Comment comprendre et savoir sans se déplacer ? La routine, le confort sans doute, l'âge peut-être, font que de ce point de vue nous sommes dans une sorte de péché journalistique. Péché véniel sans doute mais péché avéré et déjà presque à moitié pardonné. Direction : la commune de Nouzilly dans le beau département de l'Indre-et-Loire où les asperges et la vigne croissent entre les châteaux des antiques rois de France, où les hommes vieillissent en buvant leurs vins dans les caves que leurs aïeux creusèrent dans le tuffeau, où les enfants grandissent en marge de l'insouciance de l'époque, où le temps passe tandis qu'à Saint-Ouen-les-Vignes l'éternité s'avance.Envoyé spécial, pour Le Monde, nous avons eu l'honneur et la chance d'assister à la pose des premières pierres de ce qui apparaîtra bientôt comme la première ferme aux prions. Ces pierres ont été posées, dans un noir après-midi tourangeau, par Roger-Gérard Schwarzenberg, ministre de la Recherche, et Jean Glavany, ministre de l'Agriculture pour quelques jours encore avant comme nous l'indiquions il y a quelques semaines déjà de devenir le directeur de campagne de Lionel Jospin candidat désormais déclaré à l'élection pour la Présidence de la République française. Les deux ministres ont donc solennellement posé les deux premières pierres d'une animalerie à haute protection officiellement destinée à la recherche sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) sur le vaste domaine de la station de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Nouzilly spécialisée dans les travaux sur les productions et la biologie animale.L'«installation nationale protégée pour la recherche sur les ESST» a pour prétention d'héberger et d'entretenir 6000 souris, 200 moutons et 30 bovins qui serviront, dans un premier temps, aux recherches fondamentales et appliquées sur la maladie de la vache folle et sur la tremblante du mouton. L'hébergement durant des années de moutons et de bovins infectés par des prions pathologiques soulève, on le comprend sans mal, de nombreuses difficultés. Cette animalerie à haute protection sera ainsi constituée d'installations dites «de classe 3». Ces dernières assureront un contrôle total de tous les éléments susceptibles d'en sortir (air, échantillons pour analyses, déchets solides, effluents liquides) tout en garantissant la sécurité des membres du personnel.A l'intérieur du bâtiment, l'atmosphère sera maintenue en dépression, et toutes les entrées (de personnel, d'animaux, de matériel ou d'aliments) se feront via un système de sas étanches. «Les animaux, une fois entrés dans le bâtiment, ne pourront en ressortir vivants. Les autopsies seront effectuées sur place, les prélèvements de tissus ou d'organes qui devront sortir du bâtiment pour des analyses dans des laboratoires extérieurs partiront en emballages sécurisés grâce à un dispositif de sacs plastiques scellés de l'extérieur assurant le confinement du contenu et la propreté de l'extérieur de l'emballage, précise-t-on auprès de l'INRA. Les déchets solides (carcasses d'animaux, restes d'aliments, déjections solides, litière, petit matériel plastique jetable) seront incinérés sur place, les effluents liquides (lisiers des animaux, eau des éviers et des douches) subiront un traitement thermique afin d'assurer leur décontamination». «Nous avions impérativement besoin de ce type d'équipements pour les différents travaux de recherche qui visent à combler les nombreuses lacunes qui demeurent dans le domaine de la physiopathologie et du diagnostic in vivo de l'ESB, a pour sa part déclaré à Nouzilly le Pr Dominique Dormont, président du comité interministériel des experts des maladies à prions. C'est tout particulièrement vrai pour l'étude des mécanismes du franchissement de la barrière d'espèce des prions pathologiques ainsi que ceux qui assurent leur progression, toujours mortelle, depuis la périphérie de l'organisme contaminé vers le système nerveux central». L'ouverture de l'ensemble est programmée pour l'année 2004. Une question irritait au plus au point les officiels présents, ce jour de février 2002, devant le royal buffet offert sous le Barnum dressé à côté des deux premières pierres : Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour que les chercheurs français puissent disposer d'un tel matériel ?