Il existe dans la population un petit nombre d'individus qui parviennent à maintenir des capacités physiques exceptionnelles tout au long de leur existence. Cet article reprend quelques données illustrant l'évolution des meilleures performances en fonction de l'âge et du sexe dans certaines disciplines relevant plus spécifiquement de certaines filières métaboliques, aérobie, anaérobie lactique ou anaérobie alactique (force/vitesse). Ces observations soulignent le fait qu'il est possible de conserver un pourcentage appréciable de capacités physiques durant les processus du vieillissement. L'intérêt de l'étude de ces cas hors du commun réside dans le fait qu'ils constituent un baromètre du possible, qu'ils permettent une meilleure compréhension des interactions entre l'âge et les phénomènes d'adaptation à l'entraînement et qu'ils peuvent servir de support de motivation pour la lutte contre la sédentarité dans notre pratique quotidienne.
Dans un petit pourcentage, les individus âgés parviennent à conserver tout au long de leur vie des capacités physiques hors du commun, parfois jusqu'à l'âge de 80 ou 90 ans. S'ils ne réalisent évidemment plus les performances qui étaient les leurs à 20 ans, leurs capacités physiques dépassent souvent largement celles d'une grande partie des jeunes adultes.
Mais qui sont donc ces personnages exceptionnels ? Il s'agit parfois de sportifs de haut niveau, n'ayant jamais cessé de s'entraîner dans leur spécialité de prédilection qu'ils continuent à pratiquer quotidiennement et dépassant ainsi les capacités de nombreux collègues bien plus jeunes. Il s'agit parfois aussi d'anciens professionnels du terrain, pompiers, policiers, bûcherons, guides de montagne ou plongeurs, qui ont besoin, dans l'exercice quotidien de leur métier, de beaucoup de force ou d'endurance. Il va sans dire qu'il est difficile de décrire les performances physiques accomplies dans le cadre professionnel. En revanche, les résultats obtenus par les vétérans en compétition sont beaucoup plus faciles à quantifier et permettent aisément de comparer entre elles les différentes classes d'âge, dans la mesure où le cadre dans lequel les épreuves se déroulent répond à des critères mesurables et à des règles parfaitement codifiées. C'est donc de ces athlètes qu'il sera question dans cet article.
Pourquoi s'intéresser à ces quelques individus âgés hors classe au plan physique, mais qui ne représentent qu'une infime partie de la population générale ? D'abord, ils forment l'extrémité droite d'une courbe de distribution allant de l'impotence physique au niveau d'athlète d'élite, ce qui rend l'analyse du phénomène particulièrement intéressante et permet de confronter le modèle physiologique théorique à la réalité fonctionnelle du terrain. De plus, ils fournissent des données officielles et contrôlées, qui constituent un véritable baromètre du possible en termes de performance physique au cours du processus du vieillissement.
Au-delà des compétitions locales dans diverses disciplines, telles que la course à pied, le tennis, le football ou le cyclisme, pour n'en citer que quelques-unes, il existe de grands événements sportifs internationaux réunissant régulièrement l'élite mondiale des seniors et des vétérans répondant à un critère d'âge minimum. C'est le cas, par exemple, des World Veterans Games, des championnats d'athlétisme qui se sont tenus tous les deux ans depuis la première édition de 1975 à Toronto et qui ont réuni en 1989 près de 5000 athlètes provenant d'une soixantaine de nations.1 L'âge minimum de participation à ces championnats est de 35 ans et les épreuves sont divisées en catégories d'âge avec des participants dépassant parfois allègrement les 80 ou même les 90 ans. On rappellera ici que l'on est considéré comme «vieux» en natation à 30 ans, alors que l'on peut encore prétendre appartenir à l'élite dans une discipline d'endurance en athlétisme à l'âge de 35 ou même 40 ans.
