Les infections respiratoires hautes sont responsables des trois-quarts des prescriptions antibiotiques ambulatoires. De nouvelles directives précisent les indications à ces traitements en mettant en évidence le fait que la plupart des prescriptions ne sont pas justifiées, contribuant ainsi à l'augmentation de la fréquence des résistances bactériennes. Les pneumonies communautaires sont majoritairement dues à des pneumocoques et des mycoplasmes, aussi l'antibiothérapie doit essentiellement couvrir ces deux germes. Les nouveaux inhibiteurs de la neuraminidase prescrits aux contacts de patients grippés permettent de diminuer significativement l'incidence de cette infection dans le cadre familial. Alors que le traitement des piqûres de tiques par une dose unique de doxycycline peut prévenir la transmission de la maladie de Lyme, le traitement antibiotique de manifestations chroniques attribuées à cette maladie n'a pas apporté de bénéfices. L'auto-traitement des infections urinaires récidivantes de la femme jeune est validé par une étude prospective. Toutes ces études devraient ainsi apporter des éléments permettant un usage plus économique et rationnel des antibiotiques.
De nouvelles stratégies pour le traitement des infections respiratoires sont indispensables puisque l'on observe partout dans le monde industriel une augmentation de la fréquence des pneumocoques résistant à la pénicilline. Cette augmentation est proportionnelle à la quantité d'antibiotiques prescrits qui varie énormément d'un pays à l'autre.1 En France 36,5 personnes/1000 par jour consomment un antibiotique (cela signifie qu'en moyenne chaque Français reçoit des antibiotiques dix jours par an). Aux Pays-Bas seules 9 personnes/1000 en consomment. En Grèce où les antibiotiques ne devraient pas être délivrés sans prescription, une étude2 a montré que si l'on se présente dans une pharmacie pour demander des antibiotiques pour sa sur qui a des douleurs des sinus et de la fièvre depuis deux jours, 76 pharmacies sur 98 vendent un antibiotique. On ne s'étonne donc pas des différences dans la proportion de germes résistants rencontrés en Europe. Cette situation n'est pas immuable puisque sur une même période de sept ans la consommation antibiotique a augmenté de 34% en Italie et diminué de 21% en Suède. Aux Etats-Unis Gonzales et coll.3 ont montré que 76% des otites, 62% des pharyngites, 59% des bronchites et 70% des sinusites étaient traitées par des antibiotiques. Ils estiment que la prévalence des infections bactériennes justifiant une antibiothérapie était la suivante : otites 65%, sinusites 40%, pharyngites 25%, bronchites 10% et infections des voies aériennes supérieures 5%. Au total 55% des antibiotiques prescrits l'étaient pour des infections qui avaient très peu de risque d'être bactériennes.
Puisque 75% des antibiotiques prescrits ambulatoirement sont destinés à traiter des infections respiratoires, on se rend compte du potentiel d'économie que leur utilisation rationnelle dans ce type de pathologie peut représenter.
C'est dans ce contexte que la publication émanant ou approuvée par plusieurs organisations médicales américaines (parmi lesquelles l'American College of physician (ACP), l'American Society of internal medicine (ASIM), CDC et partiellement l'Infectious Diseases Society of America (IDSA)) d'une série d'articles traitant des indications à l'antibiothérapie dans les infections respiratoires hautes est bienvenue et mérite d'être résumée ici.4
Les cinq sujets analysés (infections respiratoires non spécifiques, sinusites, pharyngites et bronchites aiguës et chroniques) sont présentés chacun dans deux articles : le premier reprend les études contrôlées qui permettent d'arriver aux recommandations présentées dans le deuxième article. Les conclusions générales sont résumées dans le tableau 1.
Ce terme recouvre toutes les infections qui ne sont pas localisées à un site précis (pharynx, sinus, bronches). Ces infections représentent un grand nombre des patients vus en consultation. Presque toutes ces infections sont virales, les complications sont rares et les sécrétions puru-lentes ne sont pas un argument pour prescrire des antibiotiques. Les auteurs citent sept études contrôlées qui prouvent que les antibiotiques ne sont pas utiles dans ce contexte.
