«A partir de miel, l'abeille distille un venin pour se défendre, venin dont l'utilisation entraînera sa propre mort».Dag Hammarskjöld, Secrétaire général de l'Organisation des Nations unies de 1953 à 1961Le facteur humain : fatigue et sécuritéIl nous arrive à tous de nous tromper en composant un numéro de téléphone : nous nous en excusons et nous recommençons l'opération. Rien de grave. C'est la même erreur que firent, une nuit de décembre 1995, les pilotes du vol 965 d'American Airlines, alors qu'ils se dirigeaient vers Cali, en Colombie. Ayant introduit une fausse séquence de chiffres dans un ordinateur, ils provoquèrent la mort de 160 personnes, l'avion s'étant écrasé sur le flanc d'une montagne. Et c'est peut-être la même méprise que firent des militaires ukrainiens le 4 octobre 2001, lorsqu'un missile détruisit en vol un Tupolev 154 civil de la compagnie russe Sibir au-dessus de la Mer Noire.«Le facteur humain: sécurité et fatigue» : tel était le titre d'un séminaire sur le risque de guerre nucléaire par erreur, qui s'est tenu l'hiver dernier à Stockholm. Rassemblant notamment des responsables politiques et militaires des Etats-Unis, de Russie, de Grande-Bretagne et de Suède, cette réunion était organisée par des médecins membres de SLMK,1 branche suédoise d'IPPNW2 (International Physicians for the Prevention of Nuclear War ; Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, Prix Nobel de la Paix 1985 ) en collaboration avec le Swedish National Defense College.Lloyd Dumas,3 professeur à l'Université du Texas, étudie depuis de nombreuses années des situations où interviennent des erreurs humaines. En effet, aussi sûres que puissent être les infrastructures, et notamment leurs composantes informatiques, le facteur humain est toujours présent quelque part, et c'est souvent lui qui constitue le maillon faible de la chaîne. En outre, il existe dans tout processus certains moments critiques : lorsque l'avion vole tranquillement à 12 000 mètres au-dessus de l'Atlantique, son pilote peut parfaitement somnoler pendant des heures sans que rien ne se passe, mais l'irruption du moindre problème pourra entraîner une catastrophe. Divers incidents, civils ou militaires, survenus au cours des dernières décennies doivent attirer notre attention sur le risque du déclenchement involontaire d'une guerre nucléaire.4L'erreur humaine connaît plusieurs facteurs de risqueL'ennui et la routineLe gardiennage d'un dépôt d'armes nucléaires, la surveillance d'écrans de radar ainsi que la navigation en sous-marin doivent inéluctablement devenir à la longue des activités très monotones.Dans les années 70, des incendiaires parvinrent à leurs fins dans un bâtiment du dépôt d'armes chimiques de Tooele, aux Etats-Unis, alors que les gardiens tuaient le temps en jouant au poker.En 1977, le pilote du Boeing 747 de KLM qui entra en collision à Tenerife avant l'envol avec un autre jumbo jet avait simplement appliqué sa propre routine : depuis six ans, il avait passé presque tout son temps à instruire des pilotes sur des simulateurs de vol. Par souci d'économie, on y avait pris l'habitude d'omettre la phase d'attente du feu vert de la tour de contrôle. C'est ce qu'il fit à Tenerife : son erreur coûta 577 vies.La prédisposition de l'esprit(the mindset problem)L'attente d'un événement peut nous pousser à croire qu'il s'est produit, en dépit de toute évidence.Le 4 juillet l988, dans le Golfe, le croiseur américain Vincennes se trouvait engagé dans un combat avec des navires iraniens. Lorsque l'équipage vit arriver un avion en provenance de l'Iran, il avait de bonnes raisons de croire un instant à l'attaque d'un F14 ennemi, et il ne disposait que de quelques minutes pour réagir. Deux missiles partirent donc sur ce qui était un Airbus civil iranien, causant la mort de près de trois cents personnes. L'équipage disposait pourtant de toutes les informations nécessaires