Résumé
Nous vivons l'époque de la communication rapide, vu le développement de «la toile» («the web», aussi appelée «internet»). Avantages et désavantages d'un monde où les rumeurs se propagent de plus en plus vite, et où le travail bien accompli de la grande majorité des citoyens est passé sous silence. En effet, il n'y a aucune «nouvelle» à dire que la police a sauvé la vie d'un accidenté ; moins spectaculairement, il n'y a aucune «nouvelle» à dire qu'un employé de la poste est sorti de derrière son guichet pour aider une personne âgée qui amenait un colis manifestement trop lourd pour elle. Par contre, le policier qui fait un faux pas, le postier qui se trompe de boîte aux lettres sont tout de suite montrés du doigt et le Conseiller d'Etat au Département de Justice et Police en prend pour son grade, de même que l'Administration Fédérale des Postes.Donc, les rédacteurs et leur équipe cherchent des nouvelles. Lorsque quelque ambassadeur leur permet d'embarrasser le Conseil Fédéral, nos «paparazzi»1 laissent les médecins tranquilles. Mais si ce n'est pas le cas, il leur est facile de trouver chez les «docteurs» et leurs collaborateurs (souvenez-vous des physiothérapeutes) toutes sortes de raisons pour remplir les «canards»,2 et parfois, hélas, les journaux les plus sérieux. Les infirmières ne peuvent plus être une cible, car la réalité de presque toutes est celle d'un travail difficile, souvent en sous-nombre, et cette réalité est trop présente aux yeux du public pour que même le plus «tabloïd»3 des «tabloïds» fasse attention avant de s'attaquer à cette profession.Ne parlons pas du scandale favori, des erreurs médicales, parfois réelles, parfois dites telles dans des jugements dignes de Kafka.4 Parlons de l'emprise que les médecins donnent aux mal-intentionnés en discutant de façon ouverte, démocratique, un élément que leur formation n'a pas prévu : la valeur économique de leurs études (continues d'ailleurs) et des actes qu'ils pratiquent ! Quel exemple ont-ils donné en se lançant dans toutes sortes de discours pendant les années et surtout les derniers mois qui ont précédé les décisions «finales» concernant le nouveau tarif ambulatoire appelé TarMed. C'est souvent la crainte des mieux rémunérés d'y laisser des plumes qui a été reprise de façon maligne par la presse, toujours prête à trouver une raison à la hausse des coûts de l'assurance maladie. Dans toutes ces évaluations, a-t-on vraiment estimé à leur juste valeur le risque inhérent à certaines activités, la longueur et la difficulté de la formation dans certaines spécialités, le prix de l'outil de travail ? Ainsi, certains médecins ne seraient pas prêts à «sacrifier leur revenu» au profit d'une redistribution envers les collègues dont le travail est moins bien honoré ? Mais se rend-on compte que c'est un leurre démagogique, du genre «faisons payer les riches» ? Croit-on vraiment «faire justice» en enlevant sans discernement ce que de rares personnes gagnent souvent au prix d'un dur labeur et d'une disponibilité permanente en le redistribuant à la masse des autres, dont le nombre diluera à un chiffre ridicule cette «redistribution» qui respecte la «neutralité des coûts» ?Certes, les journaux et les caisses ont parfois raison. La médecine coûte de plus en plus cher, et des abus existent. Le législateur ne doit pourtant pas se tromper de cible. Il sera difficile de cerner les vrais abus, et bien plus facile de décréter des limitations unilatérales d'offres de soins. Le peuple acceptera-t-il cela ? Oui, comme il a accepté la LAMal, une loi mal ficelée, pleine de bonnes intentions, mais qui comme la Loi sur les produits thérapeutiques (voir éditorial de Pierre Dayer, Med Hyg 2002, no 2387) est pleine d'articles dont l'interprétation peut entraîner des dérapages manifestes. Quel spécialiste a-t-il encore la chance de ne pas avoir eu maille à partir avec les caisses ? Enfin, avec certains employés mal formés de certaines caisses. Vous prescrivez un médicament dont tous reconnaissent l'utilité (utilité qui souvent, après les démarches bureaucratiques habituelles, est officielle quelques mois plus tard avec «l'indication reconnue» ou la «limitation levée») et la caisse refuse de rembourser, alors qu'un analogue moins efficace (et plus cher) aurait pu être prescrit sans difficulté administrative mais au détriment du malade.La médecine ne peut être prescrite, au moins pas encore, par des législateurs, et notre rôle n'est pas de nous taire et de continuer à soigner au mieux de notre conscience bafouée tous les jours. Il est grand temps de hausser le ton, de dire que si nous acceptons de travailler dans ce domaine, c'est parce que nous croyons à des valeurs qui ne peuvent être mises en équations économiques pures, ne vous en déplaise, mes savants amis du calcul coût-bénéfice.Comme l'a écrit Bertrand Kiefer (Bloc-notes : Retour sur l'insatisfaction médicale, Med Hyg 2002, no 2387) : Ce que les médecins défendent, ce n'est pas seulement leur petit bonheur. C'est la solidarité, c'est le fait qu'un individu n'est pas un autre, que tout ne se vaut pas, que nos vies ne trouvent pas de sens dans l'industrialisation de l'humain (ni dans la médecine considérée comme une entreprise).Sachons simplement dire que le progrès a un coût, et que la manière de prendre en charge ce coût est une question complexe de société. Sachons dire que personne ne voudrait plus rouler dans une voiture conçue en 1980 et que beaucoup hésitent si elle date de 1990 : donc qu'il faut beaucoup investir pour garder un certain niveau, et ce coût ne peut être ignoré. Sachons dire que ce coût actuellement n'est pas uniquement le fait des cabinets médicaux, dont la proportion ne représente que le quart du coût de la santé payé par les caisses, et devra même diminuer proportionnellement en 2002 (voir http://www.bsv.admin.ch/blind/kv/ statistik/f/f_01100503_grafiken.pdf).Et encore faut-il comprendre que ces chiffres sont trompeurs, car le système hospitalier public (et bientôt en partie le secteur hospitalier privé si la part cantonale lui est aussi allouée, comme prévu par le Tribunal Fédéral et comme décidé par le législateur) est subventionné, et donc son coût réel est largement supérieur à celui que paie l'assurance de base.Battons-nous pour assurer que notre formation continue soit vraiment prise en charge par les calculs tarifaires ; battons-nous pour que l'on comprenne que notre revenu brut n'a que peu de choses à faire avec notre revenu réel et que nos assistantes aussi ont droit à un salaire concurrentiel sur le marché du travail ; battons-nous ensemble avec tous les membres des professions médicales et paramédicales pour faire reconnaître la réalité de la charge de travail que nous portons tous et toutes, pour qu'elle puisse être réellement prise en compte par nos politiciens. Et n'oublions pas que la reconnaissance des malades nous est, quoi qu'on en dise, depuis longtemps largement acquise. Non, ne nous taisons pas, il en va de la santé de nos patients.
Contact auteur(s)
Matti Aapro et Jean-Pierre Chevalley Division de chirurgie
Institut multidisciplinaire d'oncologie
Clinique de Genolier
Genolier