Les études épidémiologiques démontrent une incidence d'AVC moins importante chez la femme que chez l'homme ainsi qu'une répartition des facteurs de risque un peu différente, en particulier en ce qui concerne le diabète plus fréquent chez la femme. Cependant, malgré un effet présumé protecteur des hormones et en particulier des strogènes sur l'ischémie cérébrale, il n'y a pas de différence de pronostic en termes de mortalité et/ou de dépendance entre hommes et femmes. De plus, un certain nombre de conditions spécifiques de la femme représentent des facteurs de risque supplémentaires d'AVC et seront discutées en détail.
L'accident vasculaire cérébral (AVC) représente la première cause de handicap physique et/ou intellectuel permanent et la troisième cause de mortalité dans nos pays industrialisés. Au vu de cette pathologie à l'impact médical et socio-économique considérable, il est intéressant de passer à la loupe les éventuelles différences existant entre hommes et femmes en termes de fréquence, facteurs de risque cérébrovasculaires, étiologies, et pronostic. Pour ce faire, nous proposons d'envisager ce sujet comme suit :
I Epidémiologie à partir du Registre lausannois des AVC (LSR) ;
I Revue et recommandations concernant trois questions essentielles :
Contraception orale.
Grossesse.
Ménopause.
Fréquence de l'AVC chez la femme
Vingt ans (1979-1999) d'étude des patients expérimentant un premier AVC nous montrent que parmi 4200 patients, on trouve 1632 femmes (39%) et 2568 hommes (61%). Cette distribution de l'incidence de l'AVC dans la population un tiers de femmes et deux tiers d'hommes est tout à fait conforme à l'observation faite dans les études épidémiologiques (28% d'hommes en plus dans l'étude Framingham). Cette différence d'incidence pour l'AVC pourrait être la résultante des facteurs hormonaux. Comme repris dans les tableaux 1 et 2 ci-dessous, les strogènes semblent avoir des effets «protecteurs» tant sur le système vasculaire que sur l'ischémie cérébrale. Cependant, l'étude de Viscoli et coll.1, publiée dans le New England Journal of Medicine en 2001, est venue jeter un doute concernant les effets d'une substitution en strogènes dans la prévention de l'AVC (voir paragraphe sur la ménopause).
Les facteurs hormonaux expliquent aussi en partie pourquoi la fréquence d'AVC chez les hommes se situe autour de 70 ans (65-75 ans) alors que chez les femmes, il s'étale entre 70 ans et 85 ans (fig. 1). On a donc un pic de fréquence chez les hommes et un plateau chez les femmes. Il faut bien entendu tenir compte que la survie des femmes dans la population générale est supérieure à celle des hommes.
Parmi les 4200 patients du LSR, aucune différence n'a été remarquée entre les hommes et les femmes pour l'hypertension et l'hypercholestérolémie. En revanche, davantage de diabète a été observé chez les femmes. Pour ce qui est du tabac, une différence significative était notée en défaveur des hommes entre 1979 et 1989. Depuis, entre 1990 et 1999, il y a plus de différence (fig. 2). En dépit du fait que la notion d'«infarctus migraineux» reste discutée, il est intéressant de notifier la très significative différence du pourcentage de migraine entre les hommes (2%) et les femmes (7%). L'AVC étant une pathologie surtout de la personne âgée, il n'est pas étonnant d'avoir 92% des patients sans contraception orale (CO), et 8% avec une CO active.
Nous avons vu plus haut (tableau 1) que les strogènes auraient un effet bénéfique sur le système vasculaire : par conséquent, le pourcentage d'atteinte des gros vaisseaux (athéromatose) est-il plus faible chez les femmes ? Les étiologies de l'AVC entre hommes et femmes sont reprises dans les figures 3 et 4.
Globalement, la différence entre les deux sexes est significative (p 2 Parmi les patients de plus de 70 ans présentant un AVC ischémique, plus d'un tiers ont une FA.2 Enfin, on note plus d'atteintes des petites artérioles cérébrales (lacunes) chez les femmes (20% vs 17%) : ceci peut s'expliquer également par l'âge plus avancé auquel l'AVC survient chez les femmes ; en effet, l'atteinte des petites artères du cerveau (lacunes) est typiquement une pathologie de la personne âgée.
Le tableau 3 regroupe les étiologies d'AVC plus fréquentes chez les femmes.
