Nous poursuivons ici la relation de la séance que vient d'organiser l'Académie française de médecine sur le thème du cannabis et des inquiétudes sanitaires liées aux modalités actuelles de la consommation de drogues illicites (Médecine et Hygiène des 6 et 13 mars). Cette séance a notamment permis au Pr Paul Lechat, membre de l'Académie nationale de médecine, de faire une synthèse actualisée des données disponibles sur la consommation à des fins médicales.«L'empereur Cheng Nung aurait permis, il y a environ 5000 ans, l'emploi du cannabis pour traiter le paludisme, mais les Chinois l'auraient abandonné car 'il faisait venir les démons'. Il s'agit de la première illustration d'une indication erronée, d'une part, et des effets hallucinogènes du cannabis, d'autre part, rappelle le Pr Lechat. En Europe, les écrits de Pline, de Dioscoride et de Galien font mention du cannabis, qui va rester en usage pour des siècles. Vers 1850, il devient un médicament largement prescrit en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, et la reine Victoria l'aurait utilisé contre ses douleurs musculaires ! L'apparition de médicaments plus actifs à la fin du XIXe siècle, et plus encore au XXe siècle après la Seconde Guerre mondiale, fait abandonner le cannabis, dont l'usage devient même illégal.»On sait ensuite qu'à partir de la fin des années 1960, la banalisation de l'usage du cannabis à titre récréationnel a été un phénomène d'ampleur croissante dans les pays industrialisés, au sein de la population des 15-25 ans. Parallèlement, certains ont vanté les vertus thérapeutiques dans une multitude de cas. Le Pr Lechat observe aussi que «des groupes de pression se sont constitués en différents pays pour réclamer le statut de médicament pour le cannabis, sans être dépourvus d'arrière-pensées sur sa dépénalisation».Juger du bien-fondé d'une telle allégation impose donc de considérer objectivement les données disponibles à ce jour. Parmi les nombreuses indications proposées depuis des siècles pour le cannabis, cinq seulement ont été retenues par le National Institute of Health des Etats-Unis. Cannabis et traitement de la douleurSur une vingtaine d'essais publiés entre 1966 et 1999, Campbell et coll.1 en retiennent neuf valides, comprenant 222 patients, soit cinq sur des douleurs d'origine cancéreuse, deux sur des douleurs chroniques non cancéreuses, deux sur des douleurs aiguës postopératoires. «Aucun ne concerne le cannabis fumé. Les substances essayées (THC per os, 5 à 20 mg), levonantradol (1,5 à 3 mg, i.m.) ne se sont pas montrées plus efficaces que la codéine (50 à 120 mg), mais leur emploi a été limité par leurs effets dépresseurs sur le système nerveux central» explique le Pr Lechat. Un autre rapport2 analyse cinq essais cliniques portant sur 94 patients et aboutit à des conclusions similaires.«Des recherches neuropharmacologiques récentes ont révélé l'existence de relations étroites entre les systèmes opioïdergiques et cannabinoïdergiques endogènes3 ce qui jette un jour nouveau sur l'effet antalgique du cannabis et conduit à de nouvelles investigations, en particulier nécessaires sur les douleurs neuropathiques.» Dans ce contexte, il faut signaler les recherches poursuivies au Japon sur un nouveau dérivé de la pyrazolopyrimidine qui atténue chez l'animal l'hyperalgésie neuropathique en agissant sur le système adénosinergique.4 Le cannabis comme antinauséeux et antiémétiqueLe rapport de Tramer et coll.5 fait état de 198 essais publiés entre 1975 et 1997. En fait, seuls 30 d'entre eux ont été retenus, portant sur 1366 patients, traités par la nabilone ou le dronabinol per os, aucun par le cannabis fumé. Une comparaison de l'effet sur les nausées et vomissements induits par une chimiothérapie anticancéreuse a été faite avec celui de divers antiémétiques classiques (prochlorpérazine, métoclopramide, thiéthylpérazine, etc.), mais pas avec les antagonistes des récepteurs 5-HT3 du type ondansétron, introduits en thérapeutique en 1987, souligne le Pr Lechat. Il ajoute que la revue de Robson porte sur douze essais cliniques rassemblant 657 patients ; elle aboutit à la même conclusion : les cannabinoïdes essayés sont actifs comme antiémétiques, mais au prix de sérieux effets indésirables (dépression, hallucinations). La majorité des cancérologues estiment d'autre part que le cannabis est moins efficace comme antiémétique que les antagonistes 5-HT3 de la sérotonine.(A suivre)1 Campbell FA, Tramer MR, Carroll D, et al. Are cannabinoids an effective and safe treatment option in the management of pain ? A qualitative systematic review. BMJ 2001 ; 323 : 13-6.2 Robson P. Therapeutic aspects of cannabis and cannabinoids. Br J Psychiatry 2001 ; 178 : 107-15.3 Costentin J. Données récentes concernant l'action du cannabis sur le système nerveux. Bull Acad Natl Méd 2002.4 Yasuda T, Okamoto K, Iwamoto T, et al. A novel analgesic compound OT-7100 attenuates nociceptive responses in animal models of inflammatory and neuropathic hyperalgesia : A possible involvement of adenosinergic antinociception. Jpn J Pharmacol 2001 ; 87 : 214-25.5 Tramer MR, et al. Cannabinoids for control of chemotherapy induced nausea and vomiting : Quantitative systematic review. BMJ 2001 ; 323 : 16-21.