Cas pratiqueUn couple de quarante ans consulte pour un désir d'enfant. Monsieur est divorcé avec deux enfants. Madame est divorcée sans enfant. Ils sont remariés depuis deux ans, n'utilisent pas de contraception et l'enfant se fait attendre. Les antécédents de grossesses extra-utérines (GEU) répétées de Madame n'ont laissé qu'une seule trompe, d'ailleurs obturée et de mauvaise qualité. La dernière GEU, il y a un an, a en effet abouti à une salpingectomie droite. Le couple demande donc une fécondation in vitro (FIV). Mais bien que le spermogramme soit normal, celle-ci leur est refusée car Madame a des cycles raccourcis et une FSH à 20, ce qui laisse entrevoir au médecin une préménopause. Dans ces conditions, les chances d'une conception, même assistée par FIV, sont proches de zéro.1. DiscussionLa loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA), en vigueur depuis le premier janvier 2001, est issue de l'article 24 novies1 de l'ancienne Constitution, adopté par 74% des Suisses en 1992. Pour être bien comprise, elle doit être replacée dans le contexte historique de son élaboration. La LPMA a, en effet, servi de contre-projet indirect à une initiative visant à interdire totalement la PMA en Suisse.Les détracteurs de la FIV étaient alors nombreux, particulièrement en Suisse alémanique. On peut y voir deux raisons : l'une d'origine religieuse, qui considère l'embryon comme une personne dès la conception, l'autre sémantique qui à travers des photos-montages et des reportages émotionnels a conduit à une confusion dans l'esprit de bien des gens : l'embryon manipulé par le biologiste au moment de la FIV n'est pas l'embryon décrit comme un «bébé miniature» par les journalistes. C'est un agrégat de quatre à huit cellules, dont les trois quarts vont aboutir à la formation du placenta et des membranes, le reste allant former, après la nidation, le «bouton embryonnaire».Sachant les risques que faisait courir à tous les couples stériles l'initiative en question, les parlementaires ont donc choisi une loi très restrictive la plus restrictive d'Europe avec l'Allemagne, l'Autriche et l'Irlande pour rassurer la population.2. Quelques exemples de restrictions prévues par la LPMAArt. 3 al. 2 LPMA. La FIV ne peut être réalisée que si le couple est à même d'élever l'enfant jusqu'à sa majorité.Art. 3 al. 3 LPMA. Le don de sperme est interdit dans un couple non marié.Art. 4 LPMA. Le don d'ovules et la maternité de substitution sont interdits.Commentaire : Si la maternité de substitution est interdite, pour des raisons psychologiques assez évidentes dans toute l'Europe, l'interdiction du don d'ovocytes interroge la notion d'égalité des sexes. Dans l'exemple cité en exergue, le don d'ovocytes est probablement la seule issue «biologique» pour ce couple, qui n'a d'autre choix, dans l'état actuel de la législation, que le tourisme médical ou l'adoption.Art. 5 al. 1 let. a LPMA. La FIV ne peut être réalisée que pour une stérilité, après échec de tout autre traitement
Commentaire : Cette norme institue de facto un ordre de priorité obligatoire pour les traitements. Or quand la chance de réussite d'un traitement est proche de zéro, ou quand le temps presse car les chances se dégradent rapidement (comme chez les couples de plus de 40 ans), il est problématique de passer quelques mois à des traitements vraisemblablement inutiles.Art. 5 al. 1 let. b LPMA
ou dans la situation où c'est la seule manière d'éviter aux descendants une maladie grave et incurable.Commentaire : A part les maladies héréditaires, on peut éventuellement interpréter cet article comme une autorisation à traiter les couples dont l'un des deux est séropositif. Mais il n'en reste pas moins la sévère restriction de l'article 3.2.Art. 5 al. 3. Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est interdit.2Commentaire : A l'époque de la rédaction de la LPMA, cette interdiction ne concernait que des situations exceptionnelles, pour lesquelles il n'y avait pas de justification à multiplier les centres de compétence en Suisse. Les progrès de la génétique moléculaire survenus depuis la publication de la loi ont été rapides, permettant des diagnostics beaucoup plus banals. Par exemple, les fausses couches à répétition sont souvent d'origine génétique. Par le DPI, on aurait maintenant la possibilité de ne transférer que les embryons sains et de guérir ainsi l'infirmité du couple. La controverse sur le DPI est alimentée par le soupçon d'«eugénisme» que font peser certains sur cette technique, en parlant de «sélection d'embryons». Il est pourtant difficile de voir une véritable différence de nature entre le DPI et le diagnostic prénatal classique à cet égard.Art. 16 LPMA. Les ovules «imprégnés» (ou ovules pénétrés par un spermatozoïde avant la fusion des noyaux (art. 2 let. h LPMA)) ne peuvent être conservés (congelés) que dans un but de procréation ultérieure.Art. 17 al. 1 LPMA. Ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu'au stade d'embryon que le nombre d'ovules imprégnés nécessaire pour induire une grossesse durant un cycle de la femme. Ce nombre ne peut être supérieur à trois.Art. 17 al. 3 LPMA. La conservation d'embryons est interdite.Commentaire : Cet article est dérivé de l'article 119 de la Constitution. C'est peut-être la disposition de la LPMA qui continue d'alimenter le plus de discussions. Elle implique en effet des obstacles sérieux au travail du médecin.Reprenons notre cas pour illustrer ce propos : La patiente a 40 ans. Ses ovaires ne contiennent plus qu'un nombre restreint d'ovocytes, qui sont pour la plupart atteints de défauts génétiques. Si le médecin, en conformité avec la loi suisse, acceptait de tenter une FIV sans don d'ovocytes, il devrait laisser se développer jusqu'au stade de 4 ou 8 cellules assez d'ovocytes pour se faire une idée de leur qualité dynamique et morphologique (à défaut d'une analyse génétique, encore impossible de routine). S'il ne met que trois ovocytes en fécondation (trois qu'il aura choisis au hasard puisqu'à ce stade il n'existe pas d'autre critère de qualité que la maturité des ovocytes), il en restera vraisemblablement un ou deux à transférer, avec une chance de grossesse nettement réduite par rapport à un transfert de trois. J'ai connu des médecins qui, pour ne pas enfreindre la loi, déposaient au fond du vagin les embryons les moins «évolutifs», si le nombre d'embryons obtenu dépassait trois.En se soumettant à l'article 17 al. 1 LPMA, le médecin renonce à donner les meilleures chances de grossesse à sa patiente.Le choix du législateur a été guidé par la crainte d'une dérive eugénique. En effet, la bonne pratique en la matière consisterait à mettre en fécondation davantage d'ovules que ceux destinés à être replacés dans l'utérus, afin d'être en mesure de sélectionner ceux qui ont une réelle chance de nidation. Pour ceux qui considèrent ces «embryons» comme des êtres humains potentiels, il est inadmissible d'en laisser certains dans l'éprouvette, quel que soit leur handicap supposé.3. Quelques réflexions en guise de conclusionLa loi sur la procréation assistée du 18 décembre 1998, et son ordonnance d'application du 4 décembre 2000 (Ordonnance sur la procréation médicalement assistée, OPMA), qui sont entrées en vigueur le premier janvier 2001, ont quelques défauts de jeunesse, inhérents au contexte historique de leur élaboration. Par notre cas, nous avons tenté d'illustrer quelques difficultés qui en découlent pour le travail du praticien.Il faut aussi, en souligner les mérites, qui sont nombreux.Dans l'article 2 LPMA, le législateur s'est efforcé de fournir une série de définitions : ainsi ftus, embryon, ovule imprégné, clone, chimère ou hybride. Grâce à ces définitions, le droit suisse s'est efforcé de clarifier des enjeux souvent obscurcis par des malentendus sémantiques.Dans cette loi, la garantie du bien de l'enfant est érigée en principe fondamental (art. 3 LPMA). Par exemple, l'enfant issu d'un don de sperme peut connaître à sa majorité l'identité du donneur (art. 27 LPMA). L'action en désaveu de paternité vis-à-vis du père social est exclue (art. 23 LPMA).La Suisse, grâce à la LPMA, s'est donnée une base légale pour la récolte et la consignation des données relatives à la procréation assistée (art. 11 et 24 LPMA).La loi insiste aussi sur le consentement éclairé. Après trois cycles de traitement sans succès, le couple doit renouveler son consentement et observer un nouveau temps de réflexion (art. 7 LPMA). A tout moment, un couple peut revenir sur sa décision et renoncer au traitement ou à la conservation des ovules imprégnés (art. 16 al. 4 LPMA).Finalement, la loi met en place une commission nationale d'éthique (art. 28 LPMA et Ordonnance sur la Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine, OCNE, du 4 décembre 2000) qui a pour mission de suivre l'évolution dans les domaines des techniques de procréation et du génie génétique dans la médecine humaine. Elle doit aussi donner des avis consultatifs d'ordre éthique sur les questions sociales, scientifiques et juridiques qui en découlent.Cette commission est indépendante du pouvoir politique. Ses membres (18 à 25) sont nommés par le Conseil fédéral pour quatre ans (renouvelables trois fois). Elle a aussi un rôle d'information. WNotes de lecture rapideLa loi sur la procréation médicalement assistée (et ses ordonnances d'application) est entrée en vigueur en 2001.Elle est très restrictive et interdit des pratiques universellement réprouvées comme le clonage reproductif ou la maternité de substitution, mais aussi des pratiques autorisées dans les pays qui nous entourent, comme le don d'ovocytes, le diagnostic préimplantatoire ou la congélation d'embryons. Ces dernières réserves rendent la pratique médicale moins performante et parfois en porte-à-faux avec la demande des patientes. L'adoption de la LPMA n'a donc pas mis fin au débat dans notre pays.