Après transplantation hépatique chez l'enfant on peut actuellement espérer une survie de 90%. Les indications à la transplantation sont l'atrésie des voies biliaires, les maladies métaboliques, l'hépatite fulminante et d'autres pathologies plus rares. Les besoins de transplantation hépatique chez l'enfant en Suisse sont de cinq à huit par an. Pour pallier le manque d'organes, les équipes chirurgicales ont dû utiliser des techniques comme la réduction du foie, la bipartition ou le recours aux donneurs vivants apparentés. Genève a un programme combiné adultes-enfants et est le seul centre de référence en Suisse pour les enfants. De juillet 1989 à juillet 2001, quarante-huit transplantations ont été réalisées chez quarante-quatre enfants (quatre retransplantations). Les complications techniques (thromboses vasculaires, problèmes biliaires et ascite) ont été pratiquement éliminées par des améliorations et des innovations techniques, comme le monitoring vasculaire en cours d'intervention et les techniques micro-chirurgicales. La survie actuarielle de notre série est de 91%. Le programme a permis plusieurs projets de recherche, comme l'étude de la fonction glomérulaire et tubulaire, de la nutrition et la croissance, le monitoring de l'ostéoporose.
Durant ces vingt dernières années, la transplantation hépatique pédiatrique a fait des progrès considérables. Dans les années 1980, des enfants décédaient en liste d'attente (de l'ordre de 16 à 25% ), en raison du manque d'organes de la grandeur appropriée à la taille de l'enfant. Dans nos pays, et heureusement, peu d'enfants décèdent d'un traumatisme ou d'un accident cérébral, il y a par conséquent peu d'enfants en état de mort cérébrale susceptibles d'être des donneurs potentiels. Beaucoup de jeunes patients atteignaient le moment de la transplantation en très mauvais état général, en raison du temps d'attente prolongé. En outre, les difficultés techniques et les problèmes péri- et postopératoires étaient encore la cause d'un certain nombre de décès. Même si ces difficultés restent un défi pour n'importe quelle équipe de transplantation, la plupart des problèmes ont trouvé leur solution et la majorité de ces patients ont actuellement une chance optimale de mener une vie quasi normale. L'espérance de survie actuellement dans un programme de transplantation hépatique pédiatrique oscille entre 85 et 90%. Pour arriver à ce résultat, il a fallu résoudre les problèmes de manque d'organes pédiatriques et les problèmes liés à la prise en charge générale.
Pour pallier le manque d'organes de grandeur appropriée, Bismuth et Houssin1 ont développé la technique de la réduction du foie en 1981 : le foie entier d'un donneur adulte en mort cérébrale est prélevé, puis réduit à la taille désirée pour l'enfant. Cette technique est fondée sur une connaissance anatomique précise du foie, divisé en lobes et segments qui ont chacun leur vascularisation et leur réseau biliaire. La réduction se fait après la perfusion et le refroidissement du foie avec la solution de préservation, son prélèvement et son maintien dans un système de refroidissement à 4° centigrades. Cette technique permet d'utiliser le ou les segments désirés (le plus souvent le foie gauche), d'augmenter le nombre de transplantations chez l'enfant, mais sacrifie une partie de bon parenchyme et prétérite les adultes en liste d'attente.
En 1988, Pilchmayr et Bismuth2,3,4,5 ont alors proposé la technique du foie partagé (split liver ou bipartition) : un foie entier d'un donneur en mort cérébrale est partagé pour deux receveurs, en principe un adulte et un enfant. L'adulte recevra le foie droit, et l'enfant tout ou partie du foie gauche, en fonction de sa taille et de son poids. Ceci peut être réalisé ex situ, après avoir prélevé le foie, et dans la solution réfrigérante. Le partage doit attribuer à chaque greffon sa vascularisation portale, artérielle, ses voies biliaires et son drainage veineux par les veines hépatiques. Cette bipartition requiert une expertise chirurgicale particulière, pour assurer une fonction parfaite des deux greffons obtenus et nécessite un certain temps de dissection. Le temps d'ischémie froide est alors prolongé. Pour le foie, on accepte un temps d'ischémie froide de douze à seize heures, mais plus ce temps est court, plus le foie fonctionnera vite et nous préférons avoir des temps inférieurs à huit heures. Le temps d'ischémie chaude ne devrait pas dépasser une heure.
