On définit sous le nom de rhumatisme apatitique certaines affections rhumatismales en rapport avec des dépôts de cristaux d'apatite (AP). Constituants normaux du tissu osseux, les cristaux d'AP peuvent, en condition pathologique, se déposer dans les tissus mous. La localisation la plus fréquente concerne les insertions tendineuses, les gaines tendineuses, la capsule articulaire. Plus rarement, les dépôts d'AP peuvent se faire dans les tissus sous-cutanés et les bourses périarticulaires, notamment au cours de maladies du collagène, comme la sclérodermie et le syndrome CREST ; parfois, des dépôts d'AP sont mis en évidence en situation intra-articulaire, notamment lorsqu'un patient présente une arthrose érosive des doigts.
Les cristaux d'AP contiennent du phosphore et du calcium. De ce fait, des dépôts d'AP apparaissent distinctement sur des clichés radiographiques standards comme des calcifications arrondies, de taille variable.
L'épaule est le siège le plus fréquent des calcifications apatitiques. La main et le poignet viennent en seconde place.1 Dans une série de 45 malades atteints de rhumatisme à AP avec des calcifications tendineuses multiples, l'épaule était touchée chez 34 d'entre eux, le poignet chez 18, les doigts chez 19.1 Dans une étude portant sur 12 cas de périarthrite calcifiante liée à AP touchant exclusivement la main, le poignet était atteint 4 fois, la main 8 fois (doigts 2 fois, carpes 6 fois).2 Au poignet, c'est l'extrémité distale du tendon du cubital antérieur sur le pisiforme qui est la localisation la plus habituelle. Des cas de ténosynovite apatitiques des tendons fléchisseurs ou extenseurs des doigts ont été mentionnés dans la littérature.3,4 Dans un cas, l'inflammation des tendons fléchisseurs avait causé un syndrome du canal carpien ; histologiquement, les cristaux d'AP se situaient dans la gaine synoviale d'un tendon fléchisseur.5
Facteurs favorisants, pathogénie
La plupart des cas sont idiopathiques.6 Des facteurs familiaux et héréditaires sont parfois signalés. La possibilité d'une influence hormonale sur le développement des calcifications d'AP est possible car l'atteinte survient souvent chez les femmes dans la période préménopausique.6 En présence de calcifications apatitiques multiples, il faut envisager certaines pathologies qui sont susceptibles de favoriser des dépôts d'AP : le diabète, l'insuffisance rénale chronique, en particulier chez des sujets soumis à des séances répétitives d'hémodialyse, ainsi que l'hypervitaminose D iatrogénique. Il est possible que des traumatismes périarticulaires ou que des microtraumatismes répétitifs puissent jouer aussi un rôle favorisant. Les calcifications se développent dans des zones tendineuses soumises à des conditions d'ischémie.7 Les calcifications d'AP peuvent, dans certains cas, faire suite à des injections locales de corticostéroïdes au niveau des doigts ou des poignets (fig. 1). Les solutions de stéroïdes à longue durée d'action sont en général en cause ; il semble que des injections contre résistance, en dehors d'une articulation, soient plus susceptibles de faire ce type de complication.8
Présentation clinique
Une périarthrite calcifiante du poignet ou des doigts se manifeste sous forme d'une réaction inflammatoire locale, très douloureuse, localisée à une partie de la main (fig. 2). Comme la rougeur locale est souvent intense, on peut évoquer, à ce stade, une infection, une crise de goutte, une réaction post-traumatique. En règle générale, la crise douloureuse s'estompe spontanément en l'espace de quelques semaines et guérit sans séquelle.1 Toutefois, des localisations nouvelles à d'autres zones de la même main ou de la main opposée, peuvent se développer et réaliser un tableau rappelant parfois un rhumatisme palindromique ou une polyarthrite rhumatoïde atypique.1,9 Au niveau des tendons fléchisseurs du poignet, les dépôts d'AP peuvent favoriser l'apparition d'un syndrome du canal carpien.5,10
Critères de diagnostic
Sur le plan clinique, l'inflammation est caractérisée par son caractère transitoire et son évolution bénigne.
