La thrombose porte est la cause la plus fréquente d'hypertension portale extrahépatique dans les pays occidentaux. En présence d'une cirrhose, elle doit faire rechercher un carcinome hépatocellulaire, mais lorsqu'elle survient en dehors de ce contexte, il est indiqué de rechercher une thrombophilie et un facteur déclenchant loco-régional. Le traitement de la thrombose porte vise à reperméabiliser le vaisseau thrombosé, prévenir l'extension possible de la thrombose, traiter l'hypertension portale ainsi que l'affection prothrombotique sous-jacente. Le traitement anticoagulant est reconnu efficace et dénué de risque hémorragique grave lors de thrombose porte récente ou ancienne chez des malades indemnes de cirrhose. Le bénéfice de ce traitement est discuté dans d'autres situations cliniques.
La thrombose de la veine porte représente la cause la plus fréquente d'hypertension portale extrahépatique avec foie normal dans le mode occidental, avec une incidence de 7,8% dans une série italienne de plus de 600 patients.1 Le pronostic vital de ces patients est conditionné par l'affection causale plus que par la thrombose porte elle-même.2 La prévalence de la thrombose porte chez les patients atteints de cirrhose varie entre 0,6%3 et 26%,4,5 mais ce chiffre est plus élevé si la cirrhose est compliquée d'un carcinome hépatocellulaire.3 Il est donc important, dans la discussion qui suit, de distinguer la thrombose porte selon qu'elle est associée ou non à une cirrhose. Le but de cet article est de présenter les aspects diagnostiques de la thrombose porte chez l'adulte, de préciser les facteurs qui favorisent sa survenue, et finalement de proposer une prise en charge thérapeutique se basant sur des données récentes.
La thrombose porte peut être d'apparition récente ou ancienne. Cette distinction est importante, car la prise en charge est différente. La thrombose récente peut se manifester par des douleurs abdominales parfois associées à la présence transitoire d'ascite et de diarrhée dans un contexte de chirurgie abdominale récente ou de foyers infectieux intra-abdominaux (voir plus loin). Néanmoins, la diversité du tableau clinique rend ce diagnostic difficile.6,7 A ce stade, le risque hémorragique est quasi nul. Toutefois, l'extension du thrombus vers la veine mésentérique peut aboutir à un tableau clinique plus bruyant d'infarctus mésentérique. Biologiquement, on observe une baisse des facteurs de coagulation en rapport avec une consommation.
La thrombose porte ancienne se manifeste le plus fréquemment sous la forme de complications hémorragiques liées à l'hypertension portale, que ce soit sur varices sophagiennes, gastriques ou ectopiques, comme cela est fréquent dans cette situation.8 Une splénomégalie peut être cliniquement évidente. Une fois établie, la thrombose est habituellement paucisymptomatique, en dehors de possibles épisodes d'extension de la thrombose. Les examens biologiques montrent volontiers les signes d'un hypersplénisme sous la forme d'une pancytopénie, mais le bilan hépatique est habituellement peu altéré. Le tableau 1 présente les situations cliniques où une thrombose porte doit être suspectée.
Le diagnostic de cirrhose doit être idéalement basé sur l'histologie, car la thrombose porte peut à elle seule entraîner une dysmorphie hépatique, une baisse des facteurs de coagulation et les manifestations hématologiques d'un hypersplénisme. Dans le contexte d'une cirrhose, la découverte d'une thrombose porte est un événement qui s'inscrit dans deux situations différentes. Dans la première, la thrombose accompagne un carcinome hépatocellulaire dont le tropisme vasculaire est bien décrit.9 Dans la seconde, une thrombose porte partielle ou complète complique une cirrhose avec insuffisance hépatique avancée et un ralentissement important du flux sanguin porte. La survenue d'une thrombose porte chez un patient avec une fonction hépatocellulaire conservée est exceptionnelle et motive une recherche étiologique (voir plus loin).
Si une thrombose porte est suspectée, il faut effectuer une échographie avec Doppler qui, avec une sensibilité de 85%,10 permet dans la majorité des cas de visualiser le thrombus (matériel hyperéchogène dans la lumière vasculaire), d'objectiver l'absence de flux à ce niveau, et de mettre en évidence le développement de collatérales porto-portes, appelées cavernomes, dont l'installation peut être rapide (quelques jours à quelques semaines). Dans le contexte d'une thrombose porte associée à un carcinome hépatocellulaire, la détection de signaux artériels pulsatiles au Doppler au sein du thrombus est un signe spécifique d'invasion tumorale.11 En présence d'un examen de qualité échographique suboptimal ou quand le flux sanguin porte est très ralenti, un CT-scan avec produit de contraste ou une IRM sont indiqués.12
La prise en charge et en particulier le bénéfice thérapeutique diffèrent selon que la thrombose porte est ancienne ou récente. Les éléments diagnostiques qui tendent à s'orienter vers l'une ou l'autre entité sont résumés dans le tableau 2.