En 1989, Raia et Strong6-10 ont rapporté les premiers cas de transplantation d'enfants à partir de donneurs vivants apparentés, avec le prélèvement du lobe gauche du foie d'un parent donneur compatible. Plus de 1000 cas ont ainsi été réalisés dans le monde, en particulier au Japon, où le principe de la mort cérébrale n'est pas admis. Mais de nombreux autres centres ont été contraints d'utiliser cette technique pour pallier le manque d'organes. Les résultats sont très bons, semblables aux greffes à partir de foie entier, réduit ou partagé. Les greffons sont d'excellente qualité. Le temps d'ischémie froide est court, donneur et receveur étant hospitalisés dans le même centre. En outre les enfants peuvent être transplantés de façon plus élective, avant que leur état ne se détériore. Ceci permait de presque éliminer la survenue de décès d'enfants en liste d'attente. Mais, au moins deux parents donneurs sont décédés après le prélèvement du lobe gauche de leur foie.
Avec les connaissances et l'expérience acquises par la transplantation à partir d'un donneur vivant apparenté, il est apparu que l'on pouvait aussi proposer la partition du foie prélevé chez un donneur en mort cérébrale, mais in situ, pendant l'opération pour le prélèvement, c'est-à-dire à cur battant, le foie restant perfusé. Les avantages de la technique in situ par rapport à ex situ, sont le maintien d'un temps d'ischémie froide très court et l'excellence de l'hémostase. Les désavantages sont la nécessité d'un donneur stable, le prolongement du temps de prélèvement, l'indispensable patience requise des équipes de prélèvement des autres organes (comme le cur ou les poumons). En outre cette technique exige des chirurgiens expérimentés.11
Actuellement, les résultats de la greffe de foie chez l'enfant sont devenus excellents, aussi bien en survie qu'en qualité de vie. Si dans les années 1980 à 1990, on pouvait espérer un taux de succès de 70 à 75%, actuellement, la plupart des séries des grands centres de transplantation peuvent rapporter des taux de survie à cinq ans de 95% dans les indications pour maladies métaboliques, 85% pour l'atrésie des voies biliaires (AVB) et 75% pour l'insuffisance hépatique fulminante.12-16
Le but de cette revue est de discuter de quelques points importants de la transplantation hépatique pédiatrique tels qu'ils nous sont apparus au cours des douze dernières années.
Notre programme a débuté en 1989, deux ans après le début du programme pour les adultes. Il s'agit d'un programme combiné adultes-enfants.17 Genève est le seul centre suisse de greffe de foie pour l'enfant. L'équipe chirurgicale est composée des chirurgiens spécialistes de la chirurgie du foie chez l'adulte et des chirurgiens pédiatres. Les enfants sont hospitalisés à l'Hôpital des Enfants, sous la surveillance et la responsabilité des pédiatres (spécialistes en hépatologie et dans les différentes disciplines de pédiatrie).
De 1989 à juillet 2001, nous avons réalisé quarante-huit transplantations chez quarante-quatre enfants. Quatre retransplantations ont dû être faites, deux pour non-fonction primaire du greffon, deux pour rejet chronique. Il s'agissait de vingt-quatre filles et vingt garçons venant de toute la Suisse. En effet, seize sont originaires de Suisse orientale, treize de Suisse centrale et quinze de Suisse romande. La médiane de leur âge était de vingt et un mois (cinq mois à quatorze ans) et celle de leur poids de 9,9 kg (5,7 à 57 kg). Cela veut dire que la majorité des enfants ont été transplantés durant les première ou deuxième années de vie avec des petits poids corporels, de l'ordre de 10 kg ou moins.