Sur le plan radiologique, le diagnostic s'établit par la mise en évidence de calcifications périarticulaires au poignet ou sur le doigt douloureux. Une radiographie de la main de face et en incidence trois quarts permet une bonne définition de la calcification. Celle-ci peut avoir un aspect homogène en début de crise. Ultérieurement, la calcification se fragmente puis finit par disparaître sans laisser de trace (fig. 3a, 3b).1,4 Sur le plan radiologique, une calcification se distingue d'une ossification par le fait qu'elle est dépourvue de structure trabéculaire et de corticale et que la densité est radiologiquement homogène et d'aspect arrondi. Un diagnostic différentiel avec un os sésamoïde ou avec une ostéochondromatose ne devrait donc pas poser de problème. L'ultrasonographie permet de fournir des précisions sur la localisation des calcifications.3 Les autres méthodes d'imagerie ne sont pas nécessaires pour établir le diagnostic.
La mise en évidence de cristaux d'AP dans les structures périarticulaires ou le liquide synovial prélevé dans les gaines tendineuses peut s'effectuer par certaines techniques : la coloration rouge d'alizarine S permet de démontrer la présence de magmas calciques. Des analyses plus détaillées peuvent comprendre une poudre de diffraction aux rayons X,6 une analyse au microscope électronique par balayage couplée à une analyse chimique pondérale, enfin dans quelques cas, une spectroscopie à infrarouge. Ces examens spécialisés confirment la présence d'AP d'une manière irréfutable.
Diagnostic différentiel
Le délai avant de poser le diagnostic se situe en général autour de deux semaines. En effet, le diagnostic différentiel comporte un état infectieux (hypodermite, arthrite septique). Une crise de goutte est à envisager chez des patients âgés où les premières manifestations peuvent se faire au niveau des mains souvent au contact de nodosités arthrosiques ; ce sont les sujets généralement âgés soumis à un traitement de diurétiques qui présentent ce type de manifestation. La chondrocalcinose atteint exceptionnellement les petites articulations des doigts où elle peut causer une poussée inflammatoire.
Traitement
Une fois le diagnostic établi, un traitement local par immobilisation, application de glace, en association avec un traitement par les anti-inflammatoires non stéroïdiens, permet une sédation rapide des symptômes. La place d'un traitement par la colchicine est mal définie, certains auteurs pensant que ce traitement est inefficace, d'autres qu'il est utile.2 La persistance d'une calcification gênante sur le plan mécanique peut conduire à faire une exérèse chirurgicale.11 La normalisation d'une hypercalcémie, l'équilibration d'un diabète, l'abaissement de la phosphorémie chez les dialysés chroniques entraîneront parfois une régression des calcifications lorsque celles-ci ont pris une allure chronique. Certains tophus uratiques anciens peuvent subir une calcification de leur centre s'il est devenu nécrotique. Dans ces cas-là, une exérèse chirurgicale du tophus paraît judicieuse. Les injections locales de corticostéroïdes peuvent raccourcir la durée d'une crise5 mais elles sont parfois susceptibles d'entraîner des calcifications apatitiques si le produit est injecté contre résistance ou s'il reflue.8
La recherche de cristaux d'AP dans le liquide synovial d'une articulation digitale ou du poignet est parfois positive. Cette situation se rencontre en principe dans l'arthrose érosive des doigts, notamment lors de poussée fluxionnaire.12 On a pu démontrer la présence d'amas de cristaux d'AP dans une synoviale prélevée à une articulation métacarpophalangienne dans un cas d'arthrose avancée, chez un patient qui avait subi aussi des injections intra-articulaires de corticostéroïdes.13 La détection précoce de cristaux d'AP dans une articulation d'un doigt pourrait être un signe prédictif d'une évolution vers une arthropathie destructrice.14 Toutefois, les relations exactes entre les cristaux d'AP s'ils sont présents en situation intra-articulaire et une arthrose érosive des doigts sont encore insuffisamment comprises. Les cristaux pourraient être simplement le reflet de la mise à nu de l'os sous-chondral au cours de l'arthrose.
Le traitement de l'arthropathie apatitique des doigts et du poignet se confond avec celui de l'arthrose sous-jacente ; les anti-inflammatoires non stéroïdiens, des corticostéroïdes par injection intra-articulaire peuvent amener une sédation transitoire ou prolongée. On ne peut toutefois pas, au stade actuel de nos connaissances, préconiser un traitement de base de l'arthropathie apatitique. Il y aura lieu toutefois de recommander aux sujets d'éviter des microtraumatismes locaux répétitifs susceptibles d'entraîner une aggravation progressive de la dégénérescence articulaire. W