La contraception active qui concerne une minorité des femmes avec AVC (plus souvent âgées) induit essentiellement trois changements dans l'étiologie des AVC (fig. 5, 6) : davantage de causes indéterminées, de dissections artérielles, et de causes cardiaques (myxomes, embolies paradoxicales via un foramen ovale perméable) : bref, les étiologies habituellement rencontrées chez les patients plus jeunes !
Il est très intéressant de constater que malgré les effets présumés (tableau 2) des strogènes sur l'ischémie cérébrale, il n'y a aucune différence significative entre le pronostic en termes de mortalité et de pronostic neurologique fonctionnel entre les femmes et les hommes.
Depuis 1962, plus de 25 études ont été effectuées sur la relation existant entre les contraceptifs oraux (CO) et AVC.3 Il s'agit principalement d'études de cohortes épidémiologiques ainsi que d'études cas-contrôles pouvant par ailleurs être sujettes à des biais. Les premières études ont fait état d'un risque augmenté de 5 fois chez des patientes utilisant des CO. Ce risque s'applique à toutes les formes d'AVC et il est particulièrement marqué chez des patientes âgées de plus de 35 ans et aussi si elles présentent d'autres facteurs de risque, en particulier une hypertension artérielle (HTA), un tabagisme ou des migraines. Un autre élément déterminant est celui de la dose des strogènes. Ainsi dans l'étude de l'OMS (WHO), étude multicentrique englobant des pays de l'Europe, de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique latine, le risque de développer un AVC est augmenté de manière significative chez les femmes utilisant des doses élevées d'strogènes (> 50 mg), cela aussi bien dans les pays européens que dans les pays en voie de développement.2 En revanche, avec des doses d'strogènes plus faibles (mg), le risque est augmenté de manière significative uniquement dans les pays en voie de développement.4,5 Dans l'étude du Royal College of General Practioners (RCGP) avec un follow-up de 25 ans, il ressort également que la prise de CO engendre un risque de décès lié à l'AVC (OR 1,9, 1,2-3,1).6
L'influence des CO sur la survenue d'hémorragie intracérébrale (HI) et sous-arachnoïdienne (HSA) est controversée. La majorité des études ne rapportent pas d'augmentation du risque d'HI, en ce qui concerne les pays industrialisés. Pour les pays en voie de développement, en revanche, le risque est augmenté d'une part en fonction de l'âge (> 35 ans) et d'autre part, si d'autres facteurs sont associés tel l'HTA ou le tabac. En ce qui concerne la HSA, une méta-analyse incluant onze études a permis de montrer un risque accru de manière significative chez des patientes sous CO, tant sur le plan de l'incidence que sur le plan de la mortalité (RR 1,55, 1,26-1,91, p 7
La proportion de patientes sous CO présentant une thrombose veineuse cérébrale (TVC) est très élevée du moins en qui concerne les pays industrialisés. Toutefois, dans la plupart des séries, d'autres facteurs de risque viennent s'additionner. Le pourcentage de patientes avec TVC où le CO est le seul agent étiologique entrant en ligne de compte est relativement faible. Parmi les facteurs associés, il faut naturellement mentionner les thrombophilies héréditaires (facteur V Leiden, prothrombine 20210A, déficit en antithrombine, protéine S et protéine C) qui peuvent augmenter le risque d'environ 100 fois, même avec des CO faiblement dosés en strogènes. Le risque semble par ailleurs être plus grand lors de la première année.3
Trois facteurs jouent un rôle important dans la survenue d'AVC chez des femmes jeunes et cela surtout en association avec la prise de CO : l'HTA, le tabac et la migraine. L'HTA augmente sensiblement le risque d'AVC lors de prise concomitante de CO. Dans l'étude RCGP, le risque relatif de faire un premier AVC lors de prise de CO augmente de 2,5 (1,5-4) à 4,8 (2,4-9,4) en présence d'HTA. De même, le risque d'AVC lié au tabac est augmenté de 2,5 pour les AVC ischémiques et de 5 pour les HSA et il est sensiblement plus important lors de prise concomitante de CO. Les migraines représentent également un facteur de risque pour les AVC ischémiques, cela particulièrement chez des femmes jeunes. Le risque augmente d'environ 3 fois et est doublé s'il s'agit de migraines avec aura (RR 6) ; il est plus important s'il existe un tabagisme (RR 10) et encore plus s'il y a prise concomitante de CO (RR 14).
