La transplantation de cellules souches hématopoïétiques est le traitement curatif accepté de nombre d'hémopathies malignes. Le mécanisme de la guérison est basé sur le traitement préalable à la greffe (chimiothérapie et radiothérapie corporelle totale) mais aussi, et de façon prédominante, sur un effet de «greffe contre leucémie» médié par les lymphocytes du donneur. Cet effet est souvent, mais pas obligatoirement, associé à une maladie «greffe contre hôte», aiguë ou chronique. En cas de récidive après transplantation, une nouvelle rémission/guérison peut être obtenue par infusion de lymphocytes du donneur, dans le but de renforcer ou de provoquer l'effet «greffe contre leucémie». Les implications de ces observations sont considérables et portent sur la définition des cellules effectrices et des antigènes reconnus, ouvrant la voie à des traitements moins toxiques et applicables en situation autologue pure.
Il est établi que le traitement hyperintense précédant une transplantation de cellules souches hématopoïétiques n'est pas responsable à lui seul de la guérison du patient. En effet, la littérature se rapportant à ce type de traitement indique que les patients développant une maladie «greffe contre hôte» (GVH) courent un moindre risque de rechute ;1 cette maladie est une réaction des cellules immunocompétentes du donneur, qui reconnaissent des différences d'histocompatibilité sur les tissus du patient et tentent de les éliminer, en somme une sorte de rejet à l'envers. Ces évidences indirectes d'un effet «greffe contre leucémie» (GVL) ont suscité l'utilisation de lymphocytes du donneur pour le traitement de patients en récidive de leur leucémie, quelques mois ou quelques années après la transplantation. Les pionniers de cette méthode dite «immunothérapie adoptive par transfusion de lymphocytes du donneur» sont, d'une part, S. Slavin en Israël et, d'autre part, H.-J. Kolb2 en Allemagne. Dans l'article princeps publié par H.-J. Kolb, trois patients, en récidive après une transplantation de moelle osseuse allogénique pour leucémie myéloïde chronique, sont entrés en rémission complète après la seule infusion de lymphocytes de leur ancien donneur. Ce faisant, on profite d'une situation exceptionnelle établie par la transplantation préalable : le patient est tolérant aux cellules du donneur (incapable de les rejeter) et celles-ci ont donc le champ libre pour déployer leur activité, sans aucune restriction de la part de l'hôte.
Il s'agit, en résumé, de la démonstration directe d'un effet immunologique de «greffe contre leucémie», qui assoit sans conteste la réalité du concept d'immunothérapie cellulaire adoptive. Comme nous le verrons plus bas, cette constatation est à l'origine des nouveaux modes de transplantation développés actuellement, dits «transplantation à conditionnement réduit», transplantation dans laquelle l'effet antitumoral n'est plus basé sur le traitement du patient (chimiothérapie, radiothérapie) mais bien laissé aux cellules du donneur.
Ces résultats ont été revus en 19953 et 1997.4 Depuis lors, les résultats n'ont guère changé. En revanche, des raffinements sont survenus dans un mode opératoire qui, à l'époque, consistait à «inonder» le patient par un fort excès de lymphocytes T du donneur.
L'expérience de ces traitements montre que certaines maladies, en particulier la leucémie myéloïde chronique et peut-être aussi la leucémie lymphatique chronique, sont extrêmement sensibles à l'effet GVL : cette sensibilité est démontrée par l'utilisation de techniques très puissantes de détection d'éventuelles cellules leucémiques résiduelles basées sur l'amplification génomique. Pour ces leucémies, notamment les leucémies myéloïdes chroniques, l'obtention d'une rémission complète prouvée au niveau moléculaire est quasiment la règle, pour autant que l'immunothérapie adoptive soit introduite précocement, avant même le stade d'une récidive cytogénétique. En règle générale, plus l'immunothérapie est introduite tardivement, moins bons seront les résultats.
Les leucémies myéloïdes aiguës, les syndromes myélodysplasiques et les myélomes multiples représentent un groupe d'hémopathies malignes de sensibilité intermédiaire à l'immunothérapie adoptive. Certains patients sont probablement guéris, toutefois avec une fréquence moindre que pour les leucémies chroniques, et la tendance à récidiver après une réponse initiale à l'infusion de lymphocytes du donneur est plus marquée.