La plupart des sinusites sont virales mais 0,2 à 2% sont compliquées par des infections bactériennes. En réalité la plupart des infections non spécifiques sont aussi accompagnées de sinusites et guérissent sans traitement en sept à dix jours. La persistance de fièvre après sept jours est un indicateur modérément sensible mais non spécifique d'une cause bactérienne. Dans cette situation, les méta-analyses Cochrane ou AHRQ ne montrent qu'un petit bénéfice d'antibiothérapie. Les investigations radiologiques et bactériologiques ne sont pas recommandées. Les antibiotiques ne devraient être prescrits dans les sinusites que si les symptômes sont sévères, durent plus de sept jours avec un écoulement purulent et des douleurs de la face. Les auteurs préconisent alors d'utiliser l'amoxicilline, la doxycycline ou le cotrimoxazole.
Seules les pharyngites à streptocoques ß-hémolytiques du groupe A doivent être traitées par un antibiotique, ce qui représente 5 à 15% des pharyngites de l'adulte. Les recommandations prennent en compte les quatre critères de Centor décrits en 1991 (exsudat amygdalien, adénopathies cervicales antérieures, histoire de fièvre et absence de toux). Les patients remplissant ces quatre critères doivent être traités alors qu'un test rapide est préconisé chez ceux qui ne présentent que deux ou trois critères. Si le test n'est pas disponible, il est recommandé de ne traiter qu'en présence d'au moins trois critères. Les auteurs préconisent la pénicilline ou un macrolide. Ces directives n'ont cependant pas reçu l'aval de l'IDSA qui recommande un usage plus systématique des tests rapides et éventuellement des cultures comme le suggère aussi Bisno.11 De plus Stollermann12 rappelle que même si le rhumatisme articulaire aigu a quasi disparu des pays industrialisés, il n'est pas certain que cela permette sans risque de baisser la garde et de banaliser les pharyngites. A signaler une méta-analyse13 de six études contrôlées qui montre que des traitements de pénicilline V ou d'amoxicilline prescrits en deux doses par jour sont aussi efficaces que trois ou quatre doses par jour et que la compliance est meilleure.
Ces recommandations concernent uniquement les bronchites aiguës chez l'adulte immunocompétent et sans affection pulmonaire chronique. On souligne que dans cette situation le plus important est d'exclure la possibilité qu'il s'agisse d'une pneumonie surtout en cas d'affection de plus de trois semaines et en présence de fièvre ou d'atteinte générale. En l'absence de pneumonie, les antibiotiques ne sont pas recommandés, sauf si l'on suspecte une coqueluche à son début, ce diagnostic étant au demeurant difficile à prouver rapidement.
Face à une affection respiratoire aiguë le médecin pense souvent que la satisfaction du patient passe par la prescription d'antibiotiques. Une étude de la Mayo Clinic16 confirme que cette opinion n'est pas fondée. Quelle que soit leur opinion avant la consultation, la satisfaction des patients dépendait plus du temps passé à donner des explications adéquates que de la nature de l'ordonnance. Une autre étude17 avait montré des résultats similaires et l'auteur émettait de plus l'idée intéressante qu'il vaudrait mieux employer un autre terme que celui de bronchite, terme qui a probablement aux yeux des patients une représentation d'affection sévère. La traduction littérale de «chest cold» n'est guère envisageable et le vocable «infection virale des voies respiratoires supérieures» un peu long.
La prescription d'antibiotiques dans les exacerbations aiguës des bronchites chroniques est proposée en cas de dyspnée avec augmentation des expectorations. Pourtant les travaux qui soutiennent cette pratique sont anciens et ne montraient que des bénéfices relativement faibles aux dires des auteurs des recommanda-tions américaines. Il faut donc admettre qu'actuellement il n'y a pas d'arguments permettant de renoncer à ces traitements et que de nouvelles études contrôlées avec un placebo ne sem-blent pas éthiquement praticables. D'autres recommandations ne concernant pas l'antibiothérapie sont également présentées.
