«Si la communauté internationale de la santé publique continue à ignorer la pandémie globale de traumatismes routiers, elle devra répondre de plusieurs millions de morts et de blessures évitables.» Sous un titre choc, «War on the roads», les éditorialistes du British Medical Journal du 11 mai présentent d'emblée l'hécatombe routière comme un problème sanitaire. Publié à l'occasion de la 6e conférence mondiale «Prévention et contrôle des traumatismes» qui s'est tenue à Montréal du 12 au 15 mai avec le parrainage de l'OMS, ce numéro thématique aborde la sécurité routière sous un angle médical.Vue ainsi, la pandémie des traumatismes routiers fait plus de victimes que la malaria ; elle touche d'abord les usagers les plus faibles (piétons et cyclistes, enfants et personnes âgées) ; elle concerne davantage les couches sociales défavorisées, comme le montre une étude britannique publiée dans le même numéro ; elle pèse lourdement sur les pays en développement, qui comptent déjà 85% des victimes et 90% des années d'infirmité due aux transports ; elle est en augmentation avec la motorisation galopante dans certaines parties du monde. Enfin, n'étant pas inéluctable, elle se prête à la prévention et appelle une action de santé publique vigoureuse.L'argument porte. Il est vrai que la tolérance de nos sociétés face au tribut de la route est stupéfiante. Mais ce problème social, politique, culturel appelle-t-il réellement une réponse de type santé publique ? La médicalisation du problème n'est-elle pas une façon de l'évacuer ? «L'inquiétude de voir les médecins s'intéresser à autre chose qu'à des problèmes strictement médicaux est récurrente, observe Olivier Duperrex, pédiatre communautaire au Service genevois de santé de la jeunesse et à l'Institut de médecine sociale et préventive de l'Université de Genève, coauteur d'une contribution parue dans le BMJ. Mais pourquoi la lutte contre le virus du sida ou les campagnes de vaccination seraient-elle plus "médicales" que la prévention des traumatismes ? Dans tous ces domaines, des comportements, la culture et le mode de vie influent sur l'état de santé de la population.»S'il considère l'hécatombe routière comme un problème de santé publique, le chercheur se défend pourtant d'en faire un domaine purement médical. «Le médecin que je suis estime qu'il peut mettre certaines de ses compétences au service d'un effort qui rassemble bien d'autres acteurs.» L'article qu'Olivier Duperrex cosigne dans le BMJ en est un exemple (BMJ 2002 ; 324 : 1129-31). Il s'agit d'une revue systématique des études sur l'efficacité de l'éducation routière. Elle montre que, si l'éducation routière peut induire des changements de comportement, aucune étude randomisée ne démontre son efficacité en termes de réduction des traumatismes. «Attention, prévient le chercheur, cette absence d'évidence ne signifie pas évidence d'absence. On constate simplement que l'efficacité de l'éducation routière est peu étudiée. Autre résultat révélateur : aucun essai randomisé ne porte sur l'éducation des personnes âgées, un autre groupe vulnérable, ni sur l'éducation dans les pays en développement.»Pour le spécialiste, l'identification de ces lacunes est importante. «Parmi les différentes stratégies de prévention aménagements des routes, éducation des usagers et mesures légales , la tendance est de mettre l'accent sur l'éducation. Mais si celle-ci s'avère insuffisante, comme nous le soupçonnons fortement, il s'agit de le dire, car il faut alors prendre simultanément d'autres mesures.»Plusieurs articles parus dans le BMJ examinent l'efficacité réelle de différentes stratégies adoptées, proposées ou négligées (lire encadré). Cette approche sceptique et rationnelle a le mérite de démasquer la désinformation. Pour ne donner que deux exemples : la sécurité qu'offrent les véhicules lors de chocs avec des piétons pourrait être grandement améliorée pour un surcoût modeste, contrairement à l'avis de certains constructeurs. Ou encore : la décision britannique de ne plus dissimuler les radars de contrôle de vitesse ne repose sur aucune évidence scientifique.Quelques résultatsLes airbags diminuent de 8% seulement le risque de décès dans les 30 jours après l'accident. La ceinture de sécurité à elle seule réduit ce risque de 65%, l'airbag et la ceinture de sécurité ensemble de 68%. Ces chiffres ressortent d'une vaste étude sur tous les véhicules occupés par deux personnes et impliqués dans un accident mortel aux Etats-Unis entre 1990 et 2000 (BMJ 2002 ; 324 : 1119-22).Les ceintures de sécurité sont efficaces pour protéger les enfants, même si elles sont conçues pour des adultes. Malgré cela, leur port est souvent négligé : dans cette étude canadienne, seuls 40% des enfants étaient attachés au moment de l'accident (1123-5).La somnolence, la conduite après moins de 5 heures de sommeil ou entre 2 et 5 heures du matin sont associées à un risque d'accident grave. Jusqu'à un cinquième des accidents de ce type pourraient être évités si les conducteurs ne prenaient pas le volant dans l'une de ces circonstances (1125-8).Des routes plus sûres favorisent-elles une conduite à risque ? Deux spécialistes argumentent pour et contre cette formulation routière de la théorie de la «compensation du risque» (1149-52).Des airbags extérieurs, des capots se soulevant en cas de choc ou des pare-chocs absorbant l'énergie pourraient réduire grandement la gravité des lésions infligées aux piétons en cas de choc, et ceci à un coût acceptable. Les constructeurs européens ne veulent cependant pas d'une législation contraignante et proposent un «accord volontaire» (1145-8).