Les indications à la transplantation étaient principalement d'ordre biliaire. En effet, vingt-huit transplantations ont été réalisées pour une obstruction biliaire, dont principalement vingt-cinq pour une atrésie des voies biliaires extra-hépatiques. Les autres indications étaient les suivantes : huit maladies métaboliques (Wilson, tyrosinémie, déficit en alpha-1 anti-trypsine, etc.), quatre pour des hépatites fulminantes et quatre pour des cirrhoses biliaires idiopathiques. Il faut relever que ces indications coïncident exactement avec celles de la littérature.
Huit patients sont décédés en liste d'attente, six avant 1997, et deux après, pour des raisons non hépatiques : l'un d'un traumatisme crânien, à domicile, avec hémorragie importante sur troubles de la crase, et un autre d'une occlusion intestinale avec ischémie.
Au total il a été possible de réaliser une transplantation «standard» avec un foie entier seulement treize fois. Les donneurs étaient âgés de 9 mois à 15 ans, avec une moyenne de 5,76 ans.
De 1989 à 1998, la plus grande partie des greffes provenait de donneurs adultes en état de mort cérébrale et une réduction du foie fut nécessaire : vingt-quatre réductions de foie pour trente-sept transplantations durant cette période. Les donneurs étaient âgés de 5 à 66 ans (moyenne : 26,4 ans).
De 1999 à 2001, seules quatre réductions ont été nécessaires (pour un total de onze greffes), et ces donneurs étaient des enfants âgés de 5 à 13 ans, dont le foie était disproportionné à la taille du receveur, mais inadéquat pour une bipartition. Aucun foie d'un donneur adulte n'a donc été réduit depuis 1999.
Nous avons réalisé sept transplantations par la technique du foie partagé, trois fois ex situ (jusqu'à fin 1998) et quatre fois in situ. Le temps moyen d'ischémie froide pour la méthode ex situ fut en moyenne de 10,66 heures, et pour la méthode in situ de 4,3 heures.
Il n'y pas eu de différence statistique en ce qui concerne les complications biliaires ou vasculaires par rapport aux différents choix d'organes.
Un programme de transplantation à partir de donneurs vivants apparentés a débuté en 1998 (programme combiné adultes-enfants). Pour les vingt et un enfants placés en liste d'attente depuis avril 1998 (dix-neuf transplantations faites depuis cette date), douze parents se sont proposés comme donneurs. Cela n'a pas été nécessaire : grâce à la méthode de bipartition, un greffon a pu être trouvé pour chacun de ces enfants. Actuellement deux parents seront donneurs si leur enfant n'est pas transplanté dans les deux mois suivant la mise en liste. Durant cette période, cinq transplantations d'adultes ont été pratiquées avec succès en prenant le foie droit d'un donneur adulte apparenté.
La survie globale de cette série est de 90,7% pour les patients et 83,0% pour les organes (fig. 1). Quatre décès sont donc à déplorer. Trois d'entre eux sont survenus dans les 48 heures suivant la transplantation, et le quatrième après trois mois. Aucun décès n'est survenu au-delà de cette période. Ces décès concernent les enfants suivants : le premier enfant de notre série, souffrant d'une atrésie des voies biliaires, ayant subi plusieurs opérations abdominales, présentant une hypertension portale, un mauvais état général, fut transplanté au début de notre courbe d'apprentissage. Une patiente, âgée de 11 mois, pesant 6 kg, a reçu notre premier foie partagé, le foie droit étant attribué à un adulte souffrant d'hépatite fulminante. Elle a présenté une non-fonction primaire du foie, de même que l'adulte. Deux jours plus tard, ces deux patients ont été retransplantés, à nouveau avec un foie partagé. Si l'adulte a survécu, l'enfant est décédée trois mois plus tard, en défaillance multi-organe et après thrombose artérielle. Enfin deux patients âgés respectivement de 2 ans et de 7 mois ont été transplantés en extrême urgence en raison d'une insuffisance hépatique fulminante. L'une avait été transférée déjà en encéphalopathie hépatique, et le décès peu après une transplantation réussie s'est révélé être secondaire à une maladie mitochondriale atteignant d'autres organes vitaux. Le deuxième patient présenta une non-fonction primaire, mais sa détérioration neurologique contre-indiqua une nouvelle transplantation.