En conclusion, la prise de CO augmente le risque d'AVC en général, qu'il s'agisse d'AVC ischémique ou hémorragique ou de décès d'origine vasculaire. Les CO faiblement dosés en strogènes (mg) représentent un risque moindre que les CO avec fortes doses d'strogènes (> 50 mg). Les risques d'AVC liés à la prise de CO sont par ailleurs considérablement plus importants en présence de facteurs de risque, en particulier s'il s'agit d'HTA, de tabac ou de migraines. Il n'y a pas de données actuellement sur le risque d'AVC lié à la prise de progestérone seule.
En termes absolus, l'augmentation de l'incidence d'AVC lors de prise de CO est relativement basse. Elle est de 6,7 pour 100 000 femmes/an pour les CO faiblement dosés et de 12,9 pour les CO hautement dosés en strogènes. Le risque attribuable d'AVC est de l'ordre de 1/200 000 femmes/an. Ainsi, 5880 femmes doivent prendre une contraception orale durant une année pour induire un seul AVC.3 En pratique clinique, nous considérons actuellement que les bénéfices liés à la prise de CO faiblement dosés sont par conséquent plus importants que le risque de faire un AVC, cela à condition naturellement d'identifier d'éventuels facteurs de risque associés qui, comme mentionnés précédemment, lorsqu'ils sont présents accroissent considérablement le risque d'AVC.
L'incidence d'AVC lors de grossesse est d'environ treize fois plus importante que celle observée chez des femmes non enceintes et du même âge. Dans une étude récente réalisée aux Etats-Unis, il a été observé 8,9 cas d'AVC et 5,7 cas de thrombose veineuse cérébrale sur un total de 50 264 631 accouchements.8 L'encéphalopathie liée à la prééclampsie est plus fréquente que les AVC. La prééclampsie/éclampsie se manifeste en général après la 20e semaine et aussi durant la période post-partale précoce. L'incidence de cette complication est de l'ordre 6-10% des grossesses. Elle se caractérise par les phénomènes suivants : hypertension, protéinurie et dèmes (pré-éclampsie). Sur le plan neurologique, il peut exister des céphalées, une confusion, une agitation, des convulsions, des troubles visuels allant parfois jusqu'à la cécité corticale. Lorsque le patient développe des convulsions ou un coma, on parle d'éclampsie. Les anomalies de laboratoire incluent des signes d'insuffisance rénale, une thrombopénie, un abaissement de l'antithrombine III, une coagulation intravasculaire disséminée et un syndrome caractérisé par une thrombopénie, une hémolyse et une perturbation des tests hépatiques (syndrome de HELLP). La pré-éclampsie et l'éclampsie sont responsables de 24-47% des AVC ischémiques et de 14-44% des hémorragies cérébrales survenant durant la grossesse. Ces complications surviennent le plus fréquemment durant le 3e trimestre ou le post-partum immédiat. Les anomalies visibles sur le CT-scan et à l'IRM sont en général assez diffuses, intéressant surtout la substance blanche au niveau des régions pariétales et occipitales.9 En ce qui concerne la thrombose veineuse cérébrale (sinus), elle est plus fréquente lors du post-partum. Il n'y a pas d'hypertension artérielle habituellement et les anomalies au CT-scan et à l'IRM sont caractéristiques et se distinguent des anomalies rencontrées lors d'éclampsie.
Un autre diagnostic qu'il faut évoquer devant un tableau associant céphalées et déficit neurologique focal est celui d'une angiopathie cérébrale post-partale «bénigne». Cette affection se présente le plus souvent lors de la période post-partale, mais elle peut également survenir en dehors de la grossesse. Elle touche les femmes entre l'âge de 20 à 50 ans, et des antécédents de migraines sont fréquemment retrouvés. Les anomalies de la substance blanche sont habituellement moins étendues que dans l'éclampsie. Les symptômes neurologiques s'installent quelques jours après le début des céphalées et peuvent se caractériser par une cécité corticale, un syndrome de Ballint, une aphasie, une dysarthrie, une hémiparésie ou une ataxie. L'angiopathie peut se compliquer d'hémorragies. Une régression après quelques semaines peut s'observer, soit spontanée, soit après traitement avec des anticalciques ou des stéroïdes.9
La période de post-ménopause comporte la disparition quasi complète de sécrétion d'stradiol. Sur le plan vasculaire, ceci s'accompagne de modifications athérogènes et thrombogènes associant une augmentation du cholestérol total, du LDL-cholestérol, du fibrinogène et du facteur VII. Il existe aussi une élévation de la pression artérielle, essentiellement de nature systolique et pulsée avec une prévalence élevée d'hypertrophie ventriculaire gauche.10
L'hormonothérapie substitutive, outre les effets bénéfiques sur le risque de fracture ostéoporotique, présente un certain nombre d'effets vasculaires visant à diminuer l'athérosclérose et à restaurer la fonction endothéliale. Ces effets passent en particulier par une sécrétion accrue d'oxyde nitrique (NO), dont l'action vasodilatatrice et antiagrégante est actuellement bien établie ainsi qu'une inhibition de la prolifération des cellules musculaires lisses.