Le traitement rationnel des pneumonies implique de bonnes connaissances de leur épidémiologie. Alors que les données sur les pneumonies traitées sans hospitalisation étaient peu nombreuses dans la littérature, deux études ont été publiées en 2001. Dans la première,20 neuchâteloise, sur 170 cas, 30% des pneumonies étaient d'origine pneumococcique et 13% secondaires à une infection à mycoplasme. Dans 8,4% des cas une hospitalisation s'était avérée nécessaire. Dans l'autre étude, finlandaise,21 conduite il y a dix-neuf ans, tous les patients d'une région, atteints de pneumonies ont été inclus qu'ils soient hospitalisés ou non (304 malades). Les pneumocoques ont été retrouvés dans 41% et les mycoplasmes dans 10% des cas. L'étiologie dépendait plus de l'âge des malades que du fait d'être hospitalisé (44% des patients étaient hospitalisés). Les motifs d'hospitalisation codifiés par les études de Fine définissant un index de sévérité peuvent-ils être mis en pratique ? Une étude prospective espagnole22 dans un grand hôpital met en évidence que 40% des patients ne correspondent pas aux critères de sévérité définis comme justifiant une hospitalisation. Les auteurs plaident pour une prise en compte dans les critères d'hospitalisation d'autres facteurs que ceux responsables de la mortalité. La présence d'un épanchement pleural était une cause fréquente d'hospitalisation. L'ensemble des études sur les pneumonies publiées ces dernières années permet de se faire une idée plus claire sur le risque que courent les patients et sur les raisons de les hospitaliser. Le traitement antibiotique des pneumonies doit donc couvrir tant les pneumocoques que les germes atypiques. Les macrolides et les quinolones semblent équivalents comme cela est montré dans une étude multicentrique23 comprenant plus de 500 patients comparant clarithromycine (2 x 500 mg) et moxifloxacine (1 x 200 ou 400 mg) pendant dix jours. Un usage trop large des quinolones doit cependant être évité. L'étude des facteurs de risque pour l'acquisition d'une résistance de S. pneumoniae à la lévofloxacine24 montre que l'utilisation de cet antibiotique dans les poussées de bronchites chroniques, l'hospitalisation, le séjour dans un home en étaient les principaux facteurs.
La prévention de la grippe par l'oseltamivir dans le cadre familial a fait l'objet d'une étude 25 randomisée en double aveugle contrôlée par un placebo dans 76 centres. Les contacts (955 personnes) de 377 malades recevaient soit un placebo soit 75 mg d'oseltamivir pendant sept jours. Le traitement des contacts devait débuter au plus tard 48 heures après le début de la maladie du cas index. L'étude démontre une efficacité clinique de 89% et une diminution de 84% de l'excrétion virale chez les contacts. Les effets secondaires étaient rares avec 9,3% pour l'oseltamivir contre 7,2% pour le placebo. Une autre étude randomisée en double-aveugle contrôlée par un placebo avec le zanamivir 26 comprenant 321 cas infectés et leur 837 contacts démontrait des résultats similaires avec une diminution de 79% des cas cliniques. A noter que dans cette étude et contrairement à la précédente les cas index recevaient le même traitement que leurs contacts (zanamivir en dose thérapeutique ou placebo). Ce travail permet de confirmer une diminution de la durée de la symptomatologie de 2,5 jours chez les cas traités.
Laurent Kaiser et coll.27 dans une méta-analyse de sept études randomisées (2499 patients), en double-aveugle contrôlée par un placebo démontre une diminution de la fréquence des antibiotiques utilisés : 11% des patients traités par zanamivir recevaient un antibiotique contre 17% des patients recevant un placebo. Les bronchites (57 cas avec placebo contre 37 cas avec zanamivir) et les pneumonies (14 cas avec placebo et cas avec zanamivir) sont responsables de cette différence.
