Le terme de microangiopathie thrombotique définit une lésion histologique commune à de nombreuses maladies. Biologiquement, l'association anémie hémolytique et thrombopénie est presque toujours présente, elle reflète la consommation-destruction des hématies et des plaquettes dans la micro-circulation. Les signes cliniques dépendent de la distribution des lésions et des dysfonctions d'organes qui en résultent. En fonction de la prédominance des lésions vasculaires au niveau rénal ou cérébral, deux entités ont été décrites, le syndrome hémolytique urémique et le purpura thrombotique thrombocytopénique. Par ailleurs, des conditions très variées telles que infections bactériennes ou virales, médicaments, grossesse, transplantation, néoplasies ou traitement antitumoral peuvent s'associer à la survenue d'une microangiopathie. Cet article précise certains mécanismes étiopathogéniques qui aboutissent à ce phénomène, notamment au niveau de la cellule endothéliale, et souligne le rôle du déficit en une métallo-protéase, la protéase de clivage des multimères du facteur von Willebrand.
La microangiopathie thrombotique (MAT) désigne une lésion de l'endothélium des artérioles terminales et des capillaires avec formation de microthrombi contenant plaquettes et fibrine.1 Cette lésion est commune à deux syndromes systémiques : le purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT) et le syndrome hémolytique urémique (SHU). Elle entraîne une anémie hémolytique en rapport avec la fragmentation des hématies dans le réseau de fibrine des microthrombi et une thrombopénie sur consommation plaquettaire, ainsi qu'une ischémie de l'organe atteint due aux thrombi de la microcirculation.2
Historiquement, la classification de ces syndromes s'est basée sur une présentation clinique distincte avec atteinte neurologique prédominante dans le PTT et atteinte rénale prédominante dans le SHU. Elle est néanmoins quelque peu arbitraire et reste controversée.3 Une lésion de la cellule endothéliale est retrouvée au centre de la plupart des cas mais de récentes évidences ont permis de mieux cerner le rôle d'une anomalie de la régulation de l'activation plaquettaire liée au facteur von Willebrand.4,5
Bien que de nombreux cas soient dits idiopathiques, une MAT peut survenir dans des situations très variées, telles qu'infections, médicaments, grossesse, néoplasies, chimio et radiothérapie, transplantation d'organes ou de moelle osseuse. Ces conditions parfois banales sont la plupart du temps exemptes d'une telle complication. Ceci suggère que pour déclencher une MAT, l'agression de la cellule endothéliale doit survenir dans un «terrain» propice tel qu'une activation exagérée des plaquettes dans la circulation.
Le diagnostic de MAT repose essentiellement sur des données de laboratoire comprenant :
1. Une anémie hémolytique microangiopathique, c'est-à-dire avec présence de fragments sur le frottis sanguin périphérique, LDH élevées et haptoglobine effondrée. Une réticulocytose, une augmentation de la bilirubinémie et de l'hémoglobine libre peuvent aussi être présentes.
2. Une thrombopénie sans perturbation de la crase. La clinique est celle d'une atteinte neurologique pléomorphe (confusion, déficit sensitivo-moteur, atteinte visuelle, épilepsie, coma) et/ou d'une insuffisance rénale pouvant s'accompagner d'oligo-anurie, d'HTA, d'un syndrome néphrotique ou directement en relation avec l'anémie et la thrombopénie. Même si les patients n'expriment pas d'emblée toutes ces caractéristiques, le risque de développer une ischémie neurologique et rénale ultérieure est néanmoins réel. Une MAT doit donc être évoquée devant toute anémie hémolytique avec thrombopénie d'origine indéterminée. Le diagnostic de certitude est histologique et le plus souvent posé par la biopsie rénale.
L'altération endothéliale s'étend de l'artériole afférente au floculus glomérulaire. L'intensité et la diffusion des lésions sont très variables au sein d'une même biopsie. Les lésions histologiques caractéristiques sont :
1. Un dème et un détachement des cellules endothéliales au niveau capillaire et artériolaire menant à un épaississement de la paroi vasculaire.
