L'état de santé des femmes incarcérées dans le canton de Vaud est globalement plus médiocre que celui rencontré dans une pratique de cabinet privé. Les diagnostics principaux sont relatifs aux troubles somatoformes, liés à des conduites de dépendance, à des troubles de la personnalité et anxio-dépressifs réactionnels. La population féminine semble plus apte à faire appel au réseau de soins en prison, afin d'améliorer un état de santé qui est clairement perçu comme déficient. L'incarcération semble également être un moment privilégié pour mettre en place une stratégie de prévention cohérente avec les préoccupations de santé publique actuelles.
L'état de santé des femmes incarcérées dans le canton de Vaud n'a jusqu'à présent pas fait l'objet d'études, alors qu'il s'agit d'une population nécessitant d'une part des soins spécifiques, tout en étant d'autre part l'objet de bon nombre d'idées préconçues tant vis-à-vis des pathologies présentées que du recours aux traitements.
La présente étude se base sur l'expérience pratique de plusieurs médecins exerçant en milieu carcéral, somaticiens et psychiatres.
Dans le canton de Vaud, les femmes incarcérées représentent 8,76% de la population carcérale adulte globale soit 220 femmes ayant été incarcérées au cours de l'année 1999.
Il s'agit d'une population jeune répartie de façon gaussienne avec un plateau régulier d'environ 10% de la population se situant de 26 à 50 ans. Il n'y a pas eu de mineures incarcérées en milieu adulte, contrairement à ce que l'on a pu rencontrer du côté de la population masculine (tableau 1).
Les femmes que nous rencontrons en prison sont pour la plupart séparées (18%), divorcées (11%) et veuves (26%) sans que ce dernier chiffre, après étude, ait pu paraître corrélé à la tranche d'âge ou au niveau socio-économique que nous rencontrons.
Enfin, la majorité des détenues est d'origine étrangère (91 détenues de nationalité suisse sur 220 détenues incarcérées). Les détenues étrangères viennent majoritairement d'Europe (86 personnes) puis d'Amérique et d'Afrique (19 personnes de chaque origine).
Les raisons qui ont conduit à l'incarcération de ces femmes sont pour 60% d'entre elles très variables (vol, brigandage, agressions, rupture de ban, etc). Quarante-neuf pour cent des femmes incarcérées le sont pour infraction ou contravention à la loi sur les stupéfiants et l'on sait que nombre de délits sont liés à des conduites de dépendance toxicomaniaque, comme par exemple les vols à la tire.
Le troisième grand collectif délictueux est représenté par les escroqueries avec 11% des femmes détenues, puis viennent les infractions à la loi sur la circulation routière environ 3%, le reste atteignant des taux infimes tels qu'actes d'ordre sexuel avec des enfants 0,45%, meurtre 0,90%, assassinat 0,45%, incendies intentionnels 0,45%.
En résumé on peut dire que dans le canton de Vaud, les femmes sont principalement incarcérées pour des délits consécutifs ou pour le moins liés à des conduites de toxicodépendance, quand il ne s'agit pas de délits directement liés au trafic ou à la consommation de toxiques.
Même au sein du collectif de femmes incarcérées pour escroquerie, on peut retrouver des liens avec les problématiques de dépendance, certaines toxicomanes pouvant par exemple être arrêtées suite à l'utilisation de cartes de crédit volées.
On peut également observer le très faible nombre de délits liés aux déviances sexuelles et à la violence physique. Il paraît néanmoins hasardeux d'en tirer des conclusions psychopathologiques quelconques, ce type de délit pouvant être sous-représenté dans sa reconnaissance pénale : en particulier en ce qui concerne les délits sexuels, il existe certainement plus de femmes ayant des conduites d'agression sexuelle que de délinquantes sexuelles incarcérées, cette problématique étant encore plus difficile à repérer et à dénoncer que dans le cas d'hommes agresseurs.
Nous disposons de quelques données particulières quant à l'épidémiologie des femmes toxicomanes incarcérées. En 1999, 79 toxicomanes ont été recensées par le service médical sur une population de 220 personnes présentes pour la même période. Sur ces 79 toxicomanes déclarées : 12 d'entre elles ont bénéficié d'une médication de sevrage en dehors des sevrages de méthadone (effectués en cas de prise de méthadone au noir) et 45 patientes ont bénéficié d'une poursuite, reprise ou d'un début de cure de méthadone durant leur séjour. Durant cette même période 9 femmes sur les 220 présentes étaient VIH positives et 18 tests de détection ont été pratiqués durant cette même période.
