IntroductionIl n'y a pas de petite victoire dans le combat contre le cancer du sein et tout pourcentage de survie gagné contre la maladie est bon à prendre. A condition bien sûr que les effets indésirables du traitement ne soient pas trop élevés. En préambule à la Conférence internationale consensuelle qui a eu lieu à St-Gall en février 2001, R. Peto commente les résultats pour l'an 2000 de la méta-analyse des traitements adjuvants systémiques du cancer du sein. Une amélioration du pronostic grâce aux divers traitements notamment le tamoxifène a pu être enregistrée dans plusieurs pays d'Europe et aux Etats-Unis. Dans ce contexte, l'ovariectomie se confirme comme traitement de premier choix pour certaines patientes. C'est de cette indication dont il sera question dans cet article.HistoriqueL'ovariectomie comme traitement systémique du cancer du sein n'est pas nouvelle. Beatson1 en fait mention en 1896. Ce qui est nouveau, c'est l'appréciation de l'efficacité de ce traitement dans un sous-groupe : les patientes pré-ménopausées dont les tumeurs sont porteuses de récepteurs hormonaux (RH+). Les études randomisées sur l'ovariectomie comme traitement adjuvant ont commencé dans les années 50.2 Les résultats de chaque étude prise individuellement n'étaient pas probants car ces études étaient trop petites et empreintes d'une méthodologie insuffisante, mais la première méta-analyse publiée en 1988 par «the Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group» montra des résultats encourageants. Ces résultats furent confirmés par le même groupe lors d'une publication en 1992 qui incluait un plus grand nombre d'études. En 1996, une troisième publication3 établissait pour plus de 2000 patientes ayant moins de 50 ans lors de la randomisation un bénéfice absolu de survie hautement significatif après quinze ans de suivi. Ce bénéfice est de 5,6% pour les patientes sans atteinte ganglionnaire (N-) (4,1% à dix ans) et 12,5% pour les patientes avec atteinte ganglionnaire (N+) (10% à dix ans). De plus, le taux annuel de décès après quinze ans continue d'être plus faible pour le groupe traité, marquant ainsi que la portée protectrice du traitement se prolonge dans le temps en raison notamment d'une diminution des métastases osseuses, lesquelles interviennent tardivement.4 Ces résultats ne tiennent pas compte de la présence ou non de récepteurs hormonaux dans la tumeur. Ceci sous-estime l'efficacité du traitement car l'ovariectomie n'est efficace qu'en cas de tumeur récepteurs positifs. A titre de comparaison, l'efficacité de la polychimiothérapie dans le même groupe d'âge à dix ans de suivi est de 5,7% pour les patientes N- et 12,4% pour les patientes N+.5La première génération d'étude sur le sujet comparait un groupe traité par ovariectomie avec un groupe non traité. Comme on l'a vu, le groupe traité obtient une meilleure survie. L'arrivée de la chimiothérapie dans les années 70 pose ce nouveau traitement comme un standard et au lieu de le comparer à l'ovariectomie, on compare la chimiothérapie seule ou avec ovariectomie. On renonce ainsi à envisager que certaines patientes puissent être mieux traitées par ovariectomie plutôt que par chimiothérapie. L'étude Ludwig II4 appartient à cette deuxième génération d'études. Elle montre une amélioration de la survie sans récidive n'atteignant juste pas le seuil de significativité chez 107 patientes RH+ ovariectomisées avant la chimiothérapie par rapport aux patientes RH+ traitées par chimiothérapie seule.Tumeurs chimio-sensibles versus tumeurs hormono-sensiblesLa question cruciale est posée par un troisième type d'études telles que le «Scottish Trial».6 Dans cette étude, 322 patientes préménopausées ont été randomisées après chirurgie et radiothérapie éventuelle pour subir soit une ovariectomie soit une chimiothérapie de type CMF (cyclophosphamide/méthotrexate/5-fluorouracile) avec ou sans prednisolone. Les survies globales et sans récidive sont identiques entre les deux groupes après douze ans de suivi. La survie est meilleure pour les patientes RH+ si ces patientes sont traitées par ovariectomie plutôt que par chimiothérapie et meilleure pour les patientes RH- si ces patientes sont traitées par chimiothérapie plutôt que par ovariectomie. L'importance de cette constatation rebondit dans une publication récente récapitulative de quatre études de l'IBCSG (International Breast Cancer Study Group).7 Parmi 3700 patientes pré- et péri-ménopausées, 314 ont moins de 35 ans. Ces patientes ont reçu soit une chimiothérapie de type CMF (le plus souvent), soit une chimiothérapie et ovariectomie (une petite minorité) soit aucun traitement systémique (une petite minorité) selon leur atteinte ganglionnaire et selon l'étude à laquelle elles appartiennent. Il ressort que les patientes RH+ qui ont moins de 35 ans, ont un pronostic nettement plus mauvais que les patientes