Nous poursuivons ici la relation du séminaire de recherche clinique sur l'infection par le VIH que vient d'organiser à l'Institut Pasteur de Paris l'Agence nationale française de recherches sur le sida (ANRS) et qui a réuni plusieurs centaines de chercheurs et cliniciens. Outre la question des complications métaboliques des antirétroviraux (Médecine et Hygiène du 5 juin 2002), cette rencontre a permis de faire le point sur les nouvelles stratégies thérapeutiques.
L'un des thèmes abordés lors de ce séminaire était celui des «nouvelles cibles thérapeutiques». On sait que les antirétroviraux actuellement utilisés sont actifs sur deux cibles du VIH : la transcriptase inverse et la protéase. Rappelons que la première est une enzyme qui permet à l'ARN du virus de se transformer en ADN afin de pouvoir être ensuite intégré à l'ADN de la cellule infectée et que la seconde est également une enzyme qui participe à l'assemblage des éléments constitutifs du VIH, avant son relargage dans le compartiment extracellulaire. «Les traitements associant ces deux types d'antirétroviraux se heurtent à deux principales limites : d'une part, les phénomènes de résistance qui induisent une perte de sensibilité du virus à l'action inhibitrice des médicaments, d'autre part les effets indésirables associés à la prise des antirétroviraux qui altèrent la qualité de vie des patients et limitent la durée de prise des traitements» rappelle-t-on auprès de l'ANRS.
Des recherches sont en cours pour développer des médicaments agissant sur d'autres cibles du virus. Le programme de recherche de l'ANRS dans ce domaine privilégie deux de ces cibles : l'entrée et l'intégration.
I Les inhibiteurs d'entrée. Il s'agit ici de molécules possédant la capacité de bloquer le virus avant qu'il ne pénètre dans la cellule. Il existe schématiquement trois catégories possibles d'inhibiteurs d'entrée : des inhibiteurs de la liaison entre l'enveloppe du virus et le récepteur CD4 présent à la surface des cellules infectées (aucun inhibiteur de ce type n'est disponible) ; des inhibiteurs de la liaison entre l'enveloppe du virus et les corécepteurs (CXCR4 et CCR5) présents à la surface des cellules infectées (quelques inhibiteurs sont à un stade d'évaluation clinique très préliminaire) ; des inhibiteurs de la fusion entre l'enveloppe du virus et l'enveloppe de la cellule infectée (plusieurs sont en cours de développement clinique).
«Dans cette dernière catégorie, le plus avancé est le T20 qui fait actuellement l'objet de plusieurs essais de phase III conduits chez des patients multitraités et à un stade avancé de l'infection par le VIH, résument les organisateurs du séminaire. Les premiers résultats disponibles sont en faveur d'une bonne activité antirétrovirale du T20 associé à d'autres antirétroviraux. Le principal handicap du T20 réside dans le fait qu'il est administré par voie sous-cutanée en deux injections par jour. Deux autres molécules, le T1249 et le T649, sont à un stade de développement préliminaire. Des phénomènes de résistance du VIH à ces molécules ont déjà été mis en évidence. Cependant, cette nouvelle classe d'antirétroviraux devrait permettre de disposer de nouvelles possibilités thérapeutiques, notamment pour les patients en situation d'échec thérapeutique.»
I Les inhibiteurs de l'intégrase. Rappelons que l'intégrase est une enzyme virale intervenant dans le cycle de réplication du VIH et que sa fonction est de «couper» l'ADN de la cellule infectée ce qui assure l'intégration au sein de ce dernier de l'ADN viral. On comprend aisément que sans cette phase d'intégration, le VIH est incapable de poursuivre sa réplication. Le programme de recherche de l'ANRS a pour objet de produire cette enzyme sous forme recombinante et d'en déterminer la structure tridimensionnelle. Corollaire : cette approche tend à identifier les sites actifs de l'intégrase et à déterminer si des molécules sont susceptibles d'interagir sur ces sites. C'est précisément de cette manière qu'ont été mis au point les inhibiteurs de protéase. Les spécialistes de l'ANRS qualifient aujourd'hui de «prometteuses» les perspectives de développement des inhibiteurs de l'intégrase. Ils ajoutent qu'une molécule (le S-1360) est en cours d'évaluation dans un essai clinique de phase I-II.
Un autre chapitre important est celui des nouveaux marqueurs immunovirologiques de la maladie tant il est vrai que la recherche thérapeutique et vaccinale dépend étroitement des outils dont disposent les chercheurs pour progresser. L'ANRS a pour sa part engagé différents programmes de travaux en immunologie et virologie pour favoriser la mise au point de nouveaux marqueurs du statut immunovirologique. La mesure de la charge virale ARN VIH plasmatique est devenue ces dernières années un marqueur incontournable pour les cliniciens, pour évaluer à la fois l'évolution de l'infection par le VIH et l'efficacité des traitements antirétroviraux. Malheureusement, la charge virale plasmatique ne mesure que la quantité de virus présents dans le flux de la circulation sanguine. En d'autres termes, elle ne renseigne pas sur le nombre de cellules circulantes infectées qui alimentent la réplication du virus. Seule la mesure de l'ADN proviral permet de connaître le nombre de ces cellules. Le Pr Christine Rouzioux et son équipe du CHU Necker-Enfants Malades (Paris) ont mis au point une technique de quantification de l'ADN simple et directe. Cette technique a été évaluée au cours de plusieurs essais thérapeutiques (ANRS 079 Primoferon, ANRS 100 Primstop). «Les résultats obtenus montrent notamment que l'ADN proviral est un marqueur prédictif du risque d'évolution vers le sida, indépendamment du nombre de lymphocytes CD4 et de la charge virale plasmatique», précisent les organisateurs du séminaire. Pour le Pr Rouzioux, l'utilisation de la mesure de l'ADN proviral devrait notamment contribuer à individualiser le choix du meilleur moment pour initier, interrompre ou reprendre les traitements.