Des actes de bioterrorisme feront très probablement partie de notre avenir. La meilleure défense contre le bioterrorisme est une connaissance des germes et syndromes les plus souvent impliqués, permettant un diagnostic et une réponse rapides des médecins et autorités sanitaires. Cet article passe en revue les caractéristiques et dangers des germes les plus impliqués dans ce contexte : l'anthrax, la variole, la peste, la toxine botulinique et la tularémie.
Un acte bioterroriste bien préparé, sans causer aucun dégât matériel, peut potentiellement occasionner un désastre humanitaire avec une mortalité et une morbidité très élevées. Il peut également causer des dégâts psychologiques, effrayant des populations entières. Ceci a été le cas pour l'anthrax aux Etats-Unis : malgré le faible nombre relatif de patients infectés et colonisés, les médias ont été submergés et le système postal américain a failli être paralysé.
Des actes de bioterrorisme feront probablement (et malheureusement) partie de notre avenir. La meilleure défense contre le terrorisme biologique est une connaissance du dossier associée à un état d'alerte et de vigilance. Le corps médical doit se préparer à reconnaître et à absorber de telles catastrophes. Les réseaux de santé publique et les hôpitaux doivent avoir des moyens de diagnostic microbiologique rapide afin de traiter et d'instaurer les mesures de protection appropriées. Dans cet article ainsi que dans des symposiums aux praticiens consacrés à ce sujet que nous ferons à Genève, nous présenterons les éléments de base que tout médecin praticien doit savoir pour reconnaître et réagir face à un attentat de bioterrorisme.
Le Bacillus anthracis, organisme qui cause l'anthrax, trouve l'origine de son nom dans le mot grec pour le charbon «anthracis» en raison de sa capacité à causer des lésions de type escarres noires. L'infection à anthrax est une maladie qui s'acquiert suite à un contact avec des animaux infectés, des produits animaux contaminés ou suite à la diffusion intentionnelle de spores comme arme biologique. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l'anthrax a été développé comme arme biologique par plusieurs pays, y compris l'Union soviétique et les Etats-Unis. Actuellement, on pense qu'il y a plus de 17 pays qui ont des programmes biologiques et la plupart d'entre eux doivent être en train de travailler avec l'anthrax.
Avec des conditions météorologiques appropriées (temps, vents), 50 kilos de spores d'anthrax lâchés depuis un avion sur une ligne de deux kilomètres pourraient créer un nuage toxique qui pourrait s'étendre sur 20 kilomètres. Ce nuage d'aérosols n'aurait ni couleur ni odeur et il serait invisible. Il pourrait entrer dans les maisons étant donné la taille très petite des spores. Une analyse effectuée en 1970 concluait que si on lâchait un nuage d'anthrax dans une ville de 5 millions d'habitants, ceci pourrait conduire à 250 000 malades graves, parmi lesquels 100 000 pourraient décéder. Il n'existe actuellement aucun système d'alarme atmosphérique capable de détecter un aérosol d'anthrax. Le premier signe de l'attaque bioterroriste serait probablement des patients qui se présenteraient avec des symptômes d'inhalation d'anthrax. Une analyse plus récente de l'Office technologique du Congrès américain a estimé que si on lâche 100 kilos d'anthrax sur Washington DC, on pourrait avoir 130 000 à 3 millions de morts, ce qui représente une létalité similaire à une bombe à hydrogène. Un des problèmes majeurs avec les spores d'anthrax est que la période d'incubation est très longue. L'exposition à un aérosol d'anthrax pourrait causer des symptômes deux jours après l'exposition. Néanmoins, il est bien documenté que des cas peuvent se développer même six à huit semaines après exposition. Initialement, la présentation de l'anthrax pourra être anodine, car les patients se présenteront avec une fièvre ou une toux. Néanmoins, un à sept jours plus tard la majorité d'entre eux seront morts. Si le traitement antibiotique approprié n'a pas été commencé avant ou rapidement après l'apparition des symptômes, la mortalité est estimée à > 80%. Récemment, des tests de détection rapide et faciles d'accès de l'infection à l'anthrax ont été développés en utilisant la technique par PCR. La chimioprophylaxie à la ciprofloxacine ou à la tétracycline doit être utilisée en cas de connaissance d'exposition au Bacillus anthracis. L'armée américaine a développé un vaccin pour l'anthrax qui permet une protection satisfaisante, mais les stocks de vaccins sont limités et sont utilisés seulement à des fins de protection des militaires, car il n'y en a pas assez pour les populations civiles. De nouveaux types de vaccins sont en train d'être développés.
