Nous poursuivons ici l'exposé des publications marquantes faites lors du récent colloque international organisé à Paris sous l'égide de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), consacré aux relations pouvant exister entre la consommation de sel et la santé humaine (Médecine et Hygiène du 23 janvier). L'une des sessions, intitulée «Gènes, hypertension et sensibilité au sel» a permis au Pr Gary K. Beauchamp (Monell Chemical Senses Center, Philadelphie) de traiter de ce phénomène étonnant qu'est «l'envie de sel».«Il est communément admis que, dans la plupart des sociétés, l'homme consomme plus de sel qu'il n'en faut pour répondre à ses besoins physiologiques : sa consommation réelle peut être supérieure à ses besoins d'un, voire plusieurs ordres de grandeur» a rappelé le Pr Beauchamp qui s'est intéressé à traiter dans sa communication des facteurs qui pourraient, via le goût, expliquer cet apparent «excès».On sait que le goût du sel fait partie des quelques sensations gustatives primaires ou de base, au même titre que le sucré, l'acide et l'amer. On pense aujourd'hui que les récepteurs de la saveur salée ont des canaux ioniques spécifiques au sodium, situés dans les cellules du goût, sur la langue et le palais. «Il est communément admis qu'un goût spécifique dû au sodium est apparu au cours de l'évolution afin de stimuler la reconnaissance et la consommation de sodium, qui est nécessaire à la vie mais qui n'est pas facile à stocker dans l'organisme, a déclaré le Pr Beauchamp. La capacité à identifier les sels de sodium est particulièrement importante pour les animaux qui mangent des aliments à faible teneur en sodium naturel, comme les herbivores et certains omnivores, dont l'homme».Des études sur des modèles animaux peuvent-ils aider à comprendre comment l'intensité de la saveur salée régule la consommation de sel ? De nombreuses publications faites après des travaux menés sur des rats, des moutons et d'autres espèces, ont démontré qu'une déplétion radicale de l'apport en sodium pouvait induire de manière innée un goût accru pour les sels de sodium («l'envie de sel»). Chez l'homme, des observations cliniques suggèrent qu'une très forte diminution de l'apport en sodium provoque aussi une envie de sel, surtout si cette diminution a lieu pendant l'enfance. Toutefois, et sauf dans des cas cliniques extrêmes, la consommation de sel et la préférence pour le sel ne sont pas dues, chez l'homme, à un véritable besoin physiologique.Pour ce spécialiste américain de la physiologie et de la psychologie du goût, une hypothèse est très fréquemment avancée, selon laquelle la préférence pour le sel chez l'homme peut être renforcée de façon permanente si les premières expériences gustatives avec ce condiment ont lieu de façon précoce. «Cependant, comme c'est le cas pour les modèles animaux, on ne dispose pratiquement d'aucune donnée expérimentale pour soutenir cette hypothèse. Plusieurs études suggèrent, en accord une fois de plus avec certaines études réalisées sur des modèles animaux, que l'attrait pour le sel serait inné chez l'homme, écrit le Pr Beauchamp. Même si cette préférence pour la saveur salée est innée, il est possible de la moduler expérimentalement. Un certain nombre d'études cliniques et expérimentales ont d'ailleurs montré que la teneur en sel considérée comme optimale par un individu pour son alimentation peut être influencée par ses habitudes alimentaires». En d'autres termes, en réduisant ou en augmentant la consommation de sel sur le long terme, il est possible de faire diminuer ou augmenter l'intensité de la saveur salée qu'un individu considère comme optimale dans ses aliments. De telles observations laissent penser qu'il est possible de modifier sur le long terme la préférence pour le sodium et, par conséquent, la consommation de sel.Enfin, il faut savoir que tout en conférant un goût salé agréable aux aliments et aux boissons, le sel peut jouer un autre rôle gustatif. Des quantités relativement faibles de sel augmentent la «palatabilité» (peut-être parce que l'ion sodium est un puissant inhibiteur des arrière-goûts amers) et le fait d'ajouter des sels de sodium à toute une gamme d'aliments peut renforcer des saveurs agréables comme le sucré, tout en atténuant les saveurs désagréables. «Parce que des facteurs innés et acquis déterminent l'attrait d'une personne pour le sel et sa consommation, la meilleure stratégie n'est pas de lancer des mises en garde à la population pour l'inciter à limiter sa consommation de sel, a conclu le spécialiste américain. Au cours de l'évolution, l'homme s'est mis à rechercher et à prendre plaisir aux saveurs salées, en raison de l'importance du sodium pour diverses fonctions de l'organisme. L'envie de sel a de multiples fonctions et c'est en évaluant la complexité de cette envie que nous parviendrons à mieux définir des stratégies destinées à la modifier».