Des 220 personnes incarcérées en 1999, 147 ont bénéficié sur l'espace d'une année au moins d'une consultation chez les généralistes. Septante-trois personnes n'ont pas été vues en consultation et ce pour différentes raisons : sorties rapides avant le passage du généraliste, refus de la visite d'entrée ou certaines dont la visite avait déjà été effectuée en 1998.
Sur la même période et la même population 82 patientes ont bénéficié de 364 consultations psychiatriques, ce qui nous amène à 4,43 consultations par patiente.
Si l'on en croit ces chiffres, on pourrait être amené à penser que les généralistes voient plus de monde mais assurent moins de suivis de moyen et long terme que les psychiatres. Néanmoins ces chiffres sont à interpréter avec prudence. Il semble en effet que la répartition des consultations par patiente ne soit pas une chose facile à réduire à une moyenne et que tant les généralistes que les psychiatres aient plutôt eu affaire à un pourcentage élevé de clientèle carcérale qui faisait appel une fois ou deux à la consultation, et à une minorité qui requérait plus fréquemment des suivis de moyen à long terme.
Durant l'année 1999, 147 patientes ont été suivies par les deux généralistes consultants de la prison de Lonay. Différents diagnostics, regroupés par systèmes, ont été posés à ces occasions (tableau 2).
Selon l'expérience des praticiens généralistes, la grande majorité de ces diagnostics sont des troubles fonctionnels ou somatoformes, principalement réactionnels à l'incarcération et/ ou au contexte judiciaire/carcéral. Ils relèvent tout particulièrement la fréquence des colopathies fonctionnelles, douleurs abdominales mal systématisées, céphalées, cervicalgies et troubles associés.
Chez ces patientes, l'angoisse ne peut s'exprimer autrement, et nombre d'entre elles préféreront bénéficier d'un traitement symptomatique ainsi que de physiothérapie prescrite par le généraliste plutôt que d'accepter d'être suivies par un psychiatre.
En prison comme à l'extérieur, le statut de malade somatique reste fréquemment préféré à celui de patient psychiatrique.
Ainsi, les diagnostics somatiques réels sont évalués seulement à 15% de l'ensemble des diagnostics somatiques supposés.
Le second grand collectif de pathologies identifiées en prison est clairement celui des conduites de dépendance.
Environ la moitié des toxicomanes incarcérées présente un état de santé précaire, le plus fréquemment sur le plan cutané et respiratoire. Dans la liste des diagnostics énoncés n'est pas mentionné l'état général de ces patientes, souvent cachectiques et souffrant de malnutrition.
Tant sur un plan somatique général, que sur le plan dentaire ou gynécologique, l'incarcération est une chance pour la santé des détenues toxicomanes, tant en termes de travail de prévention, de détection que de traitement.
En particulier, le suivi des patientes VIH positives est rendu plus aisé, et l'évaluation de la compliance d'un traitement de trithérapie est plus facile dans un milieu hypercontrôlant qu'en cabinet privé.
Sur le plan de la consultation gynécologique, nous ne disposons pas de données chiffrées sur les diagnostics, ou les types de traitements réalisés. Nous avons recueilli des informations, basées sur l'impression clinique de la gynécologue consultante, la Dresse G. Soldini.
La population rencontrée en prison est nettement péjorée sur le plan gynécologique par rapport à la clientèle de cabinet, en raison de la fréquence élevée des conduites de dépendance et de la prostitution qui y est liée.
Dans l'ensemble, les détenues sont peu accoutumées à recourir à la consultation gynécologique (les seuls chiffres dont nous disposons font état de 46 consultations pour 30 femmes, sur une population totale de 220 femmes en une année).
Outre les toxicomanes, les détenues étrangères sont dans la même situation, que ce soit pour des problèmes culturels, socio-économiques, ou d'accès aux soins.
Certaines peuvent demander une consultation et pourtant refuser l'examen clinique, vécu comme trop intrusif ou inhabituel pour elles.