La variole représente actuellement la menace la plus sérieuse et la plus grave d'un attentat bioterroriste. Dans le passé et au cours des derniers siècles, la variole naturelle, avec une mortalité d'environ 30% ou plus et sa capacité de se développer et de se répandre dans n'importe quels climat et saison a toujours été crainte comme la maladie infectieuse la plus dévastatrice. Une vaccination universelle ainsi qu'une stratégie conduite par l'OMS a permis son éradication en 1980. Cette même année, le gouvernement soviétique a mis en route un programme secret pour cultiver le virus de la variole en grande quantité pour une utilisation dans des bombes et des missiles balistiques intercontinentaux. Cette initiative a réussi et la Russie possède actuellement des facilités industrielles capables de produire des tonnes de virus de la variole par année et elle a un programme de recherche capable de produire des souches plus virulentes et plus contagieuses.
Le virus de la variole est très stable en aérosol et sa dose infectante est très faible. Cinquante à 100 cas pourraient générer une panique extrême et nécessiter des mesures d'urgence au niveau national dans le pays infecté. Plusieurs facteurs justifient cette inquiétude : la maladie a toujours été crainte comme l'une des plus sérieuses et infectieuses, elle défigure les personnes touchées et son taux de mortalité est d'environ (>) 30%. Elle se transmet d'une personne à l'autre relativement facilement. Très peu de personnes dans le monde ont été vaccinées au cours des 25 dernières années. La variole se propage directement d'une personne à l'autre par des gouttelettes à partir de l'oropharynx de la personne infectée ou par aérosol. L'infection naturelle a lieu après l'implantation du virus dans la sphère oropharyngée ou dans les muqueuses respiratoires. Des habits ou draps contaminés peuvent aussi propager le virus. Ainsi, la stérilisation nécessite-t-elle un passage par un autoclave et des désinfectants comme l'hypochlorite ou l'ammoniaque quaternaire sont nécessaires pour laver les surfaces contaminées. La période d'incubation est d'environ 12 à 14 jours. Les patients se présentent avec un état hautement fébrile, prostration, céphalées et douleurs dorsales ou abdominales. Une éruption maculo-papulaire apparaît initialement dans la bouche et le pharynx, visage et bras avec propagation au tronc et jambes. En deux jours, cette éruption devient vésiculaire et pustuleuse. Les pustules sont rondes, tendues et très profondes. Les croûtes commencent à apparaître vers le 8e ou le 9e jour et sont souvent suivies de cicatrices. Les stocks actuels de vaccins de variole sont insuffisants en général dans le monde (
La peste est causée par la bactérie Yersinia pestis et elle a eu un impact profond dans l'histoire humaine. Plusieurs épidémies sont rapportées dans l'histoire. En 1346, la deuxième pandémie de peste, également dénommée «la mort noire» ou la «grande pestilence», s'est propagée à travers le Moyen-Orient et a tué plus de 13 millions de personnes en Chine et 20 à 30 millions de personnes en Europe (environ un tiers de la population européenne). L'amélioration des conditions de vie rend les épidémies de peste peu probables actuellement, mais une poussée de peste suite à un attentat bioterroriste est une possibilité sérieuse. Une mini-épidémie aux Indes, en 1994, a provoqué une immense panique parmi la population, avec des migrations de populations très importantes.
