Ecouter les vrais maîtres ; y a-t-il plus grand plaisir ? Nous poursuivons ici la publication de la magistrale leçon donnée par le Pr François Jacob, Prix Nobel de médecine, lors de la séance inaugurale d'un important colloque franco-britannique consacré aux cellules souches et organisé il y a peu à Paris par l'Académie française des sciences, l'Académie nationale de médecine et son homologue du Royaume-Uni (Médecine et Hygiène du 17 avril 2002).«Tout récemment, nouvelle surprise. Il était admis que les cellules souches présentes dans différents tissus étaient étroitement spécialisées, que les cellules souches du sang ne donnaient que des cellules de sang, que les cellules souches de la peau ne donnaient que de la peau ; que les cellules souches de muscle ne donnaient que du muscle, etc. Brusquement, en 1999, paraît un article intitulé : "Turning brain into blood a hematopoietic fate adopted by adult neural cells in vivo". Les idées étaient tellement arrêtées que l'on crut d'abord à un canular. Mais il fallut bien constater que des cellules souches neurales, extraites d'un cerveau de souris adulte, étaient capables, après culture en milieu adéquat, de produire dans leur descendance des cellules hématopoïétiques. Et, coup sur coup, le même phénomène a été retrouvé avec des cellules de moelle osseuse produisant du foie ou des épithéliums intestinaux ; des cellules de muscle produisant des dérivés hématopoïétiques, etc. Tous ces résultats vont à l'encontre des conclusions tirées, au cours des années, par les embryologistes. Ils montrent que la stabilité des cellules différenciées ne persiste que dans la mesure où ces cellules sont maintenues dans leur espace, dans la niche qu'elles occupent dans l'organisme. Si l'environnement est modifié, cette stabilité n'est plus assurée. C'est aussi ce que l'on observe dans les expériences de transplantation nucléaire : le noyau d'une cellule différenciée placé dans un ovocyte peut être entièrement "reprogrammé" et mettre en route tout le développement d'un embryon».«Beaucoup comptent sur cette reprogrammation de cellules souches adultes spécialisées pour éviter tout recours à l'embryon. Il est encore trop tôt pour en juger. Avec les cellules souches embryonnaires, on pourra très vraisemblablement obtenir toutes les "x pièces de rechange" que souhaite la médecine. On saura probablement bientôt si les cellules souches spécialisées offrent ou non les mêmes possibilités. C'est donc un monde entièrement nouveau, un monde de reconstruction de l'organisme, que proposent à la biologie et à la médecine les cellules souches. Celles-ci ouvrent un accès inédit à l'étude des processus, pour beaucoup encore mystérieux, qui président au développement d'un embryon humain. La fonction des cellules souches de l'embryon consiste à bâtir le nouvel organisme, à le modeler, à le faire se construire. La fonction des cellules souches de l'adulte est de renouveler régulièrement l'organisme, ou certaines de ses parties, et d'en réparer les lésions. En employant ces cellules souches, qu'elles proviennent de l'embryon ou de l'adulte, les biologistes ne font qu'exploiter les propriétés de ces celIules».«Les techniques qui se sont avérées efficaces chez la souris devraient pouvoir s'appliquer presque telles quelles aux cellules humaines. On devrait pouvoir construire une carte détaillant l'expression progressive des gènes qui sont impliqués dans la formation des différents types cellulaires, dans leur survie, leur multiplication, leurs migrations au cours du développement. De même qu'il devrait aussi être possible de repérer et d'analyser certaines malfaçons de ce processus, certains ratés de l'embryogenèse. Et notamment de préciser l'action de certains agents tératogènes et même d'en trouver de nouveaux. On voit l'espoir que soulève l'étude des cellules souches. Mais il faut souligner qu'on n'en est encore qu'au début. Malgré les grands progrès accomplis récemment, nous ne savons encore que peu de choses. Pour pouvoir faire de la médecine, pour traiter ainsi des patients atteints de maladies dégénératives, il faudra encore beaucoup apprendre. II faudra encore réaliser sur ces cellules de nombreuses études de biologie cellulaire et moléculaire. Il faudra savoir ce que signifie "être totipotent" en termes génétiques et moléculaires ; comprendre les groupes de gènes qui sont mis en route ou arrêtés quand une cellule multipotente commence à se différencier ; connaître la séquence de réactions qui, en réponse à un facteur de croissance ou par contact de certains constituants de la membrane cellulaire avec un substrat, déclenche un changement d'activité génétique. Encore faut-il pouvoir faire ces études. En France, l'expérimentation sur des cellules embryonnaires humaines, quelle qu'en soit l'origine reste interdite. Cette situation me rappelle celle provoquée par la dissection de cadavres au XVIe siècle. Car si ces cellules tiennent ce qu'elles paraissent promettre, si elles sont les seules à permettre une thérapeutique de maladies dégénératives variées, une telle interdiction ne pourra évidemment tenir bien longtemps».Quelques jours après la leçon du Pr François Jacob, l'agence de presse Reuters nous apprenait, depuis Washington, qu'une équipe de biologistes et de neurochirurgiens avait obtenu la régression spectaculaire à hauteur «de 80%» des symptômes de la maladie de Parkinson dont souffrait un homme d'une quarantaine d'années. Ils ont disparu deux ans après la transplantation de cellules souches prélevées sur son propre système nerveux central au niveau cortical et mise en culture. «Nous allons certainement avoir besoin de davantage d'études a déclaré à cette occasion le Dr Michel Lévesque, directeur de ce travail mené pour partie au Centre médical Cedars-Sinai de Los Angeles. Il s'agit du premier cas montrant qu'une technique prometteuse peut fonctionner. La procédure est expérimentale et doit être examinée de plus près avant qu'elle ne soit acceptée».Tout est en place. Michel Lévesque et ses collègues ont fondé la société Neurogénération pour développer cette technique et cette société a, d'ores et déjà, été achetée par CelMed, firme californienne filiale du groupe canadien Theratechnologies. Les résultats de l'étude ont été communiqués le lundi 8 avril lors de l'assemblée de l'Association américaine des neurochirurgiens qui se tenait à Chicago. Et bien que cette étude de phase I n'ait été effectuée que sur un patient, Michel Lévesque a dit que la Food and Drug Administration américaine avait donné le feu vert pour lancer la phase II. Attendons, avec vigilance.