2. Une accumulation de matériel floconneux dans l'espace sous-endothélial.
3. Une occlusion partielle ou complète de la lumière des vaisseaux par des thrombi riches en plaquettes.
Lorsque l'atteinte se limite à l'endothélium en l'absence de thrombi, la lésion est connue sous le nom d'endothéliose.2
Des données actuelles de la littérature, on retient l'hypothèse que la MAT est le résultat d'une atteinte endothéliale et d'agents circulants favorisant l'activation plaquettaire, notamment les multimères ultra-larges du facteur von Willebrand (vWF).6 Pour expliquer l'atteinte ou l'expression prédominante au niveau du système nerveux ou au niveau du rein, des particularités de l'endothélium spécifiques à chaque organe sont suspectées mais n'ont pas encore été formellement démontrées.
Le facteur von Willebrand est une glycoprotéine essentielle à l'adhésion et à l'agrégation plaquettaire, en particulier dans la microcirculation. Il est synthétisé et stocké par les mégacaryocytes et les cellules endothéliales en tant que multimères. Le vWF libéré par la cellule endothéliale activée se fixe à son récepteur plaquettaire et via l'activation d'une intégrine induit l'adhésion plaquettaire.
Dans le PTT et le SHU, plusieurs études ont démontré la présence de multimères inhabituellement grands du vWF (UL-vWF), physiologiquement absents du plasma. Ces UL-vWF, semblables à ceux stockés dans les cellules endothéliales et les plaquettes, sont des formes hautement adhésives et servent d'intermédiaires à l'adhésion des plaquettes, en particulier en présence d'un stress mécanique de paroi vasculaire.7 Ils disparaissent de la circulation après résolution de l'épisode aigu, vraisemblablement par incorporation dans les microthrombi.
Dans un plasma physiologique, la taille des multimères est contrôlée par une métalloprotéase, la protéase de clivage du vWF (vWF-CP), qui clive un peptide de liaison spécifique du vWF, pour former des multimères de taille normale et empêcher ainsi l'interaction spontanée des UL-vWF avec les plaquettes.8 Une activité réduite ou absente de cette protéase est à l'origine d'une dégradation insuffisante des multimères de type UL-vWF et joue un rôle central dans certains types de MAT. Un auto-anticorps de type IgG inhibant la vWF-CP est en effet détectable chez les patients avec PTT idiopathique jusque dans plus de 60% des cas.4,5 Dans les formes familiales, l'activité de clivage est fortement réduite, voire absente, alors qu'aucun anticorps anti-vWF-CP n'a jusqu'ici été identifié, suggérant une déficience héréditaire.9 L'identification récente du gène, ADAMTS 13, codant pour cette protéase, permet de confirmer cette hypothèse en révélant des mutations à l'origine des formes familiales.10
Si la mesure de l'activité de la vWF-CP et la détection des mutations du gène ADAMTS 13 ne sont pas encore des méthodes de laboratoire de routine, elles sont en cours d'évaluation et pourraient représenter une avancée décisive dans le diagnostic et la prise en charge des MAT.
L'atteinte primaire de la cellule endothéliale par mécanisme immun ou cytotoxique est un autre facteur pathogénique important dans certaines formes de MAT, notamment en l'absence de déficience en vWF-CP, telles que celles associées aux chimiothérapies et à la transplantation d'organes ou de moelle osseuse.6,11,12 De plus, la lésion endothéliale, toutes étiologies confondues, peut induire la formation d'une grande quantité des multimères du vWF, dépassant ainsi la capacité physiologique du système de clivage et engendrant une déficience fonctionnelle en vWF-CP.
L'endothélium non activé a deux fonctions essentielles, il représente une barrière à la migration cellulaire vers le secteur tissulaire et il a une action «anticoagulante» par sa thromborésistance. Les cellules endothéliales exercent leur thromborésistance dans des conditions physiologiques, en produisant des inhibiteurs de l'activation plaquettaire (prostacycline, NO), de la coagulation (inhibiteur de la voie du facteur tissulaire, thrombomoduline, protéine S, héparan-sulfate liant l'antithrombine III) et en facilitant la fibrinolyse (activateur tissulaire du plasminogène).
La cellule endothéliale peut être activée directement par des anticorps spécifiques, des toxines bactériennes (vérotoxines), des agents chimiques ou des facteurs mécaniques. Son activation indirecte résulte de l'action de cytokines, en particulier TNF-a et IL-1b libérés par des neutrophiles activés en réponse à des agents infectieux, endotoxines bactériennes ou complexes immuns.6 Dans la MAT, l'activation endothéliale entraîne un état prothrombotique, se manifestant essentiellement par la libération du vWF et de l'inhibiteur de l'activateur du plasminogène (PAI) au pôle apical des cellules activées. Dans les MAT de type SHU, on peut même constater une augmentation des taux circulants de PAI-1.13
L'activation du complément joue un rôle pivot dans le processus menant à la MAT. L'activation de la cellule endothéliale entraîne une activation de son récepteur au C5a qui active la P-sélectine et induit la sécrétion du vWF, augmentant ainsi l'activation plaquettaire.6 Le complexe d'attaque membranaire (C5b-9) stimule également la libération du vWF et peut lyser la cellule endothéliale.
