Résumé
Pas une semaine sans que les partis ne manifestent, chacun à sa manière, leur vision d'une réforme de la LAMal. Venant de nulle part, sans l'ombre d'une argumentation sérieuse dont elles pourraient découler, ne s'appuyant que sur une ignorance crasse de leurs tenants et aboutissants, les propositions fusent. Il faut dire que le sujet devient politiquement brûlant. La santé est en passe de devenir le secteur clé de la politique. Devant l'augmentation des primes, l'angoisse de la population et les bégaiements du gouvernement et des offices fédéraux qu'elle suscite, il devient bon, estiment les partis, de faire semblant de penser quelque chose. L'option silencieuse, choisie jusqu'à récemment, pour éviter de mettre les doigts dans une mécanique aussi complexe, s'avère intenable. Les partis ont compris qu'il leur fallait lancer leurs services de communication dans la course à la meilleure idée. Tant pis pour les risques, pour les conséquences fâcheuses, pour la destruction possible d'un des meilleurs systèmes au monde. Il ne s'agit que d'un jeu politique. L'important n'est que de gagner, pas d'avoir raison (de toute façon, ils sont tellement rares, et difficiles de compréhension, les critères de la raison, dans ce domaine, qu'on aurait tort de viser autre chose que la simple stratégie)....Petite approche panoramique et non exhaustive des intentions. Le Parti radical pense qu'il faut imposer le modèle du médecin de famille (curieusement, même à droite, la vision libérale déserte la médecine), selon des modalités peu claires, et qu'une franchise annuelle à 400 frs serait l'idéal (pas entendu parler des problèmes médicaux liés à cela, des gens qui ne consultent plus qu'au dernier moment), franchise à laquelle devrait s'ajouter, pour faire bonne mesure, une augmentation de la participation aux frais de soins. Bref, le PRD veut un peu plus d'utilisateur-payeur et d'obéissance du malade. Du côté de l'UDC, pas de détails, on croit aux vertus thérapeutiques d'un pouvoir remis aux assureurs : il faut, exige-t-on à la façon zurichoise (avec cette même arrogance qui a conçu l'«Unique airport»), un monisme du financement de la médecine, et rapidement, s'il vous plaît. On voudrait aussi diminuer le catalogue de prestations à charge de l'assurance obligatoire. Les assureurs sont contents : tout cela vise à augmenter la part de l'assurance privée. Si l'UDC l'emportait, un nouveau et vaste monde de profit s'ouvrirait à eux. Les pauvres auraient fichtrement intérêt à bien se porter (mais il paraît que c'est une question de volonté). Etrangement effet de mode, l'un a-t-il copié sur l'autre ? le PDC voit les choses comme l'UDC (moins de prestations de base, système moniste), avec cependant une petite touche socialo-sympa sous forme d'une prime familiale. Les socialistes, quant à eux, planifient une prime liée au revenu et ne détesteraient pas voir se créer une caisse unique, étatisée.Tout le monde, en plus, chante en chur les louanges de la fin de l'obligation de contracter. Personne ne sait exactement par quel mécanisme cette mesure ferait baisser les coûts, mais la confiance est presque unanimement partagée, symptôme joyeux de l'assurance que donne l'ignorance....Quelque chose de commun existe-t-il à cet ensemble de positions des partis suisses ? Oui : une tendance à l'abord économique simple, une façon industrielle d'empoigner le problème. Que ce soit entendu : la médecine doit répondre aux lois du commerce. Aucune différence véritable ne la distingue du marché de l'électricité ou du semi-monople de Swisscom. Tout est fait comme s'il s'agissait d'une commodité, pour laquelle le circuit de distribution et de gestion (hôpitaux, assurances, filières de soins, franchises, manière de taxer, etc.) constituerait la question centrale. A la spécificité du «produit», à la santé, aux soins, à l'éthique n'est accordée quasi aucune réflexion. Dans les groupes ad hoc «Réforme de la LAMal» des partis, chargés d'élaborer des mesures à l'«efficacité populaire» maximale, non seulement on ignore autrement que de loin ce que peut bien signifier cette spécificité, mais en plus on ne s'intéresse qu'à «l'efficacité», justement, c'est-à-dire à l'impact médiatique, à la force idéologique, au pouvoir de conviction qui feront vendre la médecine conçue par le parti....Pour les médecins, une parole devient nécessaire, face à cette mode des propositions. Mais de leur part aussi, la parole demande une vision. Et des choix, entre les domaines où il importe de résister et ceux où il s'agit d'évoluer.Quels sont les buts, et comment les discuter avec la population ? (pour que la médecine résulte d'un bottom up et non d'un top down, comme le pratique le cryptopaternalisme politique). Quelles valeurs défendre sans baisser la garde, parce qu'elles sont l'essence de la médecine ? Sur quoi ne lâcher à aucun prix ? (Couverture universelle ? Prestations étendues garanties ? Soins de qualité ? Solidarité des primes ?) Où se trouvent, en revanche, les points secondaires de l'organisation actuelle de la santé, ce qui doit être adapté et donc négocié ? (La rémunération à l'acte ? L'indépendance ?) Où, enfin, se cachent les inadaptations dont il faut libérer la pratique médicale : les archaïsmes, les conformismes pesants, les zones d'autosatisfaction et d'indulgence endogame ?...Pas de parole, non plus, sans maîtrise de l'information. Or l'information est un spectacle. Quand les partis présentent fièrement, au cours de conférences de presse, leurs merveilleuses idées sur le système de santé, la mise en scène et les petites phrases, les peaux de banane jetées, en souriant à la caméra, sous les pattes de ceux qui pratiquent la médecine, le copinage avec le journal alémanique du dimanche, tout cela joue autant sinon plus que les idées elles-mêmes. Il y a comme une nécessité d'insolence, sans quoi pas d'écoute médiatique, donc pas d'écho, donc pas de conséquences politiques. Faut-il en prendre de la graine ? Probablement....Pour réagir, il y a la voie de la lutte sans pitié, celle des médias joués au mieux de leurs défauts, de la contre-intoxication, de la propagande réactionnelle. Mais il y a aussi l'autre voie, celle des idées, du renouveau de la pensée, de la proposition intelligente. Il s'agit de progresser des deux côtés.Nous sommes au cur d'immenses changements sociaux et la médecine, pointe avancée de la société aux prises avec ces changements, mérite mieux que de petites propositions à l'emporte-pièce de l'establishment politique. Elle mérite un véritable débat avec de véritables interlocuteurs.