De nombreux micro-organismes peuvent être à l'origine de diarrhées chez les voyageurs qui se rendent dans des pays où l'eau est souillée. Excepté l'ébullition (idéalement une à trois minutes), aucune méthode simple ne permet à elle seule d'éliminer à coup sûr tous les pathogènes. Ainsi, la filtration ne peut pas retenir tous les virus, et la désinfection par les halogénés dans les conditions de voyage n'élimine pas les cryptosporidies. En présence d'eau visiblement sale il est donc vivement recommandé d'utiliser les deux méthodes précitées combinées. La publicité pour plusieurs produits du commerce (filtres, désinfectants) est peu claire et peut donner un faux sentiment de sécurité. Les différentes méthodes de décontamination et les produits à disposition sont revus.
Environ 40% des voyageurs occidentaux qui visitent un pays en voie de développement font l'expérience d'un épisode de diarrhées1 et ceci quel que soit le type de voyage effectué. La plupart des voyageurs ne mettent pas en pratique les recommandations aussi détaillées et claires soient-elles pour éviter ce problème. Le mode de contamination peut varier, soit par ingestion de breuvages souillés, ou de nourriture contaminée ou encore par des doigts sales portés à la bouche. Le présent article n'abordera que le traitement de l'eau.
Dans les pays ne disposant pas d'un réseau de traitement des eaux usées ou ceux dans lesquels le réseau existant n'est pas en bon état, la contamination des eaux de surface par des déchets organiques riches en microbes se fait essentiellement par contamination fécale humaine (égouts défectueux ou défécation directement à proximité d'un plan d'eau) et fécale animale. Les bactéries ne se multiplient pas dans l'eau, mais dans les matières organiques, et de manière générale les pathogènes tendent à s'agglutiner sur les matériaux solides plutôt que de rester en suspension. Par conséquent une eau trouble et chargée en débris est plus susceptible de contenir des microbes. Les doses infectantes suffisantes pour provoquer la maladie chez l'homme dépendent du type de pathogène.2 Il faut par exemple moins de shigelles ou de virus que de salmonelles pour déclencher des symptômes, en raison de la sensibilité de ces dernières à l'acidité gastrique.
Les contaminants principaux, d'importance clinique, sont reportés dans le tableau 1. Les bactéries résistent à la congélation et les virus survivent parfois très longtemps dans les eaux froides.
Le traitement de l'eau afin d'en permettre la consommation ne vise pas à obtenir de l'eau stérile (0 germe), mais de l'eau potable (max 1 E. coli/100 ml eau2).
De l'eau très souillée devrait idéalement être d'abord décantée, puis filtrée, désinfectée et finalement conservée de manière à maintenir son état de potabilité.
Le seul fait de laisser de l'eau sale au repos permet à plus de 80% des germes de sédimenter avec les matières solides (organiques et/ou inorganiques) au fond du récipient. La fraction non décantable peut être floculée par un agent chimique qui provoque la formation d'agrégats contenant une bonne partie des germes qui n'ont pas sédimenté.2
Le principe de la filtration est simple : toute particule plus grosse que les pores du filtre est retenue et donc supprimée du liquide filtré. La figure 1 donne l'étendue d'action de la microfiltration, et on voit d'emblée que les virus sont en principe trop petits (taille de 0,03 mm en moyenne) pour être retenus par des microfiltres en céramique (taille des pores 0,2 mm), sauf s'ils sont en amas.
La plupart des microfiltres disponibles dans le commerce sont dotés d'un préfiltre qui retient les plus grosses particules. Néanmoins, un nettoyage régulier est nécessaire pour assurer leur bon fonctionnement, et ceci d'autant plus que l'eau à filtrer est trouble, faute de quoi le filtre est très vite colmaté et le colmatage devient un milieu de culture idéal pour les bactéries. Ce nettoyage par abrasion engendre une certaine usure de la surface filtrante qui limite la durée de vie des filtres. Toutes les marques ne proposent pas des moyens pour nettoyer le filtre. En dehors du fait que les filtres n'éliminent pas tous les pathogènes, leurs autres inconvénients sont leur coût, leur poids, et leur débit souvent limité (tableau 2).
Les agents complémentaires intégrés dans certains filtres ont une fonction limitée. Le charbon actif améliore le goût et l'odeur de l'eau filtrée en retenant les résidus organiques ou inorganiques, mais il n'a pas d'action bactéricide. Tout au plus «capture»-t'il quelques microorganismes qui ont alors tout loisir de se multiplier. Le ion argent comme constituant de certains filtres ne prévient pas la contamination bactérienne. Son activité bactéricide est bien trop faible à la concentration utilisée et avec le temps de contact limité au temps de filtration (voir plus loin).