Une microangiopathie peut ainsi se développer dans de nombreuses conditions et relever de différents facteurs favorisants qui peuvent coexister et ne sont pas mutuellement exclusifs :13
1. des agents «externes» responsables de l'atteinte endothéliale tels que virus, vérotoxine, rayonnement ionisant, complexes immuns et anticorps ou médicaments ;
2. des prédispositions génétiques telles que défaut d'activité de la vWF-CP, déficit en complément ou en facteur H.
Certains de ces facteurs favorisants sont passés en revue en soulignant les particularités de l'atteinte rénale et les possibles mécanismes étiopathogéniques.
L'association entre MAT et infection bactérienne avec production de vérotoxine concerne près de 90% des enfants atteints de SHU aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest. Il s'agit le plus souvent d'une infection à E. coli, de la souche 0157 : H7 productrice de vérotoxine, mais d'autres sérotypes ont aussi été incriminés. Dans la forme juvénile du SHU, la durée de l'anurie et l'étendue des lésions histologiques rénales sont des facteurs prédictifs d'une insuffisance rénale résiduelle. Environ 30% des cas gardent en séquelle une microalbuminurie, environ 20% une insuffisance rénale et selon les séries entre 3 et 18% développent une insuffisance rénale terminale.
Les vérotoxines paraissent directement impliquées dans le développement des lésions de microcirculation (fig. 1).14 Les vérotoxines sont composées d'une sous-unité A et de plusieurs sous-unités B. Les sous-unités B se lient à un récepteur cellulaire spécifique, le Gb3 et des études expérimentales ont montré un parallélisme entre la distribution tissulaire du Gb3 et celle des lésions de MAT. In vitro, les vérotoxines ont une haute affinité pour les Gb3 exprimés à la surface des cellules endothéliales glomérulaires et la liaison a un effet cytopathique pour la cellule.15 De plus, le TNF-a et l'IL-1b sont des inducteurs de l'expression endothéliale du Gb3 et favorisent la liaison avec la toxine.16 La fixation des vérotoxines à l'endothélium glomérulaire varie en fonction de l'âge et semble plus importante chez le jeune enfant que chez l'adulte. In vitro, des doses subléthales de vérotoxine altèrent la production de médiateurs vasoactifs dérivés de l'endothélium, tels que l'endothéline et le NO qui en retour contribuent aux changements caractéristiques de la microcirculation dans la MAT. Par ailleurs, les cellules tubulaires proximales et distales expriment également le Gb3, et in vitro elles sont soumises à leur effet cytopathogène.16 Outre l'ischémie induite par les microthrombi, la capacité de fixation des vérotoxines par l'épithélium tubulaire rénal pourrait participer aux lésions de nécrose tubulaire observées dans le SHU. Enfin, au niveau des cellules endothéliales rénales, on constate une augmentation dramatique de l'expression de PAI-1, antifibrinolytique, en réponse à la vérotoxine.13
La MAT peut survenir dans le cadre d'une infection à VIH, surtout s'il s'agit d'un adulte, caucasien et fortement immunocompromis. La présentation habituelle est une insuffisance rénale avec protéinurie et anémie hémolytique. Parmi les patients VIH positifs avec insuffisance rénale aiguë, une MAT est diagnostiquée dans environ 30% des cas. Dans 20% des cas, elle nécessite d'emblée un recours à la dialyse.17 Le pronostic global est sombre avec jusqu'à 30% de décès et une insuffisance rénale chronique résiduelle chez 30% des patients. La régression de l'insuffisance rénale est observée dans les formes avec atteinte glomérulaire pure, mais les rechutes après arrêt du traitement sont fréquentes.18 Une évolution favorable a été rapportée sous trithérapie anti-VIH, seule ou en association avec des échanges plasmatiques.