Quatre autres enfants ont été transplantés en extrême urgence avec succès : un en raison d'une non-fonction primaire, trois avec une insuffisance hépatique fulminante. Seul un décès peut être attribué à des problèmes techniques chirurgicaux.
Les complications médico-chirurgicales sont les suivantes : la plus fréquente est le rejet aigu. Nous l'avons rencontré dans 79,5% des cas. Comparativement à la littérature, ce résultat est dans les taux les plus élevés, ce qui s'explique par notre recherche intensive de cette complication pour éviter l'apparition du rejet chronique. Les autres complications sont : les complications biliaires à court ou long terme (20,5%), les thromboses artérielles (10,2%) ou veineuses (10,2%) et l'apparition de syndrome lymphoprolifératif (2,6%).
Prise en charge : remarques générales
Les quarante enfants vivants de notre série ont presque tous (sauf deux) une bonne qualité de vie. Bien que cette série soit restreinte, les résultats obtenus permettent de souligner plusieurs points importants :
I Il s'agit d'un programme combiné adultes-enfants. Pour un pays comme la Suisse, où le nombre d'enfants ayant besoin d'une greffe de foie ne dépasse pas cinq à huit par année, seul un programme mixte permet d'accumuler et de préserver suffisamment d'expérience et d'expertise chirurgicale, pour les chirurgiens d'adultes comme pour les chirurgiens pédiatres.
I Les enfants sont hospitalisés à l'Hôpital des Enfants, dans une structure de soins intensifs expérimentés dans toutes les pathologies : cardiaques, avec un programme de trois opérations à cur ouvert au minimum par semaine pour correction de malformations congénitales, une unité de néonatologie et de prématurés, un centre de traumatologie qui reçoit non seulement les enfants de la région, mais aussi de la France voisine, et toutes les autres pathologies de l'enfant. Les enfants transplantés sont hospitalisés dans la même unité de soins intensifs et bénéficient ainsi du même «savoir-faire». De la même façon, les anesthésistes pédiatres sont expérimentés dans l'anesthésie pédiatrique des pathologies les plus difficiles. Un anesthésiste pédiatre expérimenté est présent et responsable de l'anesthésie pour toute transplantation chez un enfant.
I La liste d'attente adultes-enfants est commune et il n'y a qu'une liste pédiatrique pour la Suisse, ce qui permet une sélection optimale du greffon le plus approprié pour un patient donné.
I Le pays étant petit, les visites au centre sont faciles. Des appartements proches de l'hôpital sont mis à disposition des familles (grâce au soutien de donateurs privés).
I La communication entre les médecins traitants et les hôpitaux proches du domicile du patient sont une des priorités du service.
Un suivi très précis des patients est nécessaire avant la transplantation pour les amener au geste chirurgical dans le meilleur état clinique possible. Il faut prêter particulièrement attention à l'état nutritionnel et en cas de malnutrition protéino-calorique recourir à une nutrition entérale par sonde naso-gastrique soit nocturne, soit continue. Il faut également profiter de l'attente en liste pour compléter les vaccinations usuelles, mais également faire les vaccinations pour les hépatites, pneumocoques et varicelle. Après la transplantation les vaccinations avec virus atténué seront prohibées.
