C'est bel et bien une nouvelle étape dans la construction d'une éthique européenne qui vient d'être franchie avec la publication, mardi 7 mai à Bruxelles, d'un avis du groupe d'éthique européen (GEE) sur les cellules souches et les conditions de leur brevetabilité. Si les cellules souches ne sont plus à présenter aux lecteurs éclairés de Médecine et Hygiène,1 il en va peut-être différemment du GEE. Présidé depuis sa création par Noëlle Lenoir, ancien membre du Conseil constitutionnel français, cette structure est placée auprès de la Commission européenne et rend des avis consultatifs sur les thèmes situés aux confluents de la morale et de la maîtrise scientifique ou industrielle du vivant. Il ne s'agit nullement ici d'une police éthique, d'un Opus Dei moderne. Les avis du GEE ne peuvent s'imposer aux législations nationales même s'ils peuvent se révéler précieux pour les pays de l'Union européenne qui ne se sont pas encore dotés d'un arsenal législatif dans le champ de la bioéthique ou qui ont entrepris de compléter leur dispositif en la matière. «Notre groupe cherche à trouver des points d'équilibre entre la liberté de la recherche et le respect de la dignité humaine», résumait il y a quelque temps lors d'un colloque parisien Göran Hermerén, philosophe suédois et membre du GEE.Brevetabilité des cellules souches humaines ? C'est la première fois que le GEE se prononçait sur un sujet dont il souligne lui-même à quel point les aspects financiers et moraux apparaissent, au vu de l'émergence de la médecine régénérative, tout à fait considérables. Romano Prodi, président de l'Union européenne, souhaitait, en pratique, savoir si les cellules souches humaines pouvaient ou non faire l'objet de protection par brevet au regard de la directive de 1998 sur la protection légale des inventions biotechnologiques. L'équilibre, ici, consistait à trouver un consensus entre la position défendue par les tenants des intérêts biotechnologiques et celle de ceux qui redoutent que la prise de brevets sur des cellules embryonnaires humaines ne soit que la première étape vers la réification de l'embryon et une forme rampante de commercialisation du corps humain.Pour le GEE, les cellules souches humaines, qu'elles soient prélevées sur des organismes adultes ou lors de la destruction d'embryons ne sont brevetables «que si elles remplissent au sens le plus strict les critères de la brevetabilité». On retrouve ici la frontière entre la découverte (non brevetable) et l'invention (brevetable) qui, depuis deux siècles, nourrit la philosophie des brevets. En d'autres termes, le GEE estime que pour que des cellules ou des lignées de cellules soient brevetables il faut qu'elles soient le fruit non pas d'un simple isolement mais bien de travaux spécifiques (différenciation, manipulations génétiques, etc.) permettant de préciser à quel usage thérapeutique, à quelle application industrielle potentielle, elles peuvent être destinées.L'avis du GEE concerne tous les procédés d'obtention de ces cellules et de ces lignées qui sont en principe brevetables. Il émet toutefois de sérieuses réserves concernant le clonage thérapeutique. Dans un précédent avis daté de novembre 2000 ce groupe avait jugé «éthiquement inacceptable la création d'embryons à partir de dons de gamètes afin de se procurer des cellules souches, étant donné que les embryons surnuméraires représentent une source alternative disponible». Sur la question du clonage thérapeutique, le GEE estimait alors que «la création d'embryons par transfert de noyaux de cellules somatiques pour les besoins de la recherche sur la thérapie par les cellules souches serait prématurée».Le groupe présidé par Noëlle Lenoir appelle d'autre part de ses vux la mise en place d'un registre européen des données sur les lignées cellulaires existantes afin notamment de faciliter l'accès des équipes de recherche à un matériel biologique dont tout indique qu'il va devenir indispensable à des recherches aujourd'hui perçues comme hautement prometteuses. «La question de la brevetabilité des cellules souches humaines et de leur usage par la médecine régénérative renvoie à des situations très contrastées dans les pays européens, a déclaré au Monde Noëlle Lenoir. Il faut compter avec les pays qui interdisent les recherches sur l'embryon comme la France, l'Allemagne et l'Autriche ceux qui autorisent seulement l'importation des cellules souches l'Allemagne et la France et ceux qui ont une conception beaucoup plus ouverte à la science, c'est le cas de la Grande-Bretagne et de la Suède.»Pour l'heure, les enjeux financiers inhérents à la brevetabilité des lignées de cellules souches (avec ou non invention ajoutée) sont aujourd'hui surtout concentrés aux Etats-Unis, en Australie, en Israël et en Inde. De fait, en l'absence d'un encadrement législatif contraignant, ces pays peuvent créer et développer ces précieuses lignées cellulaires que l'on regarde déjà comme la Fontaine de Jouvence thérapeutique de demain. Il nous reste aujourd'hui à savoir quelle lecture Romano Prodi fera de cet avis et, surtout, quelle disposition prendra le trop méconnu Office européen des brevets de Munich. Il nous reste aussi, Jouvence aidant, à goûter la citation que nous offre le Robert ; une phrase datée du 29 septembre 1675 signée de Mme de Sévigné : «Ma santé est comme il y a six ans : je ne sais d'où me revient cette Fontaine de Jouvence.»Mme de Sévigné que l'on préférera à André Gide qui, préfigurant peut-être la fin du cauchemar, écrivait dans son journal : «au sortir de ce bain de jouvence qu'est le dormir, je ne sens pas trop mon âge». Nous étions alors le 6 février 1944 ; nous sommes aujourd'hui le 8 mai 2002.1 Pour une bibliographie presque exhaustive et une lecture à bien des égards éclairante, on se reportera à l'article «Cellules souches et médecine régénératrice» signé du Pr Axel Kahn dans le mensuel franco-québécois daté d'avril 2002 Médecine/Sciences.