Résumé
En 2001 la plus grande étude randomisée de l'histoire des maladies inflammatoires de l'intestin (MICI) a été rapportée. Cette étude a confirmé l'apport de l'infliximab un anticorps monoclonal anti-TNFa dans le traitement d'attaque et d'entretien de la maladie de Crohn. Les résultats de cette étude sont discutés en détail ci-après dans l'article sur les acquisitions thérapeutiques dans le domaine des MICI. En parallèle de cette étude, les séries cliniques confirmant l'efficacité de cet agent dans les formes active et fistulisante de cette maladie s'accumulent. Ces données ont fait que l'infliximab est entré de plain-pied dans l'arsenal thérapeutique contre la maladie de Crohn. Cela constitue certainement l'acquisition thérapeutique majeure de l'année en gastro-entérologie.Ce succès thérapeutique appelle toutefois plusieurs commentaires. Les indications et contre-indications à ce traitement sont encore en cours de définition, ses effets secondaires, l'immunosuppression qu'il induit, le développement d'anticorps anti-infliximab et le coût de cette thérapie sont autant d'aspects de l'emploi de l'infliximab qu'il va s'agir d'apprendre à maîtriser. Ces éléments seront d'autant plus importants à intégrer que l'infliximab est suivi d'autres représentants de cette nouvelle classe de médicaments que constituent les agents anti-TNFa.1,2 Ces agents anti-TNFa, déjà utilisés dans d'autres domaines de la médecine, pourraient par ailleurs bien s'étendre à d'autres pathologies digestives et hépatiques.Actuellement les indications reconnues à l'infliximab sont la maladie de Crohn active résistante aux corticostéroïdes et aux immunosuppresseurs oraux (azathioprine, 6-mercaptopurine, méthotrexate) et la maladie de Crohn fistulisante.3 L'infliximab est également actif dans la maladie de Crohn cortico-dépendante, une nouvelle indication de cette thérapie. De plus, l'infliximab a prouvé son efficacité comme traitement d'entretien après induction d'une rémission avec ce produit. Toutefois les études disponibles n'ont pas encore prouvé son efficacité et sa sécurité d'emploi au-delà de douze mois. Il convient donc de rester encore très prudent dans l'usage à long terme de ce médicament.L'infliximab entraîne l'apoptose des macrophages et des cellules T activées, la base de son effet bénéfique dans la maladie de Crohn.4 Cette action induit aussi une sensibilité accrue aux infections bactériennes, qui se traduit par une incidence de 20% d'infections chez les patients traités, principalement des infections des voies respiratoires et urinaires. Des cas isolés d'infections opportunistes (histoplasmose, listériose, aspergillose, candidose systémique) ont été décrits. La réactivation d'une tuberculose est plus fréquente et près de 100 cas ont déjà été recensés.5 La lyse cellulaire induite par l'infliximab est probablement à l'origine de l'apparition d'anticorps antinucléaires et anti-ADN qui peut survenir. Cette complication peut entraîner un syndrome lupique.L'infliximab est un anticorps chimérique dont 25% de la séquence peptidique sont d'origine murine. De ce fait des anticorps anti-infliximab (aussi appelés HACA) peuvent apparaître. Ces anticorps ont été retrouvés chez les patients traités à l'infliximab. La fréquence de l'apparition de ces anticorps augmente avec le nombre de doses, surtout si ces doses ont été administrées de manière sporadique et en l'absence de traitement immunosuppresseur. Le développement de ces anticorps augmente le risque de réactions lors de l'administration du médicament et diminue les chances de succès de la thérapie.Malgré ces limitations, l'infliximab constitue un progrès important pour les patients et il est souhaitable que son usage augmente dans les années à venir pour les patients susceptibles d'en bénéficier. Ce produit est en effet associé avec une forte amélioration de la qualité de vie des patients, une diminution des consultations, investigations, hospitalisations et interventions chirurgicales dues à la maladie. Des études européennes et américaines ont montré que les bénéfices engendrés par cette diminution d'utilisation des ressources médicales compensent en moins d'une année le coût élevé de la thérapie (entre 2000. et 4000. par dose, en fonction du poids corporel du patient). Comme gastro-entérologues universitaires, nous avons là un rôle d'enseignement auprès de nos confrères installés à remplir. Le réseau IBDnet.ch (www.IBDnet.ch) contribue à cet effort. De plus, une étude suisse de suivi des patients traités à l'infliximab a débuté sous l'égide de ce groupe. En plus de fournir des données sur la sécurité d'emploi en pratique de l'infliximab, cette étude favorise une prise en charge optimale des patients, par une claire définition des indications au traitement et en favorisant la détection rapide des complications. Une autre étude multicentrique suisse teste la valeur d'une prémédication par les stéroïdes pour limiter le développement d'anticorps anti-infliximab lors de l'administration de cet agent dans la maladie de Crohn.L'infliximab pourrait également s'avérer efficace dans la colite ulcéreuse. Après quelques études préliminaires non contrôlées qui n'ont pas toutes été positives, une grande étude contrôlée multicentrique est en cours aux Etats-Unis. L'infliximab n'est pas recommandé dans cette indication à l'heure actuelle. Il sera très intéressant de savoir si cet anticorps anti-TNFa peut entraîner le contrôle d'une inflammation où le TNFa n'est pas