Il faudra également des contrôles cliniques suffisamment fréquents et une mise en liste souvent précoce pour éviter une détérioration avant la transplantation. Pour trouver le bon timing, il s'agira de peser les avantages et inconvénients des progressions staturo-pondérale et de l'insuffisance hépatique
Ces améliorations techniques ont permis de résoudre les divers problèmes chirurgicaux rencontrés :
I Les enfants souffrant d'AVB en particulier, présentent presque toujours une hypoplasie de la veine porte. Celle-ci, anastomosée à la veine porte du greffon ne pourrait pas donner un flux porte suffisant. Il faut donc préparer l'anastomose au niveau du carrefour spléno-mésaraïque (jonction des veines splénique et mésentérique supérieure). Souvent, un greffon veineux (prélevé chez le donneur) est interposé entre ce carrefour et la veine porte du greffon. Deux complications sous forme de thrombose porte sont survenues, au début de notre expérience, toutes deux ayant pu être traitées sans perte du greffon.
I Nous avons appris à ne garder qu'un court segment des ou de la veine sus-hépatiques pour faire l'anastomose sur la veine cave. Ceci a permis d'éviter la malposition ou la coudure de la veine et a presque permis d'éliminer les problèmes d'ascite considérable que nous avons rencontrés au début de notre série.
I Les anastomoses artérielles doivent se faire avec des techniques micro-vasculaires, comme nous en avons l'habitude dans la chirurgie du nouveau-né et du prématuré. Nous avons eu à déplorer quatre complications artérielles, au début de cette série.
I Depuis 1998, toutes les anastomoses sont contrôlées en per-opératoire par un écho-Doppler. Ceci permet de déceler toute erreur technique, malposition ou les shunts veineux systémiques qui pourraient dériver le flux porte. L'utilisation de l'écho-Doppler pendant l'opération a permis de réaliser les dix-sept dernières transplantations pédiatriques et cinquante-six transplantations d'adultes consécutives sans complication vasculaire.
La visite au lit du malade aux soins intensifs a lieu de façon systématique deux fois par jour et sept jours par semaine. Elle réunit, pendant une heure, tous les spécialistes pédiatres concernés par le problème et un des chirurgiens aînés de l'équipe. Ainsi toutes les décisions de traitement sont prises en commun de façon consensuelle, après avoir débattu des divers aspects présentés par le patient. Bien que chronophage, cette confrontation d'idées permet d'éviter bien des complications, de ne pas omettre un aspect particulier et d'éviter des changements thérapeutiques individuels en cours de journée.
Un écho-Doppler est pratiqué deux fois par jour au lit du malade et permet de déceler tout problème vasculaire. Il permet aussi de contrôler les voies biliaires, le volume d'ascite et d'éventuelles collections liquidiennes.
Sur le plan médical, il va falloir naviguer entre rejet et infection. Une triple immunosuppression (prednisone, azathioprine, ciclosporine) est débutée immédiatement après la transplantation et adaptée aux circonstances. En effet, en cas de rejets sous ce régime ou d'effets secondaires, on peut recourir au bolus de stéroïdes, au tacrolimus ou au mycophénolate. Sur le plan de l'infection une prophylaxie antibiotique est utilisée seulement pendant quelques jours après la transplantation. Par la suite, le traitement antibiotique est ciblé selon les germes et les sources infectieuses. Pour les virus, en particulier CMV et herpès, des prophylaxies anti-virales sont utilisées sur une longue période.
Dans le service, les infirmières prennent le temps de former les parents à l'administration des médicaments, aux contrôles (comme la prise de la pression artérielle), à la nutrition. Pendant tout ce temps, les parents et leur famille peuvent rester dans les appartements mis à leur disposition. Eventuellement, certaines sorties peuvent être aussi autorisées à l'enfant avant son retour à domicile.
Le suivi à long terme est très important, car il doit réaliser les enjeux extra-hépatiques de la greffe de foie. Il s'agit principalement de la croissance staturo-pondérale, du développement psycho-moteur et du développement osseux. Il faut aussi s'assurer que les divers traitements n'amènent pas d'effets secondaires délétères, en particulier au niveau rénal. Nous avons étudié en détail plusieurs de ces points.