Les figures 1a-e représentent les meilleures performances mondiales réalisées sur 100 mètres, 800 mètres et 10 000 mètres, ainsi que sur le lancer du poids et le saut en hauteur, en fonction de l'âge.2,3 Il faut noter qu'il s'agit de données transversales et non de données longitudinales. En d'autres termes, les points des graphiques représentent les meilleures performances établies par différents individus à un âge donné. Il est frappant de constater que les performances de ces athlètes subissent une diminution très progressive et ne chutent véritablement de manière importante que dès l'âge de 80 ans. Les données ne sont d'ailleurs plus très consistantes à partir de ce moment-là, en raison notamment de la diminution inévitable du nombre de participants et surtout de participantes. On remarquera également que certains hommes âgés de 80 ans sont capables de courir le 10 000 mètres en à peine plus de 40 minutes et que quelques femmes octogénaires font la distance en un peu plus d'une heure seulement.
En comparant les performances en course à pied dans les deux sexes, on retrouve les différences bien connues et qui sont largement attribuées à la différence de composition corporelle (masse grasse plus élevée chez la femme). Dans les lancers, les comparaisons sont plus aléatoires en raison des différences de poids utilisés en compétition. La performance des femmes en saut en hauteur est inférieure à celle des hommes à tous les âges d'environ 22% et les femmes perdent, dans cette discipline, 53% de leurs capacités à un âge avancé contre 45% chez les hommes.
La figure 2 illustre les performances réalisées sur différentes distances en pourcentage du record du monde.2,3 La perte, quelle que soit la distance, est de l'ordre de 1% chaque année, ce qui correspond globalement à la perte observée au niveau de la fréquence cardiaque maximale au cours du vieillissement. Si la diminution des performances en course à pied est frappante pour toutes les tranches d'âge et semble se renforcer durant les périodes successives de cinq ans, il n'en reste pas moins que ces athlètes parviennent à maintenir des performances correspondant à plus de 50% du record du monde. Les athlètes de la catégorie de plus de 85 ans font même mieux que 60% sur le 100 mètres. D'autre part, les différentes courbes mesurées sur les différentes distances en fonction de l'âge ont des pentes très proches.
L'idée très répandue selon laquelle la capacité d'endurance serait mieux conservée au cours du vieillissement que la capacité de force/vitesse ne se vérifie donc pas dans cette étude transversale. Par contre, on observe une perte de performance beaucoup plus importante au cours du vieillissement dans les sauts que dans la course à pied. Manifestement, les activités nécessitant, outre de la puissance dans les membres inférieurs, une coordination de mouvements complexes impliquant le corps entier, sont plus affectées par l'âge. A cet égard, le sprint est une activité locomotrice anaérobie pure, dont la durée est extrêmement courte et qui se trouve par conséquent moins touchée par les effets du vieillissement (fig. 2).
Les analystes de la performance sportive utilisent deux approches pour évaluer les effets de l'âge sur les mécanismes physiologiques.
La première, connue sous le terme de age at peak performance,4,5 consiste à examiner l'âge auquel sont réalisés les records dans différentes disciplines sportives. Lorsque le détenteur de la meilleure performance dans une activité a 18 ans et que le recordman dans une autre spécialité a 35 ans, on peut en déduire l'importance des filières physiologiques et les qualités requises en premier lieu : des qualités parvenant à maturité précocement ou nécessitant au contraire de l'expérience et de la capacité d'analyse. Par exemple, le lancer du poids nécessite de la force explosive, fournie par le système anaérobie alactique, tandis que le marathon exige une production d'énergie aérobie pendant une période prolongée. Si la meilleure performance au lancer du poids est réalisée par un individu plus jeune que l'auteur de la meilleure performance sur le marathon, on pourrait en déduire que le vieillissement a des effets plus délétères sur la combinaison du système anaérobie et de la fonction d'intégration neuromusculaire. Jusqu'au début des années 90, l'âge auquel ont été réalisées les meilleures performances dans des sports tels que la course à pied et le cyclisme est en effet resté assez constant, un argument en faveur de cette méthode. Pendant longtemps, l'ordre des distances de courses du 100 mètres aux 50 kilomètres, en passant par le demi-fond et le marathon, est ainsi resté plus ou moins identique à l'âge des détenteurs du record sur ces distances respectives. Plus la distance était courte, plus le champion était jeune. Depuis une quinzaine d'années, cette règle a cependant subi passablement d'entorses et nombre de records dans les disciplines du sprint et des sauts ont été battus par des athlètes de 30 ans et plus. On peut peut-être expliquer ce phénomène par la nécessité d'un plus grand nombre d'années d'entraînement pour atteindre les performances actuelles, mais on ne peut pas exclure qu'il s'agisse d'une sorte d'effet d'optique dû à l'apparition ou à la généralisation de certaines «méthodes d'entraînement» peu recommandables. Toujours est-il que le concept du age at peak performance mérite d'être revu.