sur les plans de vols civils, mais il n'avait pas su trouver la référence utile.On ne connaît pas les détails de la destruction, en 1983, d'un Boeing 747 de Korean Air Lines au large du Kamtchatka par la chasse soviétique, qui l'avait pris pour un avion espion, mais l'analogie est frappante.La négligence due à l'habitudeL'expérience et l'habitude d'un métier ou d'une procédure tendent à augmenter la sécurité. Mais elles peuvent aussi engendrer la négligence : la routine peut être traîtresse.Ainsi les ouvriers d'une fabrique de combustible nucléaire située près de Tokyo qui, en 1999, versèrent sept fois la quantité normale d'uranium dans un récipient d'acide nitrique. L'explosion entraîna une augmentation de dix mille fois de la radioactivité ambiante, et trois cent mille personnes reçurent l'ordre de rester chez elles, fenêtres fermées.L'isolementLe manque de contact avec amis et famille ainsi qu'une certaine promiscuité mènent facilement à une augmentation de la territorialité ainsi qu'à un retrait social. Ces types de comportements malsains peuvent influer sur l'appréciation d'une situation critique. Or un certain isolement fait immanquablement partie de la vie des personnes engagées avec des armes nucléaires. Au secret qui entoure leur travail s'ajoute souvent l'éloignement physique de leur environnement social, l'exemple typique étant celui des équipages de sous-marins. La tragédie du Koursk, échoué en Mer de Barents le 12 août 2000, vient immédiatement à l'esprit, mais elle ne constitue que l'un des nombreux accidents survenus au cours des ans à des sous-marins russes ou occidentaux, dont plus d'une trentaine ont été perdus depuis la Seconde Guerre mondiale.L'abus de substancesL'ennui, déjà mentionné, est l'une des causes fréquentes d'abus d'alcool ou de consommation de drogues illégales.Selon des données datant de 1995, près de 16 000 militaires américains en service actif avaient consommé du LSD ou d'autres hallucinogènes au cours de l'année précédente ; près de vingt mille hommes furent définitivement retirés du service des armes nucléaires entre 1975 et 1990 pour abus de drogues (soit plus de 1200 par année), et sept mille pour abus d'alcool (soit plus de 340 par an). Inutile de dire que la situation n'est sans doute guère plus saine dans les autres pays détenant des armes nucléaires.La rupture du rythme circadienTout médecin ayant assuré un service de garde de nuit connaît les effets des longues heures de veille et sait que, dans un moment d'attente, le sommeil viendra le guetter. Or c'est peut-être à cet instant que se produira l'incident nécessitant une réaction immédiate, et en même temps adéquate.Peu de choses doivent être aussi ennuyeuses que la surveillance des écrans radar en attendant les éventuels missiles de l'ennemi. Les participants au séminaire n'en croyaient presque pas leurs oreilles en apprenant par un général russe que certaines personnes y accomplissent des périodes de travail de 24 heures d'affilée ! En cas de fausse alerte, sont-elles capables d'une réaction immédiate et adéquate ? On se souvient de la fusée de recherche norvégienne lancée en janvier 1996 pour étudier une aurore boréale : malgré les avertissements dûment fournis, elle avait déclenché une alerte en Russie.5 La situation avait été rattrapée de justesse ; mais que se serait-il passé si l'équipe de service avait été épuisée, après une trop longue période de travail ?La faillibilité des groupesOn prétend souvent que, la décision de lancer une attaque nucléaire reposant non pas sur un individu, mais sur plusieurs personnes, le risque d'accident s'en trouve réduit. C'est peut être vrai, mais le contraire est tout aussi vraisemblable. En effet, le flux d'informations circulant dans les organisations hiérarchisées dans les armées notamment tend à subir une distorsion en raison de ce que l'on a nommé le «good news syndrome» : plus ou moins