Les pathologies les plus souvent rencontrées sont de nature infectieuse banale ou sont des maladies sexuellement transmissibles.
Outre le traitement symptomatique, la consultation permet aussi d'assurer un discours préventif, et sur la contraception, en collaboration avec les visites effectuées en prison par le Planning familial.
Les suivis de grossesse sont rares, du fait du tournus rapide des détenues. En tout, on en compte trois ou quatre par an. Les accouchements ont lieu au CHUV.
Les découvertes de grossesses sont plus fréquentes, chez des jeunes femmes qui peuvent être amenées à demander une interruption volontaire. Les datations et suivis nécessaires sont alors organisés auprès du CHUV.
Il s'agit d'une population de 82 femmes suivies au cours de l'année 1999. Les diagnostics ont été posés par trois psychiatres différents (tableau 3).
De façon globale, les fréquences des diagnostics psychiatriques sont compatibles avec les délits des femmes incarcérées, c'est-à-dire avec une nette prédominance d'abus de substances et de troubles de la personnalité, diagnostics fréquemment corrélés. Cependant contrairement aux impressions fréquemment médiatisées, on retrouve peu de psychoses ou d'états dépressifs. On note beaucoup plus de troubles réactionnels au début des détentions préventives, et avant les jugements. Ce second pic est une constatation subjective, étant donné que nous ne disposons pas de statistiques suffisamment précises à ce sujet.
Les diagnostics de toxicodépendance sont prédominants, six femmes ont pu s'abstenir grâce au cadre, les autres ont bénéficié de substitution (tableaux 4 et 5).
Les troubles de la personnalité et du comportement sont également fréquents, souvent sous forme de comorbidité avec les abus de substances (tableau 6).
Comme évoqué plus haut les troubles liés à des facteurs de stress et les troubles somatoformes sont des symptômes pour exprimer une souffrance ou une crise psychique (tableau 7).
De façon étonnante, on ne retrouve que quatre états dépressifs avérés, avec surtout des troubles anxieux et des troubles de l'adaptation s'inscrivant dans un contexte de type réactionnel. Ici l'image d'Epinal de la femme détenue, chroniquement déprimée, ne se trouve pas confirmée.
De même le nombre de troubles schizophréniques reste modéré en ce qui concerne les femmes avec peu de manifestations florides. Cela est probablement lié au fait que les femmes souffrant de ce type de troubles semblent avoir une moindre propension que les hommes à commettre des actes délictueux graves et agressifs, ce qui certainement leur évite l'incarcération au profit d'une hospitalisation (tableau 8).
Ces femmes peuvent se retrouver en prison pour des délits comme un incendie intentionnel ou d'autres liés à une toxicomanie. En 1999, une seule de ces patientes était incarcérée pour des actes agressifs. On trouve des proportions tout à fait inverses pour les hommes schizophrènes, souvent violents.
La population féminine incarcérée est essentiellement d'âge jeune à moyen, d'origine étrangère majoritairement, généralement incarcérée pour des délits ayant trait à des conduites de dépendance.
La consultation somatique se trouve le plus souvent confrontée à des troubles somatoformes liés à la toxicodépendance, avec de graves altérations de l'état général.
La consultation psychiatrique fait état principalement de comorbités liant troubles de la personnalité et troubles de toxicodépendance.
Cette constatation se retrouve au niveau gynécologique, qui fait état d'un état de santé globalement plus altéré qu'en cabinet privé.
L'incarcération est fréquemment un mode d'accès aux soins pour des femmes dont la désinsertion ou la marginalité a limité leur accès aux soins ambulatoires.
Le moment de l'incarcération apparaît essentiel, non seulement comme instant privilégié d'investigation et de restauration de l'état de santé des personnes, mais aussi pour que puisse prendre place de manière efficace un travail de prévention établi en collaboration étroite avec les différents acteurs du réseau de santé vaudois.
Ce travail confirme que tous les travaux épidémiologiques qui persistent à considérer ensemble les hommes et les femmes, excepté pour le système reproductif, ne rendent pas compte des biais que cela peut entraîner. Sur le plan communautaire, et dans ce sens la prison est un révélateur social, cela limite l'efficacité des services tant sur le plan curatif que préventif. Pour nous cela nous encourage tout spécialement à veiller à l'état émotionnel des femmes incarcérées.