L'infection de la cellule endothéliale par le VIH lui-même pourrait constituer la cause directe de la MAT, l'antigène p24 ayant été mis en évidence sur les cellules endothéliales glomérulaires.19 Par ailleurs, dans environ 50% des cas, l'infection à VIH est associée à une néoplasie, une infection opportuniste, ou une autre infection virale.18 Ainsi, la présence dans la biopsie rénale d'inclusions nucléaires à CMV dans les cellules endothéliales a été décrite dans 40% des cas en association avec une virémie.17 La MAT chez un patient séropositif pour le VIH peut aussi survenir de façon concomitante avec d'autres lésions rénales, telles qu'une néphropathie associée au VIH (HIVAN) ou une glomérulonéphrite à complexes immuns.
La survenue d'une anémie hémolytique microangiopathique peut rarement (5% au maximum) compliquer une tumeur métastatique, le plus souvent un adénocarcinome mucipare d'origine gastrique. L'insuffisance rénale est en général peu marquée. Les emboles tumoraux jouent probablement un rôle prépondérant dans la formation des microthrombi. Les récepteurs GIIb/IIIa et d'autres intégrines sont en effet présents à la surface d'un grand nombre de lignées cellulaires tumorales. Ces glycoprotéines rendent la cellule tumorale capable de lier le vWF et peuvent ainsi entraîner l'adhésion plaquettaire.20 La formation de complexes immuns en réponse à des antigènes tumoraux est aussi invoquée mais leur rôle reste imprécis.
Les MAT associées aux chimiothérapies ont une incidence variant de 2 à 10% liée à la dose cumulative de chimiothérapie. La présentation clinique habituelle est celle d'une atteinte rénale prédominante, réalisant un SHU et les premiers signes apparaissent en moyenne onze mois après le début de la chimiothérapie. La mitomycine a été très souvent incriminée, seule ou en association avec le fluorouracile ou la doxorubicine. D'autres traitements ont aussi été mis en cause tels que bléomycine, carboplatine, daunorubicine, cytarabine, cyclophosphamide, gemcitabine et vincristine.
Sur le plan expérimental, un modèle animal de perfusion de mitomycine dans l'artère rénale du rat a pu reproduire les lésions typiques de la MAT avec atteinte de l'endothélium et accumulation de plaquettes. Trois mécanismes sont évoqués : une interaction d'un métabolite de la mitomycine avec l'ADN de la cellule endothéliale, une augmentation de la production de TNF-a et d'IL-1b, ainsi qu'une altération des multimères du vWF.13
Enfin, la survenue de MAT a été rapportée chez des patients traités par IFNa2b pour une leucémie myéloïde chronique alors que l'INFa2b administré en dehors de ce contexte ne semble pas entraîner cette complication.
Des microangiopathies avec lésions glomérulaires sévères ont été rapportées après irradiation. Il s'agit dans la règle de patients greffés de moelle osseuse ou ayant reçu une irradiation abdominale importante, mais il peut aussi s'agir de patients avec une irradiation chronique à petites doses.21 La forme aiguë survient le plus souvent lors de doses de 20 à 30 Gy et environ 50% des cas présentent une insuffisance rénale aiguë avec hypertension.
Les lésions paraissent directement la conséquence de l'irradiation. Les radicaux libres générés par les radiations ionisantes lèsent l'ADN cellulaire et induisent l'apoptose des cellules endothéliales, d'autant plus facilement qu'elles ne semblent pas capables d'activer la protéine kinase C, facteur protecteur contre la dégradation de l'ADN. En conséquence de cette évolution apoptotique, la cellule endothéliale entre dans un état prothrombotique.21
Une MAT peut être associée à la prise de ticlopidine. Elle se développe dans les deux premières semaines de traitement chez 0,02% des patients ayant eu une angioplastie avec pose de stent. La ticlopidine modifie l'expression des récepteurs glycoprotéiques GP IIb/IIIa des plaquettes et augmente l'affinité de liaison pour les multimères du vWF. Ces types de MAT présentent une déficience en vWF-CP comparable aux formes idiopathiques et des IgG dirigés contre la protéine de clivage ont été retrouvés dans le plasma de ces patients.22
Le clopidogrel et la quinine ont aussi été décrits en association avec des MAT et leur mécanisme d'action semble aussi passer par une interaction avec la glycoprotéine GP IIb/IIIa des plaquettes.