Plus de trente études épidémiologiques ont rapporté une réduction du risque cardiovasculaire chez des femmes ménopausées sous substitution hormonale. Ceci a également été montré pour les AVC (tableau 4).
Toutefois, la plupart de ces études sont observationnelles et comportent par conséquent un certain nombre de biais pouvant être dus en grande partie à l'hétérogénéité des collectifs étudiés. Ainsi malgré de nombreuses évidences expérimentales et cliniques pouvant parler en faveur du rôle vasculaire protecteur de la substitution hormonale, les études prospectives et randomisées n'ont pas permis de démontrer l'effet bénéfique de l'hormonothérapie substitutive en matière de pathologie cardio- et cérébrovasculaire. L'étude HERS (Heart and Estrogen-progestin replacement study) est la première étude prospective, randomisée en double aveugle, étudiant l'effet de l'hormonothérapie substitutive chez des patientes aux antécédents de maladie coronarienne.16 2763 femmes ont été incluses avec comme principaux objectifs l'infarctus du myocarde ou le décès lié à la maladie coronarienne. La substitution hormonale n'a pas permis de réduire le risque d'événements coronariens. Toutefois, le nombre d'événements était variable en fonction du temps ; alors que ces derniers étaient plus nombreux durant la première année dans le groupe traité, dès la deuxième année de traitement apparaît une réduction des épisodes coronariens s'accentuant encore davantage durant la 4e et 5e année d'hormonothérapie substitutive. L'origine de cette augmentation du risque coronarien lié à l'hormonothérapie substitutive durant la première année n'est pas claire. Les auteurs de l'étude HERS suggèrent un effet thrombogénique prédominant sur l'effet antiathérogénique durant la première année et plus particulièrement durant les six premiers mois de traitement. Cet effet thrombogénique est d'ailleurs attesté par un nombre d'événements thrombo-emboliques d'origine veineuse plus grands dans le groupe traité comparé au groupe placebo (RR 2,89, 1,5-5,58).
Une autre étude récente a étudié l'effet de l'hormonothérapie substitutive (1 mg d'estradiol 17b) chez des patientes ayant présenté un AVC ou un AIT récent.1 664 femmes en post-ménopause ont été incluses dans une étude prospective, randomisée en double aveugle avec comme objectifs primaires la récidive d'AVC ou le décès. Durant un suivi de 2,8 années, 99 AVC/ décès se sont produits dans le groupe traité, alors que seulement 93 AVC/décès dans le groupe placebo (RR 1,1, 0,8-1,4). De plus, les patientes traitées ont un risque plus élevé de développer un AVC fatal (RR 2,9, 0,9-9,0) et en cas d'AVC non fatal, les patientes traitées ont une tendance accrue à présenter un déficit neurologique plus sévère.
Ainsi, bien que les études épidémiologiques suggèrent un effet favorable de la substitution hormonale sur le risque de maladie cérébrovasculaire, cet effet n'a pas pu être démontré pour l'instant dans le cadre d'études prospectives et randomisées. De ce fait, nous ne recommandons pas l'utilisation d'une substitution hormonale en prévention secondaire de l'AVC. Alors que la variabilité de l'effet en fonction du temps observé dans l'étude HERS permet de maintenir une hormonothérapie chez des patientes qui développent un infarctus du myocarde, alors qu'elles sont déjà sous substitution hormonale, nous ne pouvons pas recommander pour l'instant la même conduite thérapeutique en matière de pathologie cérébrovasculaire, le même effet n'ayant pas été retrouvé dans l'étude des préventions secondaires de l'AVC.