inconsciemment, les subordonnés vont facilement omettre certains aspects déplaisants de l'information qu'ils passent vers le haut, phénomène dont l'effet cumulatif à chaque échelon peut mener à une appréciation complètement erronée en haut lieu. Frank Rowsome, expert au Department of Energy des Etats-Unis, commente : «Ceux parmi nous qui aident à couvrir des erreurs sont récompensés, alors que ceux qui les révèlent sont au mieux ignorés, sinon déconsidérés ou même renvoyés en tant que fauteurs de troubles». Or «le fait de maintenir le secret sur les accidents provoque leur répétition», ainsi que le soulignait Alexandre Yemenyalenkov, coordinateur des programmes de la branche russe d'IPPNW.6La cohésion du groupe et le désir commun de la maintenir peut également contribuer à réduire l'esprit critique, le groupe devenant peu à peu persuadé de la justesse et de la moralité inhérente de ses vues («groupthink»). Le cas extrême est représenté par la «psychose de groupe», où un chef charismatique parvient à entraîner tous ses subordonnés dans une aventure folle, à l'image des massacres perpétrés dans diverses sectes au cours des dernières décennies.Le monde clos et fortement hiérarchisé des activités militaires constitue un milieu à haut risque pour de tels dérapages.Lors d'un accident de la route, l'attention des sauveteurs est parfois détournée par une personne qui se manifeste bruyamment, le visage en sang, alors que, juste à côté, une hémorragie interne emporte silencieusement un blessé oublié. De même, dans l'actualité troublante et sensationnelle que nous vivons, la conflagration nucléaire pourrait fort bien, alors que nous regardons ailleurs, être déclenchée par des individus qui somnolaient devant leurs écrans.TerrorismeIl n'est sans doute pas exagéré de dire que notre perception du monde a changé depuis les tragiques attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center et le Pentagone. Aux sentiments de révolte contre la cruauté aveugle de tels actes se joint immédiatement une foule de questions : comment a-t-il été possible de réussir du premier coup un attentat aussi complexe dans le pays le plus puissant du monde ? Comment peut-on être kamikaze, et quelle prise pourrions-nous avoir sur des personnes qui ne semblent même pas tenir à leur propre vie ? Et ces mères que nous voyons déclarer leur fierté après avoir perdu leur fils ? Mille autres interrogations nous assaillent, généralement sans réponse.Pour nous autres occidentaux, l'événement revêt une forme particulière du fait qu'il s'est passé en quelque sorte «chez nous». Nous ne prêtons plus guère d'attention aux bombardements quotidiens sur l'Irak, avec leurs conséquences dramatiques pour la population civile mais sans effet sur le gouvernement ; ni aux sempiternels règlements de compte entre Israéliens et Palestiniens ; ni aux ravages causés par le conflit tchétchène ; ni à tant d'autres situations où le terrorisme nous semble presque faire partie du paysage. Mais, le 11 septembre, la violence aveugle est entrée dans notre maison.Peut-être est-il temps de marquer une pause. Lorsque nous nous trouvons face à une personne agressive et insaisissable, nous savons que, au lieu d'entrer dans son jeu de confrontation, nous faisons mieux de nous interroger sur les motifs de son attitude. Il ne s'agit pas là, bien sûr, de lui donner raison d'avance, mais, simple question de bon sens, de commencer par préciser l'anamnèse. Dans le cas présent, quel rôle ont pu jouer les frustrations, les humiliations, les blessures éprouvées par une grande partie du tiers-monde de la part de notre monde à nous ? Il n'est sans doute pas nécessaire d'évoquer ici les aspects économiques, politiques ou militaires des relations entre pays riches et pays pauvres. Il faut aussi prêter attention, par exemple, à la diffusion par satellites jusque dans les derniers recoins de la planète d'images de notre