Sur une toile de fond faite d'accusation d'euthanasie et de conflit professionnel, c'est une bien méchante affaire qui, depuis quelques semaines, agite le CHU Jean-Minjoz de Besançon (Doubs). Le personnel paramédical du service de réanimation chirurgicale a dernièrement fait savoir à la presse qu'il avait alerté la direction générale depuis trois ans sur «les problèmes de prise en charge de la fin de vie» dans ce service. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de cette ville au vu de certains éléments d'une enquête administrative qui aurait, dit-on, mis en lumière ce que l'on qualifie pudiquement, sur place, de «dysfonctionnements». Pour le dire plus simplement, des médecins du service de réanimation chirurgicale sont accusés par des infirmiers d'avoir commis des «actes d'euthanasie». Pour sa part, le Pr Annie Boillot, chef du service, parle de «calomnie».Le communiqué du personnel paramédical indique que la prise en charge des fins de vie dans le service se faisait en l'absence de décisions collégiales et de dialogue avec les familles. Il accuse aussi des médecins d'avoir accéléré, par la prescription de certaines drogues, le décès de patients de manière à libérer des lits. Il est aussi fait état d'un cas où le médecin aurait volontairement exagéré vis-à-vis de la famille la gravité de l'état du patient. L'agence de presse Reuters évoque encore le cas d'un agent hospitalier qui estime que «la situation était insupportable pour les infirmières qui connaissaient les produits qu'on leur demandait de prescrire et qui pouvaient difficilement s'opposer à leurs supérieurs hiérarchiques». La demande des personnels de bénéficier de l'aide extérieure de professionnels en soins palliatifs n'aurait jamais été suivie d'effets.Pour le directeur général du CHU, en l'état actuel du dossier, on peut simplement dire que le rapport des trois médecins inspecteurs de santé publique s'interroge effectivement sur les pratiques médicales de fin de vie du service et sur son organisation. Dans les premiers jours du mois de mai, trois anesthésistes réanimateurs extérieurs à l'établissement devaient conduire une mission d'expertise complémentaire pour évaluer les pratiques médicales du service et proposer les réorganisations nécessaires. «Il faut attendre les résultats de la mission d'expertise et de l'enquête judiciaire avant d'avancer des conclusions ou des jugements définitifs, souligne le directeur. Le président de la commission médicale d'établissement n'a, quant à lui, pas relevé un taux de morbidité anormal dans le service mais ajoute qu'aucune enquête précise n'avait été conduite sur le sujet.»Nul ne fait mystère que dans ce service qui emploie cinq médecins à temps plein des problèmes relationnels existent depuis plusieurs années sans que l'on puisse avec précision en situer les racines et les conséquences. Pour sa part, l'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) de Franche-Comté rappelle dans un communiqué que «certains faits rapportés par la mission d'inspection concernant les pratiques médicales ont conduit le préfet et l'ARH à faire un signalement au procureur de la République». Le procureur de Besançon a indiqué que le service régional de la police judiciaire de Dijon (Côte-d'Or) a déjà commencé son enquête. «La justice se saisit dès lors qu'il est porté à sa connaissance des faits susceptibles après enquête de donner lieu à une qualification pénale, rappelle-t-il. Les pratiques évoquées dans le rapport des inspecteurs de santé publique que l'on m'a remis fin mars laissent perplexes. Elles concernent effectivement les thérapeutiques de fin de vie. Nous devons vérifier si elles sont légales ou non».Que penser ? On se gardera bien, à ce stade, de trancher. Mais comment ne pas faire le rapprochement avec le texte qui vient d'être rédigé, sous la houlette de Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé du gouvernement de Lionel Jospin, lors la seconde journée nationale de consultation réunissant une cinquantaine de personnalités confrontées, pour des raisons professionnelles, philosophiques ou religieuses, à la question de l'euthanasie. Intitulé «éléments de réflexion sur la fin de vie», ce texte a été rédigé de manière consensuelle. «Au cours de l'accompagnement d'un patient, tout au long de sa vie et jusqu'à ses derniers instants, la question peut être posée, y compris par lui, de l'arrêt, du retrait ou de la non-mise en uvre de traitements vitaux, même si une telle décision est susceptible de hâter la mort, peut-on lire en préambule. Chez d'autres, le soulagement des souffrances peut conduire à rapprocher l'échéance de la mort. La finalité palliative ne doit pas occulter ses conséquences éventuelles sur la fin de la vie.»Les signataires ajoutent que «dans l'ensemble de ces cas, mais dans ces cas seulement», ils proposent que «soit considérée possible la non-prolongation de la vie» si «au moins» sept précautions sont respectées. Ces précautions sont les suivantes : «La volonté de la personne malade doit toujours être recherchée et respectée» ; «Si celle-ci n'est pas connue et ne peut pas l'être, la décision doit associer la personne de confiance qu'elle aura désignée ou, à défaut, ses proches. Elle prendra en compte la singularité de la personne concernée, sa personnalité, ses convictions philosophiques et religieuses» ; «La décision ne peut être que collective. Elle ne saurait être une décision individuelle» ; «La décision ne peut être prise dans l'urgence» ; «Elle doit respecter le temps d'une véritable délibération visant à clarifier les intentions de chacun» ; «Le médecin doit assumer lui-même la réalisation et les conséquences de sa décision» ; «Les éléments permettant de savoir que la délibération a eu lieu doivent être inscrits dans le dossier du malade».Et, pleinement conscients de l'époque dans laquelle nous entrons, les signataires formulent le souhait «que les considérations économiques ne soient jamais des arguments pris en compte dans l'élaboration des décisions de non-prolongation de la vie».