L'efficacité de cette méthode dépend directement de la puissance du produit utilisé, de son spectre d'activité, de sa concentration, du temps de contact entre le désinfectant et les germes, et de la température et du pH de l'eau (fig. 2). L'efficacité diminue avec la turbidité de l'eau. En effet, plus l'eau est trouble et plus il faut augmenter la concentration du produit et le temps de contact pour saturer toutes les matières agrégées et donner une concentration résiduelle libre suffisante pour tuer les pathogènes.
La sensibilité des micro-organismes aux halogénés est variable, avec dans l'ordre décroissant, les bactéries, les virus et les kystes de protozoaires. Les concentrations et les temps de contact nécessaires font que dans la pratique, les cryptosporidies sont résistantes aux halogénés.
Les inconvénients de ces produits sont donc l'absence d'effet sur les cryptosporidies, le temps de contact nécessaire à concentration usuelle (2 heures pour éliminer Giardia duodenalis, 30-60 minutes pour les bactéries et les virus), leur goût et odeur, leur toxicité éventuelle (voir plus loin). Par contre ce sont des produits bon marché et peu encombrants (tableaux 3 et 4).
La substance active est l'acide hypochloreux HOCl, issu de la transformation du Cl2 au contact de l'eau. Dans le commerce on trouve du chlore sous forme d'hypochlorite de sodium (Drinkwell®, eau de Javel) ou de calcium (Micropur® Forte). Ces produits se dégradent à la chaleur et à l'exposition aux UV. Le dichloro-socyanurate de sodium (Aquatabs®) qui est plus acide, pourrait favoriser une meilleure transformation du Cl2 en acide hypochloreux actif. Ce produit n'est toutefois pas encore sur le marché en Suisse.
Il est moins influencé par les variations de pH et la turbidité que le chlore, mais dans le commerce on ne le trouve que sous forme de povidone iodée (Bétadine® 10%) ou de teinture d'iode à 2%. Il y a par contre un risque d'hypersensibilité et de dysfonction thyroïdienne, ce qui en limite le dosage à 2 mg par jour pendant un mois au maximum pour un adulte (1 mg pour les enfants). La grossesse et les antécédents d'affection de la thyroïde sont des contre-indications à son utilisation.
Pour diminuer les inconvénients des halogénés (notamment leur toxicité et leur goût) ont peut :
a) diminuer leur concentration en augmentant le temps de contact ;
b) filtrer l'eau d'abord puis désinfecter à concentration moindre ;
c) déhalogéner l'eau traitée, par du charbon ou par un produit chimique (contre le chlore et l'iode : vitamine C ou thiosulfate de sodium ; contre le chlore seulement : hyposulfite de sodium (Drinkwell® antichlore)) (tableau 5). Dans ce cas il faut à tout prix laisser un temps de contact suffisant avant de neutraliser la désinfection !
L'eau rendue potable doit être stockée dans des récipients propres et à surface lisse. Si elle n'est pas consommée rapidement, une méthode de conservation s'impose. L'ion argent (Micropur®, Drinkwell® argent) ou le chlore (si récipient fermé, car volatile) sont les méthodes de choix (tableau 5)
L'ébullition reste un des moyens les plus efficaces pour rendre de l'eau potable. Même de l'eau très sale peut être consommée si elle a bouilli, avec toutefois la persistance d'un goût, d'une couleur et parfois d'une odeur peu agréables. Tous les micro-organismes d'importance clinique sont tués par une ébullition même brève (dans la règle une minute en basse altitude/trois minutes en haute altitude où la température d'ébullition est plus basse), et certains même par de l'eau assez chaude pour être intolérable au toucher (50-60°C).2,4,5
Le résumé de l'efficacité des différentes méthodes de traitement de l'eau est présenté dans le tableau 6.
La publicité pour plusieurs produits du commerce (filtres, désinfectants) est peu claire et peut donner un faux sentiment de sécurité. Pour être efficaces, ces produits doivent être utilisés dans le respect stricte des conditions d'utilisation et avec un temps de contact suffisant (souvent sous-estimé par les fabricants). Dans la pratique on recommandera aux voyageurs l'attitude suivante :
Dans tous les cas
I Privilégier la consommation de boissons (gazeuses) en bouteille fermée, ou de boissons chaudes (ayant atteint le point d'ébullition).
I Eviter les glaçons.
I Si l'eau à disposition est claire : la microfiltrer et/ou la désinfecter.
A défaut
I Si l'eau est trouble : la laisser sédimenter, puis la microfiltrer et la désinfecter.
I Utiliser de l'ion argent pour conserver l'eau traitée.