mode de vie occidental, avec son opulence, ses types de violence, ses murs en plein bouleversement : cette irruption ne peut-elle pas être ressentie dans certaines sociétés comme une agression à laquelle elles sont livrées sans défense ? L'intégrisme religieux souvent montré du doigt n'a-t-il pas son pendant dans une forme d'intégrisme économique, ou sociétal, dont nous sommes porteurs sans même en être conscients ?Il y a loin entre la réalité du monde et les appels pathétiques et simplistes du président des Etats-Unis à une «guerre du Bien contre le Mal», langage que l'on avait pu croire enterré depuis une bonne décennie. S'il peut paraître utopique de réclamer un vrai dialogue entre civilisations, il est peut-être encore plus naïf de croire qu'une victoire militaire va résoudre le problème, en frappant al-Qaïda bien entendu dans ses ramifications de Kaboul et de Kandahar et non pas de Francfort ou de Floride, et d'ignorer le terreau à terroristes que constituent les camps où affluent les dizaines de milliers de nouveaux réfugiés. L'opération a réussi, mais le patient est mort.Dans un brillant ouvrage édité il y a plus de trente ans, intitulé «Psychanalyse de la situation atomique», Franco Fornari7 faisait un parallèle entre le comportement des Etats et celui des êtres humains. Il arrivait à la conclusion que la ressemblance était la plus pertinente avec un groupe d'enfants âgés de quatre ans. Peut-être s'agit-il là d'une réalité inhérente à la politique, et qu'il est impossible de changer ; il ne faut néanmoins pas exclure que les enfants puissent grandir et se responsabiliser en acquérant des notions nouvelles, et en se parlant. N'oublions pas que c'est à la suite d'une rencontre avec les deux co-présidents d'IPPNW que Mikhaïl Gorbatchev décida, au début 1986, un moratoire unilatéral sur les essais nucléaires. En novembre 2001, lors de la rencontre au sommet de Crawford, au Texas, le Président G. W. Bush s'engagea verbalement à réduire en dix ans le nombre de ses armes nucléaires de 7000 à 2000 (ce qui est encore amplement suffisant pour causer un cataclysme mondial), et son homologue russe V. Poutine fit un geste symétrique. Malheureusement ni l'un ni l'autre ne se pencha sur le problème des armes nucléaires tactiques, qui sont par définition petites et faciles à dérober. En particulier, le sort des «suitcase nukes» (armes nucléaires en valises), réalisées à l'origine pour le KGB, reste un mystère complet.8Depuis sa fondation, l'Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW) soutient que, face à la menace atomique, seule la prévention peut avoir un sens, car un conflit nucléaire même limité aurait des effets tellement catastrophiques que la médecine serait totalement démunie pour y faire face.5,9,10 Ce raisonnement se calque sur l'attitude médicale face à des maladies telles que la poliomyélite, où l'on cherche avant tout à immuniser les sujets sains, et à plus long terme à éradiquer le virus dans le monde entier. La guerre nucléaire a été décrite comme la «dernière épidémie» que le monde aurait à affronter, et le moyen de la prévenir serait l'élimination de toutes les armes nucléaires.Sans nul doute, la situation est devenue encore plus critique aujourd'hui10 avec la dispersion d'armements depuis l'effondrement de l'URSS. Certains ont cru faire un «scoop» en annonçant l'intention d'Oussama Ben Laden, désigné auteur des attentats du 11 septembre, de se procurer des armes nucléaires. En réalité, il faut plutôt se demander ce qui pourrait bien le retenir dans cette intention, tout en se rappelant que ce n'est sans doute pas la mise sur pied du «bouclier antimissiles» («National Missile Defense», NMD) imaginé par le Président Ronald Reagan, repris par son successeur G. W. Bush, qui mettra le monde à l'abri du terrorisme. Outre les difficultés techniques qui font douter de nombreux experts de sa faisabilité, outre le fait