Dimanche de Pâques 2002. Que retiendra-t-on demain de cette fête ? Les paysages nimbés de douceur d'un Val de Loire paré d'éternité ? La tragédie de la victoire sans appel (30 à 9) de l'équipe tourangelle de rugby opposée à celle de Marmande sur un terrain où, il y a un siècle, les fous de cet hôpital qui ne s'appelait pas encore Bretonneau venaient, de gré ou de force, cultiver des légumes ? Les chants vespéraux de la cathédrale Saint Gatien ? Les frémissements de la glycine et ceux, déjà plus marqués, des lilas ? L'étrange orage de grêle du Vendredi Saint ? La folie meurtrière du «mass murderer» de Nanterre coïncidant avec celle des enragés de cet Orient dont on ne sait plus s'il se rapproche ou s'il s'éloigne ? Les progrès de la maladie chez un Jean-Paul II qui vient de se prononcer contre l'acharnement thérapeutique ?On retiendra, dans ce journal, la décision gouvernementale publiée dans le Journal Officiel au matin pascal et concernant les ris de veau dorénavant de retour sur les tables républicaines de France ; une coïncidence qui nous valut de perdre la face à la table bourgueilloise du lundi de Pâques où, devant de luxueuses bouchées à la reine, nous soutînmes, contre l'évidence radiophonique, qu'une telle mesure ne pouvait avoir été prise. Et voilà, brutalement, que nous prenons conscience de parler, avec les ris de veau, d'une déjà bien vieille histoire. Elle commença pour nous avec la découverte d'un «vu» exprimé début 1996 par l'Académie nationale de médecine qui se prononçait en faveur de l'interdiction en France, au plus vite, de la consommation des abats prélevés sur de jeunes veaux de moins de six mois d'origine britannique.«Traditionnellement allergique à toute forme de catastrophisme médiatique, cette docte assemblée, chargée notamment de conseiller le gouvernement en matière sanitaire, alimente ainsi la polémique sur un grand mystère de santé publique, écrivions-nous alors dans les colonnes du Monde. Le cheptel britannique est frappé, depuis plusieurs années, par une épidémie massive d'une affection neurodégénérative d'origine encore inconnue, surnommée la maladie de la vache folle. De très nombreux arguments scientifiques permettent de penser que l'agent infectieux en cause n'est pas transmissible à l'homme. Pour autant, plusieurs cas d'une autre affection dégénérative toujours mortelle, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ont récemment été observés chez des fermiers britanniques ayant été au contact d'animaux infectés.»S'agissait-il là de simples coïncidences ou des premiers symptômes d'un drame à venir ? Nous nous souvenions alors que les autorités britanniques avaient pris une série de mesures sanitaires pour prévenir l'extension de l'épidémie animale et pour réduire les hypothétiques risques de contamination humaine et que, dès juillet 1994, elles interdisaient la consommation des abats (intestins, thymus ou ris de veau, cervelle et moelle épinière) des veaux de moins de six mois. L'extension de cette interdiction aux veaux plus âgés «n'a concerné que les animaux abattus au Royaume-Uni et non les veaux exportés vers l'Europe continentale, expliquait pour sa part le Pr Jeanne Brugère-Picoux (Ecole nationale vétérinaire d'Alfort) aux membres de l'Académie de médecine. Paradoxalement, un arrêté ministériel du 1er juin 1995 (paru au Journal Officiel le 11 juin 1995) autorise l'importation à partir du Royaume-Uni de ces abats sur notre territoire.»Alors que personne ou presque ne parlait encore de politique sanitaire fondée sur le principe de précaution, certains observaient que les inspections vétérinaires effectuées outre-Manche avaient démontré que les consignes sanitaires n'étaient pas loin s'en faut toujours respectées dans les abattoirs de ce pays. Pour leur part, les académiciens de la rue Bonaparte à Paris estimaient, non sans bon sens, «qu'il conviendrait d'appliquer en France les mêmes interdictions qu'au Royaume-Uni». En avril de la même année il y a six ans déjà nous étions à Genève où d'importantes recommandations concernant l'alimentation animale et humaine étaient formulées par un groupe d'experts internationaux réunis à l'initiative de l'Organisation mondiale de la santé dans le cadre d'une réunion scientifique consacrée à la maladie de la vache folle et à sa possible transmission à l'homme.«En dépit du fait que l'OMS ne peut fournir dans ce domaine que des 'recommandations', cette réunion est, dans le contexte international et scientifique actuel, d'une importance stratégique et économique considérable, écrivions-nous alors, toujours dans les colonnes du Monde. On indiquait de bonne source, mercredi 3 avril, que les discussions entre experts étaient très vives et qu'un consensus était très difficile à obtenir. Les experts devraient néanmoins, indique-t-on, se prononcer contre l'utilisation de toutes formes de farines fabriquées à partir de carcasses animales dans l'alimentation des animaux pour lesquels elles sont encore autorisées (les porcs et les volailles notamment). Ils redoutent qu'en laissant ces farines en circulation certains éleveurs ne respectent pas les recommandations officielles et incorporent ces produits dans l'alimentation des ruminants. Ces mêmes experts pourraient également mettre en garde contre la consommation par l'homme des abats d'origine bovine. C'est en effet dans ces organes (cervelle, moelle épinière, thymus ou 'ris de veau') que les agents infectieux sont retrouvés avec une forte concentration dès que l'animal est contaminé.»L'affaire, nous le verrons, était notablement plus complexe que nous ne l'imaginions alors.