Chercher la cause d'une thrombose porte
Les progrès en techniques de biologie moléculaire ont permis de mettre en évidence de nouvelles anomalies de la coagulation à l'origine d'événements thrombotiques.13-15 Chez les malades atteints de cirrhose sans carcinome hépatocellulaire, on trouve également une fréquence élevée de facteurs prothrombotiques.16 Selon le concept actuel, la survenue d'événements thrombotiques veineux est multifactorielle,17 combinant la présence de facteurs favorisants (facteurs prothrombotiques) et de facteurs déclenchants. L'examen clinique et l'imagerie permettent dans la plupart des cas la mise en évidence d'un événement déclenchant comme une infection ou un traumatisme quel qu'il soit (tableau 3), alors que les états prothrombotiques (ou thrombophiliques) doivent faire l'objet d'une recherche approfondie. Il est ainsi fréquent de détecter un ou plusieurs de ces facteurs chez des patients atteints de thrombose porte.13,18,19 Parmi les états prothrombotiques, on distingue les syndromes myéloprolifératifs d'une part et les anomalies de la coagulation d'autre part (tableau 3).
Dans quelle situation faut-il rechercher un état prothrombotique ?
Une recherche étiologique permet dans la majorité des cas de mettre en évidence un ou plusieurs facteurs favorisant la thrombose.19,20 Cet exercice doit néanmoins être réservé à des situations cliniques précises. Nous proposons d'appliquer l'algorithme ci-après (tableau 4).
Le traitement de la thrombose porte vise à reperméabiliser le vaisseau thrombosé, prévenir l'extension possible de la thrombose, traiter l'hypertension portale ainsi que l'affection préthrombotique sous-jacente.
Bien qu'une reperméabilisation spontanée de la thrombose porte soit possible, le traitement anticoagulant permet une reperméabilisation partielle ou complète dans une majorité des cas (> 80%) de thrombose porte récente,21,22 et ce en l'absence de risque augmenté d'hémorragie. De surcroît, dans l'étude de Condat et coll., la mortalité par accident de thrombose et par hémorragie digestive était limitée aux malades ne recevant pas d'anticoagulation. Les auteurs ont émis l'hypothèse que l'effet protecteur du traitement anticoagulant pouvait être associé à la limitation de l'extension de la thrombose et ainsi au degré d'hypertension portale.
Le bénéfice d'une anticoagulation apparaît aussi lors de thrombose porte ancienne avec cavernome, chez des patients ayant un état prothrombotique et des varices sophagiennes de petite taille ou traitées de manière préventive.23 Chez ces malades, les événements thrombotiques (essentiellement l'extension de la thrombose) étaient réduits de deux tiers.
L'intérêt de l'anticoagulation dans la situation d'une thrombose porte chez le malade atteint de cirrhose, mais sans carcinome hépatocellulaire, n'a pas été étudié. En l'absence d'insuffisance hépatique associée (cirrhose Child A), il est proposé d'appliquer les mêmes recommandations que lors de thrombose porte sans cirrhose.
Des thérapeutiques invasives comme la fibrinolyse ou la désobstruction porte chirurgicale24 sont possibles mais risquées.
A un stade de thrombose constituée avec cavernome, le traitement vise à empêcher l'extension du thrombus, et donc le risque d'une ischémie mésentérique.
La durée du traitement anticoagulant en présence d'une thrombose porte n'étant pas codifiée, on propose par analogie à la thrombose veineuse profonde un traitement de six mois par antivitamine K en visant un INR entre 2 et 3.
L'hémorragie digestive sur rupture de varices sophagiennes ou gastriques représente une complication sérieuse de la thrombose porte, bien qu'associée à une mortalité moindre que lorsque l'hémorragie survient dans un contexte de cirrhose avec insuffisance hépatique. Ce risque hémorragique est presque nul en cas de thrombose récente.
En se basant sur les effets bénéfiques hémodynamiques des bêta-bloquants chez des malades atteints de cirrhose, l'administration de propranolol est justifiée pour prévenir les accidents hémorragiques chez les patients avec thrombose porte et hypertension portale extrahépatique. En période hémorragique, les traitements endoscopiques sont efficaces tant pour assurer l'hémostase que pour éradiquer les varices.25
Les shunts porto-systémiques ont l'avantage théorique de mettre les patients à l'abri de complications hémorragiques,26 mais sont parfois difficiles à confectionner en raison de la thrombose d'autres veines splanchniques, et sont exposés au risque élevé de thrombose en rapport avec l'état hypercoagulable sous-jacent.
Le bénéfice du traitement anticoagulant dans différentes situations cliniques est illustré dans le tableau 5.
La présence d'une thrombose porte n'est actuellement plus considérée comme une contre-indication absolue à la transplantation hépatique.27 Néanmoins, sa présence complique considérablement le geste chirurgical, car l'anastomose veineuse doit être confectionnée sur une autre structure vasculaire splanchnique. De ce fait, si une thrombose porte est détectée chez un patient candidat à une transplantation hépatique, un traitement anticoagulant doit être discuté dans le but d'empêcher l'extension du thrombus.