La MAT peut enfin survenir dans le contexte d'une prise de pilule anticonceptionnelle surtout lorsqu'une anamnèse familiale de MAT est positive.23
La survenue d'une MAT au cours du lupus érythémateux disséminé concerne moins de 3% des patients lupiques. Il n'y a pas de corrélation entre la gravité de la néphropathie lupique et l'apparition ou la sévérité de la MAT, qui peut être la seule pathologie rénale. Le phénomène hémolytique se déroule souvent à bas bruit et les répercussions sur le frottis sanguin périphérique sont souvent discrètes, voire absentes. La présence d'anticorps antiphospholipides paraît déterminante mais d'autres facteurs sont aussi impliqués car des titres élevés d'anticorps ont été observés en l'absence de microangiopathie. Dans le syndrome des anticorps antiphospholipides (APL), la MAT représente 30% des atteintes rénales.24 Elle se manifeste par une insuffisance rénale, une HTA et une atteinte neurologique, l'anémie hémolytique est plus rarement au premier plan.
Des titres élevés d'anticorps APL ayant été observés en dehors de tout signe clinique ou histologique de MAT, il n'est pas certain que les APL eux-mêmes soient directement ou isolément impliqués dans cette manifestation. A notre connaissance, il n'y a pas encore de données dans la littérature sur la présence ou non d'anticorps anti-vWF-CP dans ces maladies auto-immunes.
Les lésions d'HTA maligne et la sclérodermie réalisent un tableau histologique de microangiopathie très similaire. Les données expérimentales soulignent le rôle des facteurs mécaniques (shear stress) dans l'apparition des lésions dans l'hypertension maligne.7,13 Dans la sclérodermie, une publication de Cohen et coll. en 1983 suggérait la présence d'un facteur cytotoxique pour la cellule endothéliale dans le sérum de 40% des patients atteints, néanmoins son identification reste à ce jour incomplète.25
Une MAT de type SHU ou PTT peut apparaître soit pendant la grossesse, soit plus fréquemment dans le post-partum et touche davantage les primipares. L'atteinte rénale est en général subaiguë et l'hypertension sévère. Par ailleurs, le diagnostic différentiel peut se poser avec une prééclampsie, un HELLP (hemolysis-elevated liver enzymes-low platelets) ou une exacerbation d'un lupus ou d'un syndrome APL. Les hypothèses étiopathogéniques de ces cas restent complexes et multifactorielles.26 Une prédisposition génétique est parfois évoquée vu l'observation de cas familiaux et le déficit en vWF-CP pourrait jouer un rôle.26
Dans le contexte de l'allogreffe rénale, une MAT peut survenir dans différentes situations, rejet vasculaire aigu, HTA maligne, MAT de novo associée aux inhibiteurs de la calcineurine et enfin récurrence de MAT post-transplant. La présentation clinique est souvent frustre au départ. La biopsie du greffon joue un rôle fondamental car elle peut permettre d'orienter vers une cause ou une autre et ainsi de modifier la prise en charge.
Les inhibiteurs de la calcineurine, ciclosporine A et tacrolimus, ont été impliqués dans le déclenchement d'une MAT rénale. Cette complication s'observe chez 3 à 4% de patients sous ciclosporine A et chez environ 1% des transplantés rénaux recevant du tacrolimus.27 Elle survient le plus fréquemment au niveau de l'allogreffe rénale mais se rencontre aussi au niveau des reins propres après transplantation d'un autre organe solide. La MAT post-transplantation peut conduire à la perte de fonction du greffon rénal comme des reins propres. En termes de mécanisme, de nombreux facteurs ont été évoqués par différents groupes et sont représentés de façon schématique dans la figure 2.13 Il est toutefois fondamental de souligner le fait que l'administration isolée d'inhibiteurs de la calcineurine en l'absence d'allogreffe ne cause que très exceptionnellement une MAT.
Le taux de récidive de MAT sur un rein transplanté est d'environ 28%. La présentation clinique est classique avec anémie hémolytique, thrombopénie et insuffisance rénale. La récidive se développe le plus souvent dans le premier mois après la greffe et peut entraîner la perte du greffon jusque dans la moitié des cas.28 Une méta-analyse regroupant 159 greffes chez 126 patients a identifié plusieurs facteurs associés à la récidive : âge plus avancé de l'épisode initial de MAT, rapidité d'évolution de la maladie initiale, transplantation précoce, origine familiale du greffon et utilisation des inhibiteurs de la calcineurine.28 La récidive est particulièrement commune chez les patients avec une forme familiale de MAT.