Bien que les leucémies lymphoblastiques soient moins sensibles à l'immunothérapie adoptive, des résultats ont été obtenus en renforçant l'effet recherché par administration d'interleukine 2.
L'observation de rémissions complètes, par la seule infusion de cellules immunocompétentes du donneur et en situation HLA identique (situation dans laquelle est actuellement réalisée la majorité des transplantations allogéniques de cellules souches hématopoïétiques), est un phénomène fascinant, presque magique, pour le clinicien qui l'observe. Beaucoup plus que cela encore, ces observations permettent de poser de multiples questions : quelles sont les sous-populations de lymphocytes T impliquées dans cette réaction, quels sont les antigènes qui en sont la cible ? Les réponses à ces questions sont importantes, en vue d'appliquer ces méthodes en situation autologue (par exemple, après une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques, par vaccination avec des cellules dendritiques autologues pulsées par l'antigène en cause). Cette situation autologue est plus fréquente que les transplantations allogéniques, elles-mêmes limitées dans leur nombre par leur toxicité et la disponibilité d'un donneur.
La situation d'un patient après transplantation de cellules souches hématopoïétiques réunit toutes les conditions voulues pour l'obtention d'une GVH :
1. Les lymphocytes du donneur transfusés sont immunocompétents.
2. Le patient est incapable de les rejeter (après l'allogreffe).
3. Il existe très souvent des différences d'histocompatibilité entre le donneur et le receveur.
Ces différences peuvent résider au sein du système majeur d'histocompatibilité (HLA), si la transplantation n'est pas réalisée à partir d'un frère ou d'une sur HLA-identique (par exemple : transplantation familiale non complètement HLA-identique, donneur de cellules souches hématopoïétiques non apparenté). Il peut s'agir également d'antigènes mineurs d'histocompatibilité qui, en situation d'identité HLA, deviennent alors la cible de la GVH (il s'agit de peptides présentés par le système HLA provenant, par exemple, de protéines intracellulaires avec un polymorphisme allélique et qui sont reconnus comme une différence d'histocompatibilité).
Même si elle a lieu à distance de la greffe, l'infusion de lymphocytes du donneur résulte très souvent en une GVH. Cette maladie peut être bénigne ou grave et a un certain nombre de cibles bien définies, comme les kératinocytes, les cellules des canalicules biliaires, la muqueuse digestive et les poumons, entre autres. Le traitement de cette maladie nécessite une immunosuppression, qui accroît les risques infectieux déjà prédominants chez ces patients. Une GVH sévère peut être mortelle, mais elle est aussi souvent responsable d'une morbidité importante et d'une atteinte sévère à la qualité de vie.
L'observation de patients traités par immunothérapie révèle, cependant, qu'une GVH significative sur le plan clinique n'est ni toujours nécessaire ni toujours suffisante pour obtenir l'effet antitumoral désiré. Certains patients entrent en rémission complète sans aucune manifestation de GVH, d'autres au contraire peuvent présenter cette maladie sans effet antitumoral notoire. Si le temps l'autorise (stade de la récidive, cinétique de croissance de l'hémopathie maligne récidivante), l'utilisation de doses croissantes de lymphocytes T du donneur (par exemple : 5 x 106 lymphocytes T/kg de patient puis, après un intervalle d'observation sans réponse, 1 x 107/kg puis, après le même type de période d'observation, 5 x 107 /kg, etc.) permet d'exploiter une fenêtre d'opportunité, où l'effet antitumoral peut être obtenu sans que se manifeste une GVH cliniquement significative ou observable.5 Même si l'obtention d'une GVH n'est pas forcément nécessaire, pour certaines hémopathies en tout cas, le lien entre cette maladie et l'effet antitumoral semble relativement étroit (myélome multiple, leucémie myéloïde aiguë).
L'observation qu'une GVH n'est pas toujours nécessaire pour obtenir un effet antitumoral est d'une très grande portée, car cela suggère des cibles antigéniques différentes entre tissus sains et tumeur et peut-être aussi des cellules effectrices différentes exploitant des mécanismes alternes de cytotoxicité (dans un système expérimental, l'effet GVL s'appuie sur l'utilisation par les cellules cytotoxiques du système perforine-granzyme, alors que la GVH est basée sur l'engagement du récepteur Fas ou analogues sur la cellule tumorale par les ligants exprimés à la surface du lymphocyte cytotoxique).