Dans les années 50 et 60, les Etats-Unis et l'Union soviétique ont développé des techniques pour la diffusion des particules d'aérosols de peste, une technique qui génère des lésions pulmonaires, une forme hautement létale de la maladie. Les Yersinia pestis peuvent se trouver facilement dans des collections de souches de laboratoires de bactériologie à travers le monde et les techniques pour les cultiver et les distribuer sous forme d'aérosols ont été développées. Le haut taux de mortalité de la peste et son potentiel de dissémination secondaire sont des raisons d'être inquiet d'une attaque biologique avec la peste. Un groupe de cas initiaux pourrait apparaître après un à deux jours suivant l'aérosol, avec beaucoup de personnes décédant rapidement après le début des symptômes. L'expérience humaine suggère que la période d'incubation est d'un à six jours. Il n'y a pas moyen de détecter un nuage d'aérosol de peste, les premiers signes d'une attaque bioterroriste seraient une multitude de patients se présentant avec des symptômes sévères. Il existe un vaccin, mais qui n'est actuellement pas optimal. La seule façon actuellement de se prémunir efficacement est une prophylaxie antibiotique qui devrait se poursuivre au moins pendant sept jours après l'exposition, ainsi que l'utilisation d'un masque lorsqu'on examine un patient avec une infection pulmonaire.
La toxine botulinique est une menace importante étant donné sa puissance extrême et sa létalité. Il est facile de la produire, de la transporter et de l'utiliser d'une manière non appropriée. La majorité des personnes infectées ont besoin d'un traitement aux soins intensifs. La toxine botulinique a été développée à partir de la bactérie anaérobie Clostridia. Il y a sept types antigéniques de toxines botuliniques (A à G). La toxine botulinique est en circulation à la surface des muqueuses intestinales ou pulmonaires et elle ne pénètre pas la peau intacte. La toxine botulinique se lie de manière irréversible à des synapses cholinergiques périphériques prévenant le relâchement de certaines cholines à partir d'autres neurones. Ceci mène à une paralysie musculaire nécessitant, dans les cas sévères, une respiration mécanique. La période d'incubation du botulisme digestif est de deux heures à huit jours après ingestion. Les patients avec botulisme se présentent avec des difficultés à parler, à boire ou à avaler. L'atteinte neurologique principale chez la plupart des patients avec botulisme inclut une ptose, une diplopie, une vision trouble, une dysarthrie, une dysphagie. Les patients sont afébriles et ne présentent pas d'altération de l'état de conscience. La récupération de la paralysie peut prendre plusieurs semaines à plusieurs mois, car elle demande une recroissance des terminaisons neuronales motrices. Régulièrement, on voit de petites épidémies de botulisme par contamination de la nourriture. Une température supérieure à 85o inactive la toxine. Le botulisme ne peut pas se propager par l'eau, car elle se dilue facilement. Le test standard pour la détection de la toxine est un bioassay chez la souris, mais malheureusement ce test prend du temps pour être réalisé. Une toxine antibotulinique peut être utilisée, mais le traitement le plus important est un traitement de soutien.
Le Francisella tularensis est l'organisme qui cause la tularémie, une des infections les plus pathogéniques connues exigeant l'inoculation et l'inhalation de moins de dix organismes pour causer la maladie. Son extrême pouvoir infectieux, la facilité de le disséminer et sa capacité à produire des maladies sévères à mortelles ont motivé son développement dans des programmes d'armement biologique. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, cette infection a été bien étudiée par les Japonais, ainsi qu'aux Etats-Unis et par les alliés. A la fin des années soixante, des stocks de tularémie ont été détruits aux Etats-Unis et plus tard en Union soviétique. Le Francisella tularensis est un microorganisme qui ne fait pas de spore, mais peut survivre pendant des semaines à basse température dans l'eau ou dans des carcasses animales. La tularémie est actuellement surtout une zoonose. Le réservoir animal naturel se trouve au niveau des petits mammifères comme les souris, lapins, écureuils et autres. L'infection naturelle se produit par la morsure d'anthropodes infectés ou par la manipulation d'un animal infecté ou ses restes, ainsi que par l'ingestion d'eau contaminée ou de la nourriture contaminée. Elle peut s'attraper facilement dans un laboratoire de microbiologie, mais la transmission d'homme à homme n'est pas bien documentée. La tularémie au niveau rural se présente sous une forme ulcéro-glandulaire, glandulaire, oculo-glandulaire, oropharyngée, pneumonique ou septicémique.
* La première partie de cet article a été publiée dans Médecine et Hygiène,
No 2369 du 21 novembre 2001, p. 2283.