RH- de moins de 35 ans, de manière très significative pour la survie sans récidive. Moins pour la survie globale, car un traitement endocrinien a été instauré chez plusieurs patientes RH+ après la rechute. Pour les patientes de plus de 35 ans la survie globale est meilleure chez les patientes RH+ (la survie sans récidive est identique dans les deux groupes). Pour ces patientes, l'arrivée en ménopause (parfois précipitée par la chimiothérapie) constitue un traitement «spontané». La survie globale des patientes de moins de 35 ans RH+ est identique aux patientes RH- si le traitement essentiellement la chimiothérapie a provoqué une aménorrhée, mais moins bonne si cela n'a pas été le cas. Parmi 1883 patientes évaluables ayant reçu la chimiothérapie, une aménorrhée a été notée chez 32% des plus jeunes et 72% des plus âgées (p
Suppression de la fonction ovarienne : quelle méthode choisir ?La suppression de la fonction ovarienne fut réalisée dès les premières études par la méthode chirurgicale qui constitue de ce fait le standard de référence. L'aspect invasif est actuellement diminué depuis l'avènement de la laparoscopie. Le syndrome ménopausique ne semble pas si sévère selon l'étude de O'Boyle.10 La sanction est radicale (contrairement à la chimiothérapie dont l'effet parfois aménorrhéique ne signifie pas que la suppression strogénique soit maximale), quasi immédiate (contrairement au anGnRH et à la chimiothérapie) et définitive (contrairement au anGnRH et à la chimiothérapie). Ceci constitue l'attitude de sécurité maximale. Elle ne devrait être remplacée par des méthodes moins radicales, immédiates et/ou définitives que lorsque ces dernières auront été validées comme étant d'efficacité identique. Ce n'est actuellement pas le cas. La suppression de la fonction ovarienne par la radiothérapie est d'efficacité inférieure puisque 3-13% des patientes ayant subi ce traitement retrouvent des règles ultérieurement.11 A ces patientes, il faudra ajouter celles qui bien qu'aménorrhéiques n'ont pas cessé toute production d'strogènes. Les agonistes des gonadotropines (anGnRH) bénéficient de l'enthousiasme du moment. On les dit d'efficacité identique et de morbidité inférieure sur la base d'études dont on admet pourtant qu'elles sont trop petites pour répondre à la question et qu'on a dû fermer par manque de patientes.12,13 On court-circuite les études en situation adjuvante en extrapolant les conclusions faites chez des patientes en situation de rechute métastatique. L'étude de Taylor13 est intéressante car c'est la plus importante numériquement. Elle compare l'ablation ovarienne chirurgicale à celle produite par un anGnRH (goséréline) chez des patientes métastatiques RH+. Il fallait 200 patientes pour démontrer avec une puissance de 80% que les patientes dans le bras «ovariectomie» n'avaient pas une survie de 50% meilleure que dans le bras «anGnRH». C'était déjà placer la barre bien bas pour l'anGnRH ! Combien de nos patientes accepteraient qu'on leur dise que le nouveau traitement risque d'être de près de 50% moins efficace que l'ancien ? Il n'y eu que 136 patientes dans l'étude et aucune différence de survie ne put être démontrée. Sur deux points pourtant une différence significative est démontrée : les patientes du groupe «anGnRH» ont présenté plus de bouffées de chaleur (75% versus 46%) et plus de flambées tumorales (16% versus 3%). Ce dernier point est particulièrement inquiétant. Il pourrait correspondre au pic initial d'strogènes que l'on observe au début d'un traitement par anGnRH (également responsable de la croissance initiale des myomes utérins par exemple). Lors d'un traitement chirurgical du cancer du sein de nombreuses cellules tumorales passent dans la circulation. En cas d'ovariectomie chirurgicale simultanée on bloque la stimulation strogénique rapidement. Le taux d'estradiol sanguin atteint des valeurs de ménopause en une semaine.11 En cas de traitement par anGnRH on «dope» initialement la croissance tumorale avant d'obtenir des valeurs de ménopause qui sont obtenues après huit semaines.13Une autre inconnue avec le traitement d'anGnRH est sa durée : deux ans, trois ans, cinq ans, plus ?ConclusionEn conclusion, et conformément aux dernières recommandations consensuelles de St-Gall,14 il faut recommander la suppression de la fonction ovarienne pour les patientes pré-ménopausées dont 10% ou plus des cellules tumorales expriment des récepteurs aux strogènes et/ou à la progestérone. Cette recommandation s'adresse comme première indication, devant la chimiothérapie, voire à la place de celle-ci pour les patientes classées à «moyen/ haut risque». C'est-à-dire RE+ et/ou RP+ et l'une des trois conditions suivantes : une tumeur de plus de 2 cm ou un grade histologique de 2 ou 3 ou un âge de moins de 35 ans. Il est également recommandé d'y adjoindre le tamoxifène. Pour les patientes avec atteinte