Un autre effet secondaire observé en cas d'infusion de lymphocytes du donneur est une pancytopénie, qui est parfois définitive. Cela se produit quand l'hématopoïèse du patient repose sur l'activité de la leucémie, comme dans le cas d'une récidive hématologique d'une leucémie myéloïde chronique. L'éradication immunologique du clone leucémique et les lésions infligées par la récidive aux anciennes cellules souches du donneur peuvent provoquer cette insuffisance médullaire, transitoire ou définitive. Dans ce dernier cas, l'infusion de cellules souches hématopoïétiques peut s'avérer nécessaire. Le corollaire est que l'immunothérapie adoptive doit être introduite le plus tôt possible, alors que l'hématopoïèse est encore largement d'origine du donneur. En cela, les techniques de détection moléculaire des leucémies chroniques et des leucémies aiguës sont extrêmement utiles, permettant d'entreprendre un traitement précoce avec de petites doses de lymphocytes T.
Il s'agit d'une question ambitieuse, qui ne recevra qu'une réponse partielle. Parmi les possibilités évoquées habituellement pour les antigènes de rejet tumoral, on cite l'activation de gènes silencieux (mélanome), l'expression en excès d'antigènes de différenciation (protéinase 3), les antigènes résultant de mutations ou de translocations avec constitution d'un gène de fusion et d'une protéine chimérique qui peut être antigénique, la surexpression génique ou encore, en situation de transplantation de cellules souches hématopoïétiques, le système majeur d'histocompatibilité (HLA) ou les antigènes mineurs d'histocompatibilité (mHA).
Pour les myélomes, par exemple, l'idiotype (partie hypervariable de l'immunoglobuline moulée sur l'épitope antigénique) peut être un antigène de rejet tumoral. En cas de leucémie myéloïde, la protéinase 3,6 contenue dans les granules azurophiles et dégradée dans la cellule en peptide (PR1), peut, présentée par les antigènes HLA, constituer un antigène de rejet. Un autre exemple est celui de la leucémie myéloïde chronique, caractérisée par un échange de matériel chromosomique entre le chromosome 9 et le chromosome 22 : le gène de fusion réalisé sur le chromosome 22 code pour une protéine chimérique qui, après dégradation dans la cellule et présentation par les antigènes majeurs d'histocompatibilité, représente un antigène de rejet tumoral. En cas de disparité HLA entre donneur et receveur (greffe familiale non HLA-identique ou greffe à partir d'un donneur non apparenté), le système HLA sera sans doute la cible principale d'un effet GVL. Dans cette situation, on peut aussi s'attendre à une GVH, puisqu'il n'y a pas d'expression antigénique tumorale prédominante. Finalement, les antigènes mineurs d'histocompatibilité sont une cible pour la GVH, comme pour un effet GVL.7 Les antigènes mineurs d'histocompatibilité sont des protéines présentant un polymorphisme allélique différent entre donneur et receveur; exprimées elles aussi sous forme de peptides au niveau du HLA, elles représentent un antigène d'histocompatibilité. Selon l'expression de cet antigène, qui peut être restreint à certains tissus, différents cas de figure sont possibles : si l'antigène mineur d'histocompatibilité est exprimé aussi bien sur les cellules tumorales que sur les kératinocytes, par exemple, la résultante sera à la fois une GVH et une réaction GVL ; si comme cela est le cas pour certains d'entre eux l'expression est purement hématopoïétique, on n'aura qu'un effet GVL, sans action sur les tissus sains ; le contraire peut être vrai avec une absence d'expression au niveau tumoral et une expression tissulaire, expliquant les situations de GVH sans bénéfice antitumoral.
