Le traitement des leucémies aiguës a progressé de manière importante au cours des dernières décennies grâce à l'amélioration des traitements chimiothérapeutiques, des techniques de greffe de cellules souches hématopoïétiques, et des traitements de support (soutien transfusionnel, médicaments anti-infectieux, etc.). Les progrès les plus marqués ont néanmoins été observés au niveau des techniques diagnostiques (cytogénétique et biologie moléculaire). Elles permettent d'affiner le diagnostic des leucémies aiguës, de mettre en évidence des facteurs pronostiques (risque de récidive), et de traiter les patients avec des schémas thérapeutiques spécifiques adaptés au risque. Cet article résume les principales caractéristiques des leucémies myéloïde et lymphoïde aiguës, et les schémas thérapeutiques à visée curative proposés aux patients en fonction du risque. Les options thérapeutiques palliatives ambulatoires sont également discutées.
Le traitement des leucémies aiguës a progressé au cours des dernières décennies, et a permis d'améliorer les taux de rémission complète de manière importante. Un patient présentant actuellement une leucémie avec facteurs pronostiques favorables a en effet plus de 70% de chances de survie à cinq ans, contre moins de 10% dans les années 60.1 Ces progrès ont eu lieu principalement sur trois fronts : premièrement, une amélioration des connaissances concernant les substances cytostatiques (chimiothérapie), permettant d'optimaliser leur dosage et leur association. Deuxièmement, une amélioration des techniques de greffe de moelle osseuse ou de cellules souches périphériques, permettant de diminuer la morbidité et la mortalité des greffes d'une part et d'élargir le groupe de patients auxquels ce type de traitement peut être proposé d'autre part (en augmentant l'âge limite supérieur, par exemple). Enfin, une amélioration des techniques diagnostiques et la mise en évidence de facteurs pronostiques ont permis de sélectionner des groupes de patients et de leur administrer des schémas thérapeutiques spécifiques adaptés à leur risque de récidive.
L'amélioration des techniques diagnostiques représente certainement le principal progrès accompli à ce jour. En effet, trois catégories de risques distinctes ont pu être mises en évidence pour les leucémies myéloïdes aiguës (LMA) (tableau 1) et pour les leucémies lymphoïdes aiguës (LLA) (tableau 2). Ces catégories, établies en fonction de divers facteurs pronostiques, sont discutées dans un autre article de ce numéro. La prédiction du risque de récidive est très importante, car elle permet de traiter les patients avec des schémas thérapeutiques adaptés au risque : les patients présentant un risque faible (avec une chance de survie à cinq ans de 60-70% (tableau 3) sont traités avec des schémas chimiothérapeutiques classiques (voir ci-dessous) dont les effets secondaires sont modérés. Les traitements plus lourds (chimiothérapie à haute dose, greffe de cellules souches hématopoïétiques) sont réservés aux patients présentant des risques de récidive intermédiaires ou élevés.
La toxicité et les effets secondaires de la chimiothérapie comptent parmi les points négatifs du traitement de la leucémie aiguë, et des efforts constants sont entrepris pour développer des approches thérapeutiques moins toxiques.
Les leucémies de l'enfant (en particulier la LLA) ont un meilleur pronostic que les leucémies de l'adulte, et sont traitées par des schémas thérapeutiques différents. Nous ne traiterons dans cet article que des leucémies de l'adulte.
La leucémie myéloïde aiguë est une expansion clonale de blastes issus de la lignée myéloïde et touche environ trois adultes sur 100 000/année.2 Son incidence est donc d'environ 210 nouveaux cas/année en Suisse. L'incidence augmente avec l'âge et les patients âgés représentent environ 75% du collectif. Les facteurs étiologiques connus sont les radiations ionisantes, les chimiothérapies cytotoxiques (leucémies secondaires), le benzène et certains virus, mais dans la plus grande majorité des cas, pour un patient donné, il reste impossible de lier avec certitude la survenue d'une LMA avec l'un des facteurs étiologiques cités précédemment.
Le traitement dépend du type de la leucémie (promyélocytaire ou autre), des facteurs pronostiques (tableau 1) et de l'âge du patient. Les taux de survie à cinq ans sont très variables et sont résumés dans le tableau 3. Un âge supérieur à 60-65 ans représente un facteur pronostique très défavorable.3
On peut diviser le traitement des leucémies en deux groupes principaux, qui sont les traitements à visée curative et les traitements palliatifs.