qu'il entre en conflit avec le traité ABM («antiballistic missile») signé en 1972 entre les Etats-Unis et l'URSS, ce dispositif est ressenti par plusieurs pays comme un moyen pour les Etats-Unis de se mettre à l'abri des missiles ennemis au moment où ils lanceraient les leurs en premier : la première frappe sous couvert d'immunité. Comment réfuter ces craintes ?Par ailleurs, si les événements du 11 septembre ont montré qu'il n'y avait pas besoin d'un avion militaire, ni même d'un avion étranger, pour bouleverser la première puissance du monde, et le monde avec elle, il doit désormais être évident qu'il n'est pas nécessaire de disposer d'armes nucléaires pour déclencher une alerte nucléaire. Depuis des décennies, les craintes manifestées quant à la vulnérabilité des installations nucléaires civiles face à la chute d'un avion ou face à une attaque terroriste ont été systématiquement balayées par «ceux qui savent». Or une coupole du surrégénérateur français Super-Phénix de Creys-Malville, mis hors service en 1997, s'était bel et bien effondrée après des chutes de neige qui n'avaient pourtant rien d'exceptionnel. Le temps passant, une prise de conscience semble quand même s'être faite puisque, le 21 novembre 2001, on apprenait qu'une batterie de missiles avait été installée à proximité de la centrale de retraitement de déchets nucléaires de La Hague, en Normandie. Rappelons que cette usine reçoit les déchets des centrales nucléaires (suisses notamment) et en extrait le plutonium pour les besoins de la force de frappe française. Nul besoin de rappeler ici l'extrême toxicité de cet élément radioactif, ni d'évoquer les effets qu'entraînerait sa dispersion à haute dose dans l'environnement.Ici comme en médecine, le risque n'est jamais nul. Si toutefois nous pouvons le réduire tant soit peu, nous aurons déjà fait uvre utile. L'élimination de toutes les armes nucléaires constitue un but lointain, qui ne sera peut-être jamais atteint. D'ici là, chaque missile en moins, c'est un risque qui diminue légèrement : risque de détournement, risque de déclenchement accidentel ou terroriste, risque d'emploi impulsif dans la précipitation. Par ailleurs, il faut continuer à exiger la mise hors alerte («de-alerting») des missiles qui peuvent actuellement être lancés en moins de dix minutes.IncertitudesL'uranium appauvri et l'incertitude en tant que vertuLa guerre du Golfe de 1991 vit l'utilisation par les Etats-Unis et leurs alliés d'environ 300 tonnes de munition contenant de l'uranium appauvri (depleted uranium, DU). Rappelons qu'il s'agit là essentiellement d'uranium 238, relativement peu radioactif, obtenu à partir de minerai dont on a retiré l'uranium 235 pour les besoins de l'industrie nucléaire ou la fabrication de bombes. Son intérêt réside principalement dans sa haute densité, ainsi que dans ses propriétés pyrophoriques (il s'enflamme spontanément vers 600 °C). Une quantité moindre, soit environ onze tonnes, fut utilisée dans l'ancienne Yougoslavie par les forces de l'OTAN en 1999.Deux questions principales se posent à ce sujet : l'uranium appauvri joue-t-il un rôle dans le «syndrome de la guerre du Golfe» décrit chez des anciens combattants ? Quel risque courrent les populations civiles vivant dans les régions contaminées ?Sans doute faudra-t-il beaucoup de temps pour pouvoir donner des réponses claires à ces questions, la latence de l'induction des cancers et des leucémies défendant toute conclusion hâtive (rappelons que Tchernobyl continue à faire des ravages malgré les propos lénifiants entendus il y a quinze ans).11 Certaines études suggèrent un risque faible en général, mais, en ce qui concerne les populations civiles, il semble que l'on ait davantage étudié celles des Balkans que de l'Irak, où les quantités utilisées ont été nettement plus élevées. Par ailleurs, la détection d'isotopes artificiels tels que plutonium et uranium 23612 prouve