L'observation directe que la guérison des patients dépend, du moins pour certaines hémopathies, plus de l'action GVL que du traitement de préparation à la greffe (chimiothérapie hyperintense et radiothérapie corporelle totale, par exemple) a fait naître le concept de transplantation de cellules souches hématopoïétiques à conditionnement réduit.8 La philosophie de ce traitement est d'obtenir, dans un premier temps et à moindre frais, l'implantation des cellules souches hématopoïétiques du donneur dans le patient. Cet objectif ne nécessite qu'un traitement immunosuppresseur très peu cytotoxique, pratiquement ambulatoire, pouvant aboutir à trois cas de figure :
1. Un rejet, sans conséquence immédiate puisque le traitement de préparation n'a pas été définitivement myélo-ablatif.
2. Un chimérisme dit mixte, car le tableau observé dans la moelle et le sang périphérique est une coexistence harmonieuse de cellules d'origine du patient et d'origine du donneur.
3. Un chimérisme dit complet, car les cellules détectables dans la moelle osseuse et le sang périphérique sont exclusivement d'origine du donneur.
La condition 2, qui par définition (tolérance réciproque) est dénuée d'un effet GVL, peut être transformée en chimérisme complet en arrêtant l'immunosuppression et, si cela ne suffit pas, en renforçant l'effet «donneur» par des infusions de quantités croissantes de lymphocytes T. Une fois la situation 3 établie, soit immédiatement, soit à la suite des manuvres décrites ci-dessus, une période d'observation s'ensuit, au cours de laquelle on attend soit une GVH, soit un effet GVL, ou les deux. Si rien ne se produit, on recourt de nouveau à l'infusion de lymphocytes T du donneur, de façon à précipiter l'une et l'autre (l'une ou l'autre) de ces réactions.
Ce mode thérapeutique, qui comporte initialement beaucoup moins de morbidité et de mortalité qu'une transplantation avec un conditionnement complet, est l'objet d'une intense activité clinique et scientifique. Toutefois, le problème rencontré universellement est une incidence assez haute de GVH, en particulier chronique.
En cas d'infusion de lymphocytes T du donneur, la GVH demeure une complication cause de mortalité et de morbidité. Il est possible, mais au prix d'installations réunissant les critères de bonnes pratiques de laboratoire, de transfecter les lymphocytes T du donneur avec un gène de suicide, puis de sélectionner les cellules effectivement transfectées. C'est l'exemple de la transfection avec le gène de la thymidine-kinase du virus herpétique :9 les lymphocytes du donneur peuvent être détruits in vivo par l'administration au patient de ganciclovir, dont l'activation par les gènes transfectés aboutira à la mort spécifique des lymphocytes du donneur, s'ils deviennent nocifs. Cette méthode élégante souffre, néanmoins, de quelques aléas, le moindre n'étant pas les structures de laboratoire nécessaires.
Une méthode plus simple est la sélection pour l'immunothérapie adoptive des lymphocytes CD4 du donneur.10 L'efficacité semble la même qu'avec les populations lymphocytaires intactes, alors que les risques de GVH sont réduits. Idéalement, il faudrait pouvoir sélectionner les lymphocytes responsables de l'effet GVL au détriment des lymphocytes médiateurs d'une GVH, dans la mesure où des différences exploitables existent réellement.
A part la sélection des cellules CD4, assez aisément réalisable, la meilleure tactique actuelle est la détection moléculaire d'une récidive et l'introduction donc très précoce de petites quantités de lymphocytes T, quantités croissantes selon la réponse observée.
La transplantation de cellules souches hématopoïétiques, avec conditionnement plein ou conditionnement réduit, et l'infusion de lymphocytes T du donneur sont des exemples typiques de thérapie cellulaire. Les progrès allant de pair, l'indication et le moment de l'application d'une immunothérapie adoptive bénéficient, de façon presque indispensable, de la sensibilité du diagnostic des récidives d'hémopathie maligne par les méthodes de biologie moléculaire. Plus que cela, les essais d'immunothérapie pourraient, dans le futur, permettre de mieux comprendre la nature des cellules effectrices et celle des antigènes tumoraux ciblés. Dans cette optique, d'autres applications «courantes» de l'immunothérapie adoptive sont le traitement chez le patient, par des cellules «éduquées» du donneur, d'infections à cytomégalovirus11 ou de lymphomes postgreffe à virus Epstein-Barr.12 Les lignées de lymphocytes du donneur étant sélectionnées pour leur spécificité envers les antigènes viraux, il n'y a, en principe, pas de risque de générer une GVH. Ces expériences sont un modèle qu'il serait hautement souhaitable de reproduire pour l'immunothérapie des hémopathies malignes.