Introduction
Un traitement à visée curative ne s'obtient qu'au prix de plusieurs cycles de chimiothérapie aplasiante. Le principe de la chimiothérapie aplasiante est l'administration de la dose maximale tolérable d'une combinaison de cytostatiques, dans le but d'éliminer la population de blastes leucémiques contenue dans la moelle osseuse et éventuellement dans d'autres tissus ou organes du patient. Le principal effet secondaire de la chimiothérapie aplasiante est, comme son nom l'indique, l'aplasie médullaire, ou une pancytopénie passagère et réversible, mais profonde, due à la toxicité des cytostatiques sur les cellules hématopoïétiques saines. Pendant la période d'aplasie, le patient est soutenu par des transfusions d'érythrocytes pour prévenir les complications dues à l'anémie, et des transfusions de plaquettes pour prévenir les complications hémorragiques. Du G-CSF (granulocyte-colony-stimulating-factor) peut être administré pour réduire la période de granulopénie (mais sans impact démontré sur la durée d'hospitalisation et sur la survie).
Pour permettre une éradication de tous les clones leucémiques il faut en général trois cycles de chimiothérapie aplasiante administrés à des intervalles les plus courts possibles : un premier cycle d'induction pour atteindre une rémission de la leucémie, suivi de deux cycles de consolidation (chimiothérapie conventionnelle ou chimiothérapie à haute dose, avec ou sans greffe de cellules souches autologues). Il faut compter en moyenne deux à trois semaines d'aplasie par cycle et une à deux semaines de récupération entre les cycles. La durée totale du traitement est d'environ trois à quatre mois. Dans certains cas (groupes à risque intermédiaire et élevé, présence de donneur de cellules souches apparenté, voir ci-dessous) une greffe de cellules souches hématopoïétiques allogénique est indiquée.4 La greffe de cellules souches allogénique présente un taux de mortalité lié au traitement non négligeable, et n'est indiquée que chez les patients dont le risque de récidive est supérieur au risque de mortalité lié à la greffe. Chez les patients présentant des risques de récidive élevés, la greffe allogénique représente un bénéfice certain sur le plan de la survie à cinq ans (tableau 3).
En raison d'un taux de récidive élevé (20 et 80% selon le groupe à risque) malgré l'application d'un traitement optimal, l'inclusion dans un protocole d'étude est proposée aux patients, dans le but d'analyser les résultats des différentes approches thérapeutiques, et d'améliorer les traitements futurs (en exemple, le protocole HOVON/SAKK, discuté ci-dessous).5,6
Le traitement de la leucémie myéloïde aiguë à visée curative est éprouvant, grevé de nombreux effets secondaires, s'administre en milieu hospitalier spécialisé, et ne s'adresse qu'à des patients dont l'état général est suffisant pour le supporter. Il n'existe pas de règle générale concernant l'âge supérieur limite auquel un traitement à visée curative peut ou doit être administré à un patient, mais le nombre et la gravité des effets secondaires liés au traitement croît avec l'âge. Le taux de mortalité lié au traitement n'est pas négligeable et le choix du traitement le mieux adapté à la personne âgée est l'un des plus grands dilemmes de l'hématologue. L'indication à procéder à un traitement curatif ou palliatif doit être posée de cas en cas, et les avantages et désavantages respectifs des deux types de traitement discutés en détail avec le patient.
Outre leurs effets sur l'hématopoïèse, les cytostatiques agissent sur toutes les cellules qui se renouvellent rapidement et induisent la chute des cheveux (action sur les follicules pileux), et des effets secondaires gastro-intestinaux (mucosite, nausées, vomissements, diarrhées) en raison de leur action sur les muqueuses. L'apparition de fièvre pendant la durée d'aplasie est fréquente et doit être traitée sans délai par une antibiothérapie à large spectre. Des surinfections fongiques ou virales peuvent survenir. La mortalité observée en cours de traitement peut être causée par une résistance au traitement (leucémie réfractaire), par la toxicité directe des cytostatiques, et par des complications hémorragiques ou infectieuses secondaires non maîtrisables. Une fois la phase de chimiothérapie terminée, la cause de mortalité la plus fréquente est la récidive leucémique. La stérilité est un effet secondaire à long terme fréquent, la survenue de tumeurs secondaires (induites par le traitement) est plus rare.
