Le distique est devenu proverbe : «Je ne puis rien nommer si, ce n'est par son nom, j'appelle un chat un chat et Rolet un fripon» (Nicolas Boileau, satire I vers 51-52 ou http://www.anthologie.free.fr/anthologie/boileau/boileau.htm pour lire le reste qui est admirable !). Cet auteur semblait donc opter pour la franchise dans le propos public : attitude certainement éthiquement correcte et socialement responsable
mais dont le sens commun perçoit (assez) rapidement les risques et les difficultés, si l'on s'y arrête un peu au moins...Je veux bien reconnaître d'abord qu'il n'y a pas de secteur de la vie économique ou politique qui ne soit touché par des vagues de rationalisation ou de réorganisation. Je discerne également sans difficulté que l'entrée en vigueur des bilatérales soulève des questions rémanentes sur les possibles installations de confrères étrangers. Je souligne toutefois s'il n'est pas de réforme dont on ne nous explique, dans l'«urgence» au moins, à quel point elle répond à d'incontournables nécessités, à d'impérieuses contraintes
il n'est pas rare non plus que ces dernières se révèlent à l'analyse bien moins évidentes qu'elles ne le paraissent !Je veux bien reconnaître aussi qu'il en va de la responsabilité de chacun de mettre en place et de défendre un système de santé social et moderne, respectant à la fois des critères d'économie, d'équité et d'efficacité. J'affirme aussi volontiers qu'il ne peut s'agir de défendre des intérêts corporatifs et, qu'en tant que médecin, j'ai la responsabilité directe des coûts que je génère et du type de soins que je propose à mes patients.Sans me complaire, je n'hésite pas non plus à affirmer que la médecine d'aujourd'hui est le reflet de l'évolution de la pensée collective des pays occidentaux : vouée à l'élaboration d'un monde technique, nourrie aux sources du positivisme, issue de sociétés pour lesquelles le bien s'attache davantage à l'avoir qu'à l'être, considérant la santé comme un capital et la maladie comme une perte ou un préjudice. C'est certainement un peu tout ceci qui encourage aussi parfois, à défaut d'autres lieux, nombre de «patients» à considérer les cabinets médicaux/hôpitaux comme des endroits où l'on peut y chercher réparation
ou y trouver l'exutoire à un futur plutôt morose.Si je suis prêt (comme vous ?) à entrer en négociation sur de nombreux aspects de ma pratique sur la rationalisation de l'offre, mais aussi sur la standardisation des pratiques, sur la chasse aux «moutons noirs»,
et pourquoi pas, après tout, sur mes conditions de travail, mes horaires et l'indexation de mes revenus ! je suis même disposé à reconsidérer mes perspectives d'avenir (si elles existent !). Dans ces heures sombres pour la médecine et les soins, je dis quand même que le citoyen-médecin suisse a plutôt la tendance instinctive à pratiquer les variantes sémantiques de la rude franchise de Boileau : abnégation molle lors de débats médiatiques tronqués où les «solutions» que nous proposent nos dirigeants ne font que renforcer encore davantage l'image d'une médecine à consommer absolument : «moins de médecins installés, moins de coûts»
à ce rythme-là, ceux qui approchent de 65 ans seront assurément de la prochaine vague des «mis au placard» de cette saga ! Deuxième possibilité : les petits florilèges d'euphémismes. Ne pas affirmer en public «je suis prêt à descendre dans la rue», «on me prend pour un c
!», mais «les temps sont difficiles» ou «l'humeur n'est pas au beau fixe !». Quels termes pourrions-nous donc réserver à ceux qui assistent sans rien dire aux assauts réguliers des fonctionnaires ronronnants de nos administrations ? De quels termes nous qualifierons nos patients et nos stagiaires ? : «Fossoyeurs» ? «Résistants à la gomme ?».Certes, la jurisprudence admet pour chacun un droit au choix de son camp, de ses actions
et de son vocabulaire. Certes, les possibilités de recours ou de rébellion sont minces par rapport à une modification de l'ordonnance sur la LAMal en application d'un changement de loi accepté en mars 2000. Certes, l'avenir seul nous dira jusqu'où on peut aller dans la délivrance d'un double message consistant à vouloir promettre à nos concitoyens un traitement égal devant la loi et sur le marché du travail
mais à refuser brutalement à de jeunes médecins hospitaliers les possibilités de s'installer après 10-15 ans de pratique. Que signifient vraiment les atermoiements de ces dernières années ? Et d'ailleurs, entre nous, pensez-vous qu'il serait seulement venu à l'idée de nos responsables de se risquer à proposer à n'importe quel autre corps de métier (un peu) mieux organisé ce qu'ils se préparent à nous faire endurer sans consultation ni vergogne ?La conclusion est un art difficile et je sens bien que j'ai du mal moi aussi. Prudent et philosophe, je n'écrirai néanmoins plus «ça ira mieux demain» ou «on verra bien ce qui sortira du prochain rendez-vous du Conseil Fédéral le 3 juillet prochain» mais plutôt : «j'espère que d'autres oseront dire NON plus souvent que je ne me suis risqué à le faire jusqu'à maintenant». On ne saurait être plus précis