L'utilité d'un traitement prophylactique par une simple dose de 200 mg de doxycycline en cas de morsure de tique a été investiguée par un groupe américain.28 Il s'agit d'une étude randomisée en double-aveugle contrôlée par un placebo chez 482 patients qui avaient enlevé la tique dans les 72 heures précédentes. Les résultats révélaient une incidence d'érythème migrant de 0,4% (1/235 patients) dans le groupe traité et de 3,2% (8/247 patients) dans le groupe placebo (p 29 apporte des conclusions intéressantes sur le rôle que pourrait jouer la maladie de Lyme dans les syndromes de fatigue chronique et les états douloureux neuromusculaires. Des patients ayant présenté une maladie de Lyme traitée lege artis et présentant un état de fatigue de plus de six mois étaient répartis en deux groupes selon leur status sérologique pour B. burgdorferi. Dans chaque groupe (l'un de 78 patients avec sérologie positive et l'autre de 51 patients avec sérologie négative) les malades étaient randomisés pour recevoir un traitement de ceftriaxone 2 g i.v. par jour pendant un mois plus de la doxycycline orale 200 mg/jour pendant deux mois ou des placebo correspondants. Dans les deux groupes le traitement n'a apporté aucune amélioration entraînant l'arrêt prématuré de l'étude. Ces résultats corroborent ceux obtenus par Kalish30 qui, en reprenant 84 patients sélectionnés par hasard parmi ceux ayant participé aux études de Steere publiées en 1977, montrent que dix à vingt ans plus tard, seuls les patients ayant présenté une paralysie faciale avaient des séquelles. Celles-ci consistaient essentiellement en déficits neurologiques périphériques, les patients n'ayant pas eu de traitement en phase aiguë ayant également un peu plus de douleurs articulaires et de troubles du sommeil. Ces études devraient contribuer à éviter de prescrire des traitements antibiotiques prolongés à des malades séropositifs pour B. burgdorferi et souffrant de fatigue chronique ou de fibromyalgie.
Le groupe de Stamm montre dans une étude prospective non contrôlée sur 172 femmes présentant des infections urinaires récidivantes non compliquées que le diagnostic d'infection urinaire peut être posé cliniquement par les femmes elles-mêmes. Lorsque les femmes diagnostiquaient une infection urinaire, celle-ci pouvait être confirmée par des examens de laboratoire dans 95% des cas (84% d'infection et 11% de pyurie stérile). Un traitement de trois jours par des quinolones était cliniquement efficace dans 92% des cas et bactériologiquement efficace dans 96% des cas. Ce concept, proposé et probablement appliqué depuis quelques années se trouve ainsi validé, permettant de simplifier la prise en charge d'un problème fréquent en responsabilisant et instruisant les patientes.
Quinupristine/dalfopristine (Synercid®)
Les deux substances sont des dérivés d'un produit semi-synthétique, la pristinamycine appartenant à la classe des streptogramines. Elles agissent de façon synergique sur la synthèse protéique au niveau des ribosomes. Le médicament commercialisé doit être considéré comme un antibiotique de réserve et ne s'administre que par perfusions intraveineuses. Le spectre d'activité est étroit mais inclus des Enterococcus faecium résistant à la vancomycine et à la teïcoplanine, des Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline et certains germes rares et résistants comme Corynebacterium jeikeium. Une étude prospective multicentrique comprenant 396 patients infectés par des Enterococcus faecium démontre un succès dans 65% des cas.32
Ce nouvel antimycosique prochainement commercialisé fait partie d'une nouvelle classe de médicaments appelés échinocandines. Ce lipopeptide agit sur un glycan de la paroi fungique alors que l'amphotéricine B ou les antifungiques azolés inhibent la synthèse des stérols.
L'expérience clinique est encore limitée mais ce produit a montré son efficacité dans l'aspergillose invasive. Une étude multicentrique randomisée contrôlée en double-aveugle34 compare l'efficacité et la tolérance de la caspofungine par rapport à l'amphotéricine B dans la candidose sophagienne. L'efficacité était de 89% versus 63% en faveur du nouveau médicament qui n'avait dû être abandonné que dans 7% des cas contre 24% d'arrêt de traitement pour l'amphotéricine B.