Nous poursuivons ici la relation de la séance que vient d'organiser l'Académie française de médecine sur le thème du cannabis et les inquiétudes sanitaires liées aux modalités actuelles de la consommation de drogues illicites (Médecine et Hygiène du 6 mars 2002). Qu'en est-il de la banalisation de l'usage du cannabis phénomène souvent évoqué mais rarement quantifié ? «La consommation du cannabis s'est nettement étendue au cours des dernières années, particulièrement chez les jeunes, a expliqué Jean-Michel Costes citant le dernier rapport de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), groupement d'intérêt public qui a pour mission de publier régulièrement un rapport sur l'état du phénomène des drogues et des dépendances. En 2000, un Français sur cinq a déjà consommé du cannabis. Chez les jeunes, à la fin de l'adolescence, ce fait est observé chez plus de la moitié d'entre eux. Chez ces jeunes, la consommation est le plus souvent occasionnelle mais devient avec l'âge de plus en plus régulière et intense. Ainsi, parmi les garçons âgés de 19 ans ayant expérimenté le cannabis (60%), plus d'un sur trois en a une consommation régulière ou intensive».On sait d'autre part que la consommation de cannabis se retrouve dans tous les milieux sociaux. Elle est encore très fortement liée à l'âge et, dans une moindre mesure, au sexe : forte consommation chez les adolescents et les jeunes adultes qui décroît ensuite et devient marginale après 50 ans, usage plus important pour les hommes. Toutefois, la différence entre les sexes est moins marquée pour les jeunes générations de consommateurs. «Cette consommation est très fréquemment associée à celle du tabac et de l'alcool, souligne M. Costes. Dans les contextes festifs, le cannabis est très présent, accompagnant souvent les prises de produits stimulants et de produits hallucinogènes. Les constats faits en France sont proches des tendances plus globales relevées en Europe».En d'autres termes, le cannabis est de loin la substance illicite la plus consommée dans les pays de l'Union européenne. Au sein de la population adulte, l'expérimentation concerne entre 10 et 30% des individus. Chez les 16-34 ans, ce taux avoisine 40% dans les pays les plus consommateurs (Danemark, Royaume-Uni et France). Les chiffres des différents pays de l'Union européenne indiquent d'autre part une hausse du «taux d'expérimentation» au cours des années 1990, avec une stabilisation récente dans la plupart des pays. Il importe toutefois de souligner que, globalement, la consommation de cannabis est plus souvent une expérience qu'une habitude. Qu'en est-il au sein de la population scolaire ? «L'usage de cannabis des élèves français de 16 ans (expérimentation comme usage répété) arrive en tête, pour les garçons comme pour les filles. Seuls le Royaume-Uni et la République tchèque se situent au même niveau» précise M. Costes.Au-delà du cannabis, l'une des analyses intéressantes dans ce domaine est celle qui traite des usages d'opiacés et de cocaïne dits «à problèmes». Avant d'aborder les dommages sanitaires que peut entraîner l'usage de drogues illicites, il faut en effet définir la population concernée et en estimer l'importance. «Pour cela, il est nécessaire de clairement différencier les "consommateurs de drogues illicites", principalement concernés par une consommation de type récréative, et les "consommateurs de drogues illicites à problèmes", susceptibles de subir des dommages importants sur le plan sanitaire, social ou pénal, a expliqué M. Costes devant l'Académie de médecine. Cette estimation peut être rapprochée de celle, plus restreinte, portant sur le nombre d'usagers d'opiacés ou de cocaïne à problèmes. En effet, les opiacés et la cocaïne sont les principaux produits consommés par ces usagers. Les consommations de drogues telles que l'héroïne et la cocaïne sont difficilement détectables par les enquêtes en population générale, surtout lorsqu'elles sont de type abusif ou impliquant une dépendance».Pour sa part, l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies a élaboré un protocole méthodologique visant à estimer la population concernée. La définition pragmatique retenue dans le protocole est celle de : usagers de drogues par voie intraveineuse ou consommateurs réguliers d'opiacés ou de cocaïne. Le terme «à problèmes» fait référence «à une consommation qui peut induire un recours au système sanitaire et social et/ou une visibilité par le système répressif».Toujours selon M. Costes, différentes méthodes d'estimation sont proposées, mais aucune d'entre elles ne peut être considérée comme la meilleure. Pour cette raison, l'application concomitante de différentes méthodes et leur confrontation sont conseillées. L'application à la France du protocole européen effectuée par l'OFDT donne, pour l'année 1999, une fourchette d'estimations de 150 000 à 180 000 usagers d'opiacés ou de cocaïne à problèmes. Les quatre méthodes utilisées comportent des biais possibles liés aux hypothèses et aux sources de données utilisées. L'intérêt principal de cet exercice est l'application de méthodes différentes et leur validation croisée. Ainsi, la convergence de leurs résultats rassure sur la fiabilité d'une telle estimation.L'estimation précédemment établie par l'OFDT situait entre 142 000 et 176 000 le nombre des usagers d'opiacés à problèmes pour l'année 1995. La comparaison des estimations de 1999 et 1995 tendrait à montrer une stabilisation du nombre d'usagers qui, selon M. Costes, est toutefois à analyser avec une extrême prudence.