, il avait dénoncé un «réquisitoire politique». «On ne réclame pas huit mois de prison ferme pour une porte fracturée, avait-il affirmé. Je suis terrifié par l'apparente bonne conscience des chercheurs, et surpris qu'aucun ne puisse répondre à la question : à quoi servent les OGM ?»
Pourquoi tant de haine et d'incompréhension ? La question est vaste, complexe. Mais force est de reconnaître que celle sur la fonction précise des OGM permettrait peut-être de progresser. On la retrouvait omniprésente, ces derniers jours, dans les couloirs de l'Institut Pasteur de Paris où l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) organisait un colloque international consacré aux OGM et, plus précisément, à leurs hypothétiques vertus. On connaît certes les arguments bien connus des multinationales ayant largement investi ces dernières années dans le développement mondial de ces végétaux modifiés. Figurent là, pêle-mêle, les nouveaux espoirs de résoudre les problèmes de faim dans le monde, les bénéfices que présenteraient des aliments correspondant mieux à nos besoins nutritionnels ou encore la mise en uvre de pratiques agricoles différentes, présentant moins de risques pour la santé. Mais comment être pleinement convaincu dès lors que ces avantages sont avancés par ceux qui ont un intérêt direct dans cette gigantesque affaire.
«L'objet de ce colloque n'est pas de prendre partie, de démontrer les bénéfices des OGM, mais de donner des bases scientifiques sérieuses à tous les arguments que l'on entend aujourd'hui sur les effets de ces organismes pour la santé, a expliqué Martin Hirsch, directeur général de l'Afssa. Concernant leurs effets positifs pour la santé, il y a bien souvent des postulats et jamais de preuves. On ne dispose dans ce domaine d'aucune démonstration et les méthodes de démonstration elles-mêmes n'existent pas encore.» Il reste dès lors à savoir comment organiser au mieux l'articulation entre les intérêts, a priori nullement illégitimes, des multinationales impliquées dans cette recherche et ceux de la santé publique. Comment sortir de l'invective, des accusations croisées, des anathèmes ? Comment prendre en compte les angoisses de ceux de nos contemporains pour qui notre monde bouge trop et trop vite ? Est-il à ce point urgent d'accélérer le grand brassage génétique du vivant ?
A sa manière, policée autant que politique, Bernard Kouchner, ministre français délégué à la Santé, nous montre la voie médiane et sage qui reste à emprunter. Lors du colloque de l'Afssa, il a ainsi annoncé le prochain financement à hauteur de trois millions de francs d'un programme hospitalier de recherche clinique et biologique sur le thème des OGM et de l'alimentation. Ces recherches seront conduites conjointement par les experts de l'Afssa, le CHU de Nancy et l'équipe de Gabriel Peltre (CNRS, département de physiopathologie de l'Institut Pasteur de Paris). L'une des principales questions soulevées sera celle de l'allergie. «Il est aujourd'hui difficile de prédire le caractère allergisant ou non d'un nouvel aliment et des efforts sont indispensables pour permettre la détection d'éventuels cas d'allergie pouvant être associés à des OGM» a souligné le ministre qui a annoncé être favorable à un encadrement spécifique de la commercialisation des aliments génétiquement modifiés. «Les aliments fabriqués à partir d'OGM ne sont certes pas des médicaments mais ils sont bien des produits biologiques issus de notre technique auxquels on cherche à attribuer des vertus sanitaires, a-t-il déclaré. Il faut donc que ces produits fassent l'objet d'essais cliniques préalables à leur mise sur le marché.»
Verra-t-on bientôt des volontaires consommer, sous le trébuchet des hommes de science, des OGM à mi-chemin du médicament et de l'aliment ? Comment définira-t-on la méthodologie de telles entreprises ? Tout reste à faire dans la gestion de ce nouveau risque et dans l'uvre de pédagogie qui devrait l'accompagner. Une chose est certaine : les questions touchant à l'alimentation feront désormais de plus en plus partie intégrante de la politique de santé. Une question reste aujourd'hui pendante : s'il devait passer les fêtes de Noël en prison, quel serait le menu de réveillon du pourfendeur des OGM ?