Le rattrapage de la croissance staturo-pondérale ne s'effectue pas immédiatement après la greffe. En effet, l'importante corticothérapie de la première année post-greffe empêche un rattrapage lors de cette période. Selon la littérature, il s'effectue principalement pendant la deuxième et troisième années post-greffes. Nous avons également noté cet effet dans notre série pour la majorité de nos patients. Ceux qui échappent à cette règle sont les patients porteurs d'une maladie de base extra-hépatique qui empêche cette progression. Le développement osseux suit le staturo-pondéral, comme nous l'avons récemment démontré (fig. 2)
L'utilisation d'immunosuppresseurs potentiellement néphrotoxiques nécessite des contrôles fréquents et une adaptation médicamenteuse la plus parcimonieuse possible. Nous avons démontré récemment que la filtration glomérulaire, mesurée par la clairance à la créatinine, était très abaissée pour des raisons multi-factorielles lors du premier mois post-greffe. Elle se normalise par la suite en fonction du taux de ciclosporine (fig. 3). A long terme, elle semble ne pas être pénalisée par l'utilisation de ce médicament, à condition d'utiliser les taux sanguins les plus bas possible pour éviter les rejets. Sur un plan tubulaire, il existe une atteinte transitoire qui se corrige dans l'année post-greffe, à condition que la maladie de base ne s'associe pas à une tubulopathie primaire.
Sur le plan neuro-développemental, deux enfants ont un trouble neurologique, l'un sévère lié à sa maladie de base, qui n'était pas encore diagnostiquée au moment de la greffe, et l'autre léger en voie d'amélioration. Les autres enfants ont tous un développement psycho-moteur normal.
Des alternatives à la transplantation du foie entier sont en cours d'investigation, dans notre centre et dans d'autres. En effet, la transplantation d'hépatocytes aura certainement une place non négligeable. La transduction génique pour corriger des déficits enzymatiques, responsables de maladies métaboliques, ouvre de nouvelles perspectives. Actuellement une maladie métabolique, comme la maladie de Wilson par exemple ou le déficit en alpha-1-anti-trypsine, impose une transplantation hépatique. Avant son évolution en cirrhose, le foie de ces patients fonctionne normalement. La correction d'un déficit enzymatique pourrait être faite au moyen d'hépatocytes allogéniques (prélevés à partir du foie d'un donneur en mort cérébrale), encapsulés, pour éviter le rejet, sans enlever le foie natif. Mais il est encore plus intéressant d'utiliser des hépatocytes autologues (isolés à partir du foie natif), génétiquement transduits, et ré-infusés au patient lui-même. Notre groupe conduit actuellement une recherche de ce type en laboratoire et a pu montrer que la transplantation d'hépatocytes d'un rat normal à un rat hyperbilirubinémique (dans un modèle de la maladie de Crigler-Najar) permet d'abaisser le taux de bilirubine. De nouvelles recherches montrent déjà que l'on peut traiter la même maladie, en isolant les hépatocytes de ce rat malade, en les traitant avec le virus codant pour le gène et en les ré-infusant au même rat, rendant alors l'immunosuppression inutile. Ce qui sera encore plus intéressant sera de pouvoir injecter directement dans la veine porte le virus modifié codant pour le gène déficient.
En conclusion, parmi les quarante enfants vivants, sur quarante-quatre ayant bénéficié d'une greffe de foie depuis 1989, trente-huit mènent une vie pratiquement normale, avec un minimum de médicaments immunosuppresseurs et un minimum de contrôles. Ils suivent normalement l'école et pratiquent les sports de leur âge. Les quatre décès de cette série sont survenus durant les trois premiers mois après la transplantation (trois durant les 48 premières heures). Ces bons résultats, qui donnent un espoir de vie remarquable, ne doivent pas empêcher de rechercher toute solution qui permettrait d'éviter la transplantation.
Par ailleurs, le manque chronique d'organes dans notre pays et la nécessité de recourir à des donneurs vivants apparentés, devrait stimuler toutes les équipes à mieux identifier les potentiels donneurs en état de mort cérébrale et à appliquer de façon systématique l'utilisation de la technique du foie partagé chaque fois que cela est possible.