ganglionnaire, la chimiothérapie garde sa première place en association avec le tamoxifène mais peut être complétée par une suppression de la fonction ovarienne. Ce complément nous semble souhaitable vu l'importance du risque dans cette situation. Enfin, pour les patientes à bas risque, c'est-à-dire de plus de 35 ans dont la tumeur présente des récepteurs hormonaux, un grade histologique classé I et mesure au plus 2 cm, l'abstention où le tamoxifène seul est jugé acceptable. Nous pensons que même pour ces patientes, pourvu qu'elles soient proches de la ménopause, la suppression de la fonction ovarienne bien que moins efficace que chez la femme plus jeune représente une sécurité supplémentaire qu'il est préférable de ne pas différer. Renoncer à ce geste ne mettra de toute façon pas la patiente à l'abri d'une ménopause imminente mais la priverait à un moment crucial des rares effets positifs de ce bouleversement hormonal. Comme nous l'avons montré et contrairement à ce qui est dit dans le consensus, la suppression ovarienne doit se faire préférentiellement par ovariectomie et non par anGnRH. Il n'a pas été démontré avec suffisamment de rigueur que l'efficacité des anGnRH soit équivalente au traitement standard et la durée du traitement avec ces produits est inconnue. Il est le plus souvent préférable de pratiquer l'ovariectomie par laparoscopie dans le même temps que l'ablation de la tumeur afin que son effet s'exerce au plus vite. Il est cependant vrai qu'à l'instar de la chimiothérapie per-opératoire les bénéfices de cette précocité adjuvante n'ont pas été formellement démontrés et qu'il est parfois difficile pour une patiente d'accepter soudainement la double mutilation de son sein et de ses ovaires. Il faut gager que d'autres traitements moins mutilants et plus efficaces remplaceront un jour la «vieille ovariectomie» récemment rajeunie. AbréviationsT : taille d'une tumeur cancéreusepT : taille mesurée lors de l'examen histologiqueN- : absence de métastase ganglionnaire(par extension : patientes présentant ces caractéristiques)N+ : présence de métastases ganglionnairesRH+ : présence de récepteurs hormonaux sur au moins 10% des cellules tumoralesRH- : absence de récepteurs hormonaux (ou présence sur moins 10% des cellules tumorales)RE+ : présence de récepteurs aux strogènesRE- : absence de récepteurs aux strogènesRP+ : présence de récepteurs à la progestéroneRP- : absence de récepteurs à la progestéroneGnRH : Gonadotropine releasing hormoneanGnRH : analogues de la GnRH (ici le plus souvent il s'agit de goséréline) dont l'administration non pulsée (dépôt) en fait des substances initialement agonistes puis antagonistesCMF : chimiothérapie par cyclophosphamide/méthotrexate/5-fluorouracileIBCSG : International Breast Cancer Study GroupGrade histologique «G» (de I à III selon le degré de différenciation cellulaire, I étant le plus différencié)Bibliographie :1 Beatson GT. On the treatment of inoperable cases of carcinoma of the mamma : Suggestions for a new method of treatment with illustrative cases. Lancet 1896 ; 2 : 104-7.2 Clarke MJ. Ovarian ablation in breast cancer, 1896 to 1998 : Milestones along hierarchy of evidence from case report to Cochrane review. BMJ 1998 ; 317 : 1246-8.3 Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group. Ovarian ablation for early breast cancer : Overview of randomised trials. Lancet 1996 ; 348 : 1189-96.4 The International Breast Cancer Study Group. Late effects of adjuvant oophorectomy and chemotherapy upon premenopausal breast cancer patients. Ann Oncol 1990 ; 1 : 30-5.5 Early Breast Cancer Trialists' Collaborative Group. Polychemotherapy for early breast cancer : An overview of the randomised trials. Lancet 1998 ; 352 : 930-42.6 Scottish Cancer Trials Breast Group and ICRF Breast Unit, Guy's hospital, London. Adjuvant ovarian ablation versus CMF chemotherapy in premenopausal women with pathological stage II breast carcinoma : The Scottish trial. Lancet 1993 ; 341 : 1293-8.7 Aebi S, Gelber S, Castiglione-Gertsch M, et al. Is chemotherapy alone adequate for young women with oestrogen-receptor-positive breast cancer ? (Review). Lancet 2000 ; 355 : 1869-74.8 Jakesz R, Hausmaninger H, Samonigg H, et al. On behalf of the Austrian Breast and Colorectal Cancer Study Group (ABCSG). Complete endocrine blockade with tamoxifen and goserelin is superior to CMF in the adjuvant treatment of premenopausal, lymph node-positive and negative patients with hormone-responsive breast cancer. The Breast 2001 ; 10 (Suppl. 1) : S10.9 Thürlimann B, Price KN, Castiglione M, et al. Randomized controlled trial of ovarian function suppression plus tamoxifen versus the same endocrine therapy plus chemotherapy : Is chemotherapy necessary for premenopausal women with node-positive, endocrine-responsive breast cancer ? 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