Edito: L'apparence et l'évidence
Jean-Hilaire Saurat
Rev Med Suisse
2002; volume -2.
21982
Résumé
Le lecteur aura compris que ce titre «évidence» fait référence à la médecine du même nom qui, en dermatologie comme dans les autres disciplines, a apporté les progrès que l'on sait dans les méthodes de réflexion et d'analyse.En revanche «apparence» ne fait pas référence à une sorte d'image trompeuse, mais bien à un sens premier, celui de l'aspect d'une chose, tel qu'on le voit. Car l'une des fonctions de la peau c'est bien de contribuer au phénotype social de l'individu, et l'apparence de la peau est un élément décisif dans la morbidité de nombreuses dermatoses.Ainsi dans l'évaluation critique de nouveaux traitements proposés par l'industrie, et dont l'efficacité a été démontrée par les méthodes éprouvées des «évidences», il convient de se poser la question : l'évidence permet-elle de satisfaire à l'apparence ?En effet, les protocoles d'évidence utilisent rarement les critères dits «robustes» d'efficacité, qui sont tout simplement la disparition complète des lésions, ce qui satisfait à l'apparence. Simplement dit, une réponse partielle hautement significative au plan théorique n'est pas perçue par le patient comme suffisante, et l'adhésion au traitement s'estompe rapidement. C'est le cas de la plupart des traitements locaux de l'acné, de certains nouveaux traitements topiques du psoriasis, pourtant consacrés par des évidences qui ont convaincu les administrations d'enregistrement.Ces truismes pour mettre en perspective les progrès annoncés de la biotechnologie dans le traitement du psoriasis. La morbidité de cette maladie est en grande partie due au facteur «apparence» et tout traitement qui se dit efficace doit rendre durablement à la peau une apparence normale. Les traitements actuels permettent, parfois, d'accéder à ce but idéal, sans risque majeur.Une révolution se prépare donc dans la conception du traitement du psoriasis. Elle provient des firmes de biotechnologie qui commercialisent (ou vont le faire) des produits qui, dans l'ensemble, bloquent un élément de la réponse immunitaire. Tous ces produits ont été présentés au congrès sur le psoriasis à San Francisco en juin 2001, dans un contexte autant scientifique «qu'entrepreneurial». Ceux-ci, notamment les anti-TNFa et l'alefacept, une protéine recombinante LFA3-IgG1, ont été récemment revus dans Médecine et Hygiène par Stéphane Kuenzli et Jann Lübbe.1 Leur activité dans le psoriasis a été démontrée par les méthodes éprouvées des «évidences».Mais ici encore, l'évidence permet-elle de satisfaire à l'apparence ?En fait, les nouveaux produits n'induisent le plus souvent qu'une rémission partielle, qui ne satisfait pas au critère d'apparence.On espère cependant que cette rémission sera plus durable qu'avec les traitements actuels, d'où le concept de «long term management». L'effet suppresseur des nouvelles armes «biotech» est ciblé sur les cellules qui entretiennent les lésions, d'où un effet plus spécifique, donc peut-être plus durable qu'avec la ciclosporine ou le méthotrexate. Certains prédisent que, dans quelques années, la stratégie de traitement du psoriasis comportera l'injection mensuelle ou trimestrielle de l'un ou plusieurs de ces produits. Nous voilà loin des évidencesactuelles.
Bibliographie
1 Kuenzli S, Lübbe J. Acquisitions thérapeutiques 2001 : Dermatologie. Med Hyg 2002 ; 60 : 89-96.
Contact auteur(s)
Jean-Hilaire Saurat
Médecin chef de
service
Clinique et Policlinique de dermatologie
Hôpital cantonal
universitaire
Genève