Ainsi donc le carcan sanitaire se desserre tandis que souvenirs et plaisirs gustatifs reviennent. Après cinq ans de privation, les amateurs de ris de veau sont comblés ; le thymus des jeunes bovins est à nouveau à portée des papilles humaines. Avec, il est vrai, quelques restrictions qui viennent à nouveau nous dire que tout n'est pas rose dans les étables de France et de Navarre. C'est ainsi que le ministère de l'Agriculture prend soin de souligner que si le feu vert est bien donné aux ris, les veaux nourris à partir de «lactoremplaceurs» restent interdits à la vente et à la consommation. Tout, ici, est consigné dans un arrêté publié le 31 mars au Journal Officiel de la République française qui fait bien la part entre les animaux nourris exclusivement au lait maternel ou avec de la poudre de lait et les autres.«Pour les thymus provenant de veaux nourris avec des lactoremplaceurs incorporant des suifs, des contrôles sont en cours d'analyse par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, indique le ministère de l'Agriculture dans un communiqué. Une décision sera prise ultérieurement à leur égard». Les veaux dont les thymus sont utilisés pour être consommés comme ris de veau sont «dans leur grande majorité» des animaux qui ont été nourris au lait maternel ou avec de la poudre de lait, précise encore le ministère.Lactoremplaceurs ? Il y aura bientôt six ans plusieurs professionnels de l'équarrissage faisaient déjà part de leurs inquiétudes à certains spécialistes vétérinaires sans parvenir à se faire entendre. «Il faut savoir que la graisse obtenue à partir des animaux tués en abattoir peut avoir une utilisation alimentaire en biscuiterie, par exemple, et que le suif dit "premier jus", obtenu généralement aux environs de 80° C , est destiné à l'industrie des lactoremplaceurs, c'est-à-dire à l'alimentation des veaux, nous expliquait déjà Jean-François Lemasson, président du Syndicat national des équarrisseurs et dépôts indépendants. Les farines de viande sont, depuis 1990, interdites dans les aliments pour ruminants. Mais la graisse est toujours incorporée dans les lactoremplaceurs et cette graisse est obtenue par pressage. Après ce pressage, la graisse est filtrée, mais il est toujours possible de trouver de fines particules de viande dans ce produit».On a, depuis, évoqué à plusieurs reprises la responsabilité de ce système qui permet de ne pas nourrir les veaux avec le lait de leur mère pour le plus grand bonheur des industries jumelles et florissantes du beurre et des produits laitiers. Les raisons économiques sont-elles à ce point essentielles qu'il faille priver les jeunes bovins du plaisir et de la nécessité de téter ? Faut-il à ce point s'éloigner de la nature pour transformer la fonction première des mamelles de ces mammifères ? Car peut-être plus encore que dans le tristement célèbre cas des farines de viandes et d'os, c'est bien ici imposer un formidable cannibalisme via cet ersatz de lait ou le gras n'est plus issu des glandes galactophores mais résulte de ce qui reste des bovins morts. Triste recyclage intra-espèce du mort dans le vivant dont on postule enfin qu'il a pu avoir de tragiques conséquences mais que l'on s'obstine à autoriser tout en dressant contre lui de fragiles édifices réglementaires ; des édifices dont on découvre souvent après coup la relative porosité.Tout indique que l'on pourrait ainsi reprendre la totalité de l'histoire de la vache folle du seul point de vue du recyclage. Recyclage des carcasses, des déchets, des squelettes. Recyclage qui permet de ne rien perdre pour mieux gagner qu'il s'agisse de calories, de protéines, d'argent, de temps, d'énergie. L'affaire est ici d'autant plus complexe, d'autant plus riche, que le concept du recyclage a été mis en avant et largement vanté par les mêmes écologistes qui, en l'espèce, le dénoncent. Il y aurait donc un recyclage nécessaire celui des ordures ménagères et du tri des déchets par exemple et un autre mauvais par essence car ne respectant pas les lois naturelles. La vache folle viendrait, dans cette optique, apporter les bases physiopathologiques à une telle conception des équilibres environnementaux. Elle pourrait aussi conduire à sacraliser certaines formes de vivant, et tout en conduisant à rendre sa «vachéité» à la vache (merci au philosophe Alain Finkelkraut à qui nous empruntons cette formule), elle nous entraînerait tranquillement vers l'acceptation des comportements végétariens.Nous n'en sommes certes pas encore là.Sybille de La Hamaide de l'agence de presse Reuters nous explique en ce froid matin d'avril 2002 que la consommation de buf en France a quasiment retrouvé son volume d'avant la deuxième crise de la vache folle mais que les prix payés aux producteurs restent en dessous de la normale en raison des stocks excédentaires et des marges prélevées par la distribution. «La France commence à entrevoir la lueur du bout du tunnel de la crise de la vache folle» a dit cette semaine Pierre Chevalier, président de la Fédération nationale bovine. Selon l'analyste Maurice Raison, les consommateurs français ont finalement oublié la crise ou tout du moins ne sont plus aussi inquiets à l'idée de manger du buf. «On est finalement rentré dans les clous, en termes de consommation de buf, a-t-il déclaré. Et avant la fin de l'année, on sera même peut-être au-dessus de la fin 1999, la dernière année considérée comme normale».Rentrer dans les clous ? Nous y entrerons, à notre manière, la semaine prochaine avec quelques rigodons autour du ris rigodon de nature, espère-t-on, à faire saliver le lecteur versé dans les choses de la table.