que, outre de l'uranium appauvri, ces projectiles peuvent contenir des éléments provenant des déchets de l'industrie nucléaire, civile ou militaire, sensiblement plus radioactifs que l'uranium 238. Rappelons enfin qu'un moratoire sur les armes à uranium enrichi a été réclamé à plusieurs reprises, et qu'il s'est toujours heurté à un refus.L'OMS a reconnu ces incertitudes, et un groupe de ses experts techniques est rentré d'Irak en septembre dernier avec quatre propositions de projets à mener en collaboration avec des scientifiques irakiens.13 Les deux premiers concernent une amélioration du registre des cancers, malformations et maladies rénales, un troisième vise à la mise sur pied d'un plan de contrôle des cancers et des autres maladies non transmissibles, alors que le dernier esquisse une étude des effets potentiels sur la santé de facteurs environnementaux, parmi lesquels l'uranium appauvri. Tout en saluant cette initiative, il faut malheureusement rappeler que l'OMS ne constitue en aucun cas une référence indépendante en la matière, puisqu'un étrange accord signé en 1959 avec l'AIEA (Agence internationale pour l'énergie atomique), et toujours en vigueur, précise que «chaque fois que l'une des parties se propose d'entreprendre un programme ou une activité dans un domaine qui présente ou peut présenter un intérêt majeur pour l'autre partie, la première consulte la seconde en vue de régler la question d'un commun accord». En clair, cela signifie que, dans le domaine tellement sensible que constitue la radioactivité, l'OMS ne peut enquêter qu'à la condition d'obtenir l'accord d'une instance dont le but principal est, selon ses propres statuts, d'«accélérer et d'accroître la contribution de l'énergie atomique pour la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier». L'OMS a d'ailleurs formulé tout ce qu'il y a de plus clairement sa capitulation scientifique devant l'AIEA dans son rapport technique No 151 : «La solution la plus satisfaisante pour l'avenir des utilisations pacifiques de l'énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait pris l'habitude de s'accommoder de l'ignorance et de l'incertitude».De l'ignorance et l'incertitude, la voie est grande ouverte vers la résignation et la passivité. Plutôt que d'emprunter docilement cette voie, nous pouvons aussi chercher à savoir et, en cas d'incertitude, appliquer le principe de précaution que dicte le bon sens. Bibliographie :1 www.smlk.org 2 www.ippnw.org (secrétariat central de Boston). Branche suisse: www.ippnw.ch Branche française : www.perso.club-internet.fr/amfpgn/ Branche belge : www.gmcc-stjean.org/ampgn3 Dumas LJ. Auteur de Lethal Arrogance : Human Fallibility and Dangerous Technologies. New York : St Martins Press, 1999.4 Forrow L, et al. Accidental Nuclear War : A Post Cold-War Assessment. N Engl J Med 1998 ; 338 : 1326-31.5 Holdstock D, Waterston L. Nuclear weapons, a continuing threat to health. Lancet 2000 ; 355 : 1544-7.6 www.ippnw.ru/eng/ (site en cours de réalisation).7 Fornari F. Psychanalyse de la situation atomique (traduction française de Psicoanalisi della guerra atomica), nrf. Paris : Gallimard, 1969.8 The Guardian Weekly, 22-28.11.01.9 Burnier F. Le risque d'une guerre nucléaire concerne-t-il le médecin ? Med Hyg 2000 ; 58 : 1462-6.10 (Editor's choice) A world heading for war ? BMJ 2001 ; 323.11 Conférence internationale de l'OMS tenue à Genève du 20 au 23 novembre 1995 : «Consequences of Chernobyl and other radiation accidents and their influence on human health». Les rapports, les débats et les présentations de posters n'ont toujours pas été publiés.12 Buhrer J-C. Le Monde, 19.01.01.13 Kmietowicz Z. WHO calls for closer monitoring of health risk from depleted uranium. BMJ 2001 ; 323 : 592.Le lecteur intéressé pourra aussi consulter le numéro spécial du BMJ sur le sujet de la guerre : «War 2002». BMJ 2002 ; 324 : No 7333 du 9 février 2002.