En Suisse, le procédé standard pour le traitement des leucémies myéloïdes aiguës est l'inclusion dans le protocole européen HOVON/ SAKK AML-425,6 (fig. 1). Cette étude multicentrique prospective de phase III compare une chimiothérapie comprenant de hautes doses de cytarabine (Ara-C) lors des deux premiers cycles (première randomisation), et le remplacement du troisième cycle de chimiothérapie par une greffe de cellules souches autologues (deuxième randomisation), au traitement chimiothérapeutique classique. Une greffe de cellules souches hématopoïétiques allogénique est pratiquée chez les patients présentant un risque de récidive élevé, chez les patients présentant un risque de récidive intermédiaire qui disposent d'un donneur apparenté, et chez les patients qui n'ont pas atteint une rémission complète après le deuxième cycle. Comme aucune des approches thérapeutiques comparées dans l'étude n'a montré de supériorité par rapport aux autres à ce jour, il est justifié sur le plan éthique de proposer cette étude à chaque nouveau patient remplissant les critères d'inclusion du protocole. Selon des études préliminaires, les taux de survie à cinq ans varient entre 70% pour le groupe à risque faible et moins de 25% pour le groupe à risque élevé. Des protocoles spéciaux existent pour les patients âgés (HOVON 43).5,6
La leucémie promyélocytaire (ou LMA M3 selon la classification FAB (French-American-British)) représente un cas à part dans le groupe des leucémies myéloïdes aiguës de par son pronostic et son traitement. Initialement caractérisée par un taux de mortalité élevé au cours du traitement d'induction en raison de complications hémorragiques (dues à une activation de la coagulation sanguine par les granules contenus dans les promyélocytes blastiques), le pronostic de cette leucémie s'est amélioré de manière spectaculaire avec l'introduction d'un traitement spécifique à l'acide tout-trans rétinoïque (trétinoïne ou ATRA). Cette molécule permet en effet la maturation des blastes promyélocytaires et leur différenciation, évite leur lyse, et ainsi la libération des granules responsables des complications hémorragiques. L'ATRA doit être administré le plus rapidement possible, d'où l'importance d'un diagnostic rapide et fiable. La détection de la translocation 15;17 (t(15;17) ou fusion PML-RARa) par PCR (polymerase chain reaction) est pathognomonique de la LMA M3, et confirme le diagnostic. Comme la morphologie et l'immunocytochimie sont parfois équivoques, la détection de la translocation 15;17 à l'aide de la PCR devrait être pratiquée immédiatement dans tous les cas de suspicion de LMA M3, en raison des conséquences thérapeutiques immédiates que ce diagnostic implique (ATRA). Une chimiothérapie classique est effectuée parallèlement au traitement d'ATRA, et les taux de rémission observés chez les patients atteints de LMA promyélocytaires sont supérieurs (environ 80% de survie à cinq ans) à ceux observés dans les autres leucémies.7
Chez les patients âgés, qui ne peuvent/ou ne veulent pas être inclus dans un protocole de chimiothérapie aplasiante, et chez les patients plus jeunes pour lesquels un traitement aplasiant n'entre pas en ligne de compte, un traitement cytostatique ambulatoire à visée palliative peut être proposé (hydroxyurée, Ara-C, mitoxantrone, idarubicine, etc.). Dans la plupart des cas, la leucémie répond bien au traitement dans sa phase initiale, accordant une qualité de vie acceptable au patient pour une durée de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Un soutien transfusionnel, si nécessaire, peut également être assuré de manière ambulatoire. Comme il n'existe pas de schéma palliatif standard, que les dosages doivent être adaptés à chaque patient, et qu'il est souvent nécessaire de changer plusieurs fois de cytostatique pour éviter les résistances, nous ne citerons pas de schéma thérapeutique de référence dans cet article. L'hématologue en charge du patient choisira de cas en cas le ou les cytostatiques les mieux adaptés à la situation.8,9 Il nous semble important de souligner ici, que pour certains patients âgés, il est plus judicieux d'appliquer un traitement à visée palliative, bien supporté, avec des effets secondaires négligeables et qui peut assurer une bonne qualité de vie à domicile pendant plusieurs mois, que de vouloir administrer un traitement à visée curative en milieu hospitalier «à tout prix», en sous-estimant le risque de morbidité et de mortalité de la chimiothérapie aplasiante sur un organisme âgé, et le pronostic général très défavorable de ce groupe de patients (survie à cinq ans 2-34%, tableau 3). L'avis du patient, et la connaissance de son mode de vie sont très importants pour guider le choix thérapeutique. Le rôle du médecin praticien est également très important pour mener à bien un traitement cytostatique ambulatoire.