particulièrement élevé. Une apoptose de cellules pro-inflammatoires activées pourrait en théorie être induite par l'infliximab même en présence d'une quantité limitée de cette cytokine, pour autant que le niveau d'expression de son récepteur sur les cellules activées soit suffisant.D'autres agents anti-TNFa sont disponibles. Parmi ceux-ci, l'étanercept, une forme soluble du récepteur de surface humain du TNFa, est commercialisé et figure sur la liste de l'OICM en Suisse. Ce médicament est très efficace dans la polyarthrite rhumatoïde. La grande étude multicentrique conduite cette année qui devait établir son efficacité dans la maladie de Crohn a toutefois été négative.6 Si ces résultats devraient nous inciter à ne pas tenter une telle thérapie dans cette indication, ils suggèrent que le TNFa ne produit pas ses effets de la même manière dans les différentes pathologies où cette cytokine joue un rôle pro-inflammatoire. Par contre, la thalidomide, connue pour bloquer la synthèse du TNFa, est un traitement de sauvetage dans la maladie de Crohn. La thalidomide a toutefois des effets secondaires redoutables et il est probable qu'elle a d'autres effets sur les mécanismes liés au TNF. L'ensemble de ces observations indique que les différents agents anti-TNFa devront être utilisés en fonction des effets qu'ils sont susceptibles d'induire et pas simplement pour compenser une élévation de la cytokine contre laquelle ils sont dirigés. Finalement, ces résultats soulignent l'importance de poursuivre la recherche sur les mécanismes par lesquels les agents anti-TNFa produisent leurs effets dans les différentes maladies, afin d'optimaliser leur utilisation.Au-delà de leur utilisation dans les maladies inflammatoires de l'intestin, les agents anti-TNFa sont utilisés dans plusieurs affections inflammatoires chroniques. La polyarthrite rhumatoïde a été la première indication reconnue à ce type de traitement, mais ces agents sont aussi prescrits dans la maladie de Bechterew, la maladie de Behçet et le psoriasis, pour ne citer que les indications principales.Du côté de l'hépatologie, on sait maintenant que le TNFa est impliqué dans la genèse des stéatohépatites alcooliques et non alcooliques. La stéatohépatite non alcoolique est discutée en détail dans ce numéro (voir P.-J. Malè et coll.).Dans la stéatohépatite alcoolique, ou «hépatite alcoolique» apparaissent les premières études pilotes de la tolérance et de l'efficacité des anticorps anti-TNFa. Alors que les hépatocytes normaux sont résistants à l'apoptose induite par le TNFa, les hépatocytes de rats alcooliques, dont les mitochondries sont altérées, meurent rapidement après exposition au TNFa.7 Les souris déficientes en récepteur au TNF sont très résistantes aux lésions alcooliques du foie. Chez l'homme, les concentrations sériques de TNFa demeurent élevées pendant des mois au décours d'une hépatite alcoolique et le pronostic de la maladie est corrélé aux taux de TNFa.7 La mise en place d'une étude de la tolérance et de l'efficacité de l'infliximab dans l'hépatite alcoolique soulevait cependant un certain nombre de difficultés théoriques et pratiques. D'une part, le diagnostic de l'hépatite alcoolique nécessite une biopsie hépatique, le plus souvent transveineuse dans les formes graves. Dans ces formes, le traitement de référence, la corticothérapie, réduit la mortalité de 50% environ. D'autre part, sachant que le TNFa est important pour la régénération hépatique et que les malades atteints d'hépatite alcoolique meurent souvent d'infection, la tolérance à l'infliximab pouvait poser problème.Nous avons choisi à Genève de mener une étude pilote, en double aveugle, des effets de la combinaison d'une injection de placebo ou d'infliximab à une corticothérapie chez vingt patients atteints d'hépatite alcoolique prouvée par une biopsie transveineuse.8 Nous avons montré que l'infliximab, à la dose de 5 mg/kg, combiné aux stéroïdes, était bien toléré chez ce petit groupe de patients et associé à une diminution de la concentration des cytokines pro-inflammatoires IL-6 et IL-10, une diminution significative de la bilirubine, une augmentation du taux de prothrombine et finalement, une amélioration du score de gravité de l'hépatite alcoolique. Cette étude pilote indique que les stratégies anti-TNF pourraient avoir un avenir dans l'hépatite alcoolique. Leur place mérite d'être définie par des études contrôlées à plus large échelle.ConclusionLes agents anti-TNFa représentent une nouvelle approche dans le contrôle des maladies inflammatoires chroniques. Plus d'une dizaine de médicaments capables de bloquer la synthèse ou d'interférer avec les fonctions du TNFa sont disponibles ou en cours de développement. Cette classe de médicaments va entrer dans l'arsenal thérapeutique de plusieurs spécialités de la médecine ces prochaines années. Si les médecins généralistes ne seront sans doute pas amenés à conduire prochainement de telles thérapies, il est nécessaire qu'ils se familiarisent avec leur usage et leurs effets secondaires car certains sont tardifs et les praticiens de premier recours, vers qui les patients se tourneront fréquemment lors de nouveaux symptômes, devront être capables de les identifier.
Contact auteur(s)
Prs Pierre Michetti
Médecin-chef
Division de gastro-
entérologie
Département de médecine interne
CHUV
Lausanne
et
Antoine Hadengue
Médecin-chef
Division de gastro-
entérologie
Département de médecine interne
Hôpital cantonal universitaire
Genève