Selon les séries, une MAT peut survenir dans 6 à 26% des cas après allogreffe de moelle osseuse, en général dans l'année qui suit la transplantation. L'atteinte rénale est habituelle, mais son intensité ainsi que le pronostic global varient en fonction de trois facteurs de risque : survenue précoce dans le premier trimestre post-allogreffe, utilisation d'inhibiteurs de la calcineurine et présence de signes neurologiques. Les facteurs principalement incriminés dans l'étiopathogénie sont l'irradiation corporelle totale, les inhibiteurs de la calcineurine et la maladie du greffon contre l'hôte (stade III-IV). Une déficience en vWF-CP n'a pas été retrouvée.13
Dans les formes familiales (mode autosomal récessif et dominant), l'atteinte rénale prédomine et l'évolution en insuffisance rénale chronique se retrouve dans 50 à 100% des cas. Des défauts intrinsèques de la voie du complément, du vWF et de la protéase de clivage peuvent représenter une prédisposition génétique à la microangiopathie, comme le confirme l'identification récente du gène ADAMTS 13 et de ses mutations.10
Déficits congénitaux du complément
Une diminution du C3 est présente dans la moitié des formes familiales. Elle persiste en dehors des épisodes symptomatiques parlant contre une consommation du complément associée au processus de la microangiopathie. En dehors d'un défaut de synthèse du complément, une fonction altérée ou absente du facteur H est suspectée. Le facteur H est une glycoprotéine qui joue un rôle central dans l'activation et la régulation du complément, sa diminution est souvent associée à une diminution du C3.13
La plasmaphérèse est la pierre angulaire de la prise en charge thérapeutique. Elle est indiquée devant une forte suspicion de MAT même si elle n'est pas complètement prouvée car le pronostic en dépend. La mortalité du SHU sur infection à E. coli chez l'adulte avec insuffisance rénale sévère et atteinte cérébrale a pu être réduite de 45% par les plasmaphérèses. L'initiation rapide des plasmaphérèses est particulièrement importante dans les formes associées au VIH et à la grossesse. D'une façon générale, les échanges plasmatiques ont montré leur supériorité de façon significative par rapport à la simple administration de plasma frais congelé, tant sur le taux de réponse que sur la survie.29
En présence d'anti-vWF-CP, l'efficacité des échanges plasmatiques pourrait être due à leur capacité de soustraire les IgG anti-protéase circulantes et les multimères inhabituellement larges (UL-vWF).7 L'administration de plasma permettrait le remplacement des protéases manquantes ou inhibées.
Les stéroïdes sont le deuxième élément important du traitement et ils sont presque toujours utilisés en association avec les plasmaphérèses. Leur utilisation reste empirique dans l'hypothèse d'une action anti-inflammatoire vasculaire et dans le contexte immunologique.30
Il existe des alternatives thérapeutiques utilisées de façon souvent anecdotique : vincristine, splénectomie, préparation d'immunoglobulines i.v. Ces traitements sont utilisés en l'absence de réponse aux plasmaphérèses et aux corticoïdes, leur efficacité réelle est difficile à évaluer.
Dans les formes de MAT paranéoplasiques ne répondant pas aux plasmaphérèses, l'utilisation de stéroïdes combinés à des immunosuppresseurs, voire à une immunoadsorption peut être envisagée et vise une diminution des complexes immuns.31 Dans les MAT associées aux virus, la prompte initiation d'un traitement antiviral de type ganciclovir pour le CMV ou trithérapie anti-VIH semble permettre d'améliorer l'évolution.
La microangiopathie thrombotique rénale s'inscrit comme un syndrome de présentation clinique non spécifique qui se base sur une atteinte de la cellule endothéliale et aboutit à une activité procoagulante augmentée avec ou sans anomalie du facteur von Willebrand. A côté des formes idiopathiques et familiales, de nombreuses affections peuvent aboutir à cette entité. Le diagnostic de MAT ne doit pas dépendre seulement de l'identification des caractéristiques cliniques, biologiques ou histologiques complètes mais devrait être suspecté lorsqu'une anémie hémolytique et une thrombopénie surviennent en l'absence d'autres causes identifiables. La rapidité du diagnostic et la prompte initiation des plasmaphérèses devant toute suspicion demeurent les aspects essentiels d'une prise en charge efficace. Le pronostic reste globalement sombre surtout au niveau de la fonction rénale. De nouveaux progrès dans la compréhension de la pathogenèse de la MAT devraient permettre d'améliorer la prise en charge de ce syndrome considéré comme rare mais peut-être sous-diagnostiqué.