La leucémie lymphoïde aiguë (LLA) est la leucémie la plus fréquente de l'enfant. Elle est plus rare chez l'adulte, et représente environ 20% des leucémies aiguës. Environ 75% des LLA sont issues de lymphoblastes B contre 25% de lymphoblastes T. L'étiologie est inconnue. L'invasion de tissus extramédullaires comme le système nerveux central, les ganglions lymphatiques, la rate, et les gonades, est fréquente. Le pronostic de la LLA est moins favorable que celui de la LMA, et le taux de survie à cinq ans varie entre 20 et 50% (tableau 3).10,11
Le traitement est, dans les grandes lignes, semblable à celui de la LMA, et comporte également plusieurs cycles de chimiothérapie aplasiante. Les blastes d'origine lymphoïde sont particulièrement sensibles à l'anthracycline, à la vincristine et aux stéroïdes qui sont contenus dans les schémas thérapeutiques classiques. Le cyclophosphamide et l'asparaginase sont souvent ajoutés aux substances précitées. En outre, en raison d'une affinité particulière des blastes lymphoïdes pour le système nerveux central, un traitement de chimiothérapie intrathécal prophylactique doit être pratiqué. Un traitement d'entretien ambulatoire (faiblement dosé et bien supporté) est également administré pendant les deux ans qui suivent la chimiothérapie initiale. Des facteurs de risque ont été identifiés, et trois groupes (risque faible, standard ou élevé) ont pu être définis (tableau 2).12,13
Ils sont comparables aux effets secondaires observés dans les traitements aplasiants de la LMA.
En Suisse jusqu'au début de cette année, chaque nouveau patient présentant une LLA s'est vu proposer l'inclusion dans l'étude multicentrique prospective du groupe français LALA94/SAKK.6 Le premier objectif était de comparer deux types de traitement d'induction dans le but d'améliorer le taux de rémissions complètes au jour 28. Le second objectif était d'améliorer le traitement de consolidation : a) en comparant une nouvelle approche chimiothérapeutique au traitement classique chez les patients présentant un risque standard ; b) en comparant la greffe autologue, allogénique et la chimiothérapie chez les patients présentant un risque élevé et c) en intensifiant le traitement chez les patients présentant le chromosome de Philadelphie (translocation t(9 ;22) ou fusion BCR/ABL) dont le pronostic est particulièrement défavorable (tableau 3). Le recrutement prévu par l'étude est terminé, et l'analyse de résultats est attendue pour orienter les décisions thérapeutiques futures.
Comme pour la LMA, un traitement palliatif est proposé aux patients pour lesquels une chimiothérapie aplasiante n'est pas praticable. Le choix des cytostatiques se portera plus particulièrement sur les substances actives, sur les blastes lymphoïdes, comme les stéroïdes par exemple.
Malgré les progrès accomplis au cours des dernières années concernant le traitement des leucémies, les modalités thérapeutiques actuelles demeurent lourdes. Elles sont grevées de nombreux effets secondaires, et d'un taux de récidive élevé. La participation à des études prospectives randomisées multicentriques est très importante, car l'allocation de chaque patient à un type de traitement codifié permet une analyse des données utile pour le futur, et une amélioration constante des connaissances et des approches thérapeutiques. On retiendra que l'identification de facteurs pronostiques au moment du diagnostic de LMA et de LLA permet d'orienter les patients vers des schémas thérapeutiques spécifiques qui leur assurent le taux de rémission complète le plus élevé possible tout en leur évitant les effets secondaires associés à une intensification inutile. Les perspectives d'avenir se dessinent en direction de l'administration de traitements encore plus ciblés pour chaque type de leucémie (traitement adapté au risque). De nouvelles approches thérapeutiques spécifiques (comme l'immunothérapie qui est traitée dans un autre article de ce numéro) sont très attendues.
Enfin, le développement des traitements chimiothérapeutiques palliatifs, et des traitements de soutien (transfusions, antibiothérapie) ambulatoires permet d'assurer une qualité de vie certaine au nombre croissant de patients âgés chez qui un traitement aplasiant n'est pas applicable.