La seconde approche repose sur l'étude des pertes relatives de performances au cours des décennies successives dans différentes disciplines sportives et d'en déduire les systèmes physiologiques, biochimiques et structurels affectés. Elle fait appel à des techniques de modélisation statistique. Certains auteurs ont ainsi proposé des équations permettant de prédire les performances futures d'un individu, en fonction de l'âge et de la distance/vitesse.6,7,8 Ces différents modèles ont tous mis en évidence un certain nombre de points :
I Les performances aérobie et anaérobie déclinent avec l'âge, mais on ne sait toujours pas à l'heure actuelle si l'un des deux systèmes subit une détérioration plus importante que l'autre .
I Il est probable que les effets spécifiques du vieillissement sur les différents systèmes métaboliques ne peuvent se résumer à une simple relation isolée de cause à effet sur l'une des filières énergétiques.
I Le déclin de la capacité de performance liée à l'âge dans une activité physique dépend largement des interactions entre les filières métaboliques utilisées, les systèmes fonctionnels impliqués, les effets du vieillissement et les effets de l'entraînement. Ainsi, bien que le 100 mètres et le triple saut relèvent tous deux de la filière anaérobie alactique, la diminution des performances dans le triple saut avec l'âge est bien supérieure à celle qui s'observe dans le 100 mètres.
I Il existe d'autres facteurs limitants de la performance, de nature non physiologique, mais tout aussi puissants. Il s'agit en particulier de la diminution du volume et de l'intensité des entraînements (impératifs familiaux et professionnels, limitations imposées par la tolérance aux efforts de l'appareil locomoteur, baisse de la motivation, aspects psychosociaux et pression sociale).
Un article de F. Amati et coll.,9 paru dans un très récent numéro de la présente publication (Med Hyg no 2394 du 29 mai 2002) a abordé la question de la prescription de l'exercice physique en pratique médicale, sous l'angle de la lutte contre la sédentarité et les maladies qui lui sont associées. Il est évident qu'il n'y a guère de rapport entre les athlètes dont il est question ci-dessus et les patients que nous essayons de motiver pour qu'ils commencent ou reprennent une activité physique régulière en vue d'une amélioration de leur état de santé. Ces derniers n'auraient d'ailleurs aucune chance de rejoindre le niveau de performance qui est celui de sportifs d'élite n'ayant pratiquement jamais cessé de pratiquer un entraînement intensif au cours de leur vie. Il ne s'agit donc ni de les bercer d'illusions ni de leur fixer des objectifs irréalistes, mais de leur proposer des programmes tenant compte de chaque situation particulière.10
Au-delà de l'intérêt pour la compréhension des effets du vieillissement sur la performance physique, ces Masters Athletes, comme les appellent les Anglo-Saxons, peuvent représenter un standard ou une référence de ce qu'il est possible de faire, voire même une source d'inspiration pour celui ou celle que nous essayons de pousser à changer de mode de vie. Cela pourra au moins servir d'argument contre cette objection qui, si elle n'est pas expressément formulée, est souvent présente en pensée : «je suis trop vieux pour...». On dira simplement que plus la mise en route ou la reprise d'un entraînement est tardive dans la vie, plus les effets sont limités et sélectifs comme l'ont suggéré divers auteurs.11
Il existe dans la population un petit nombre d'individus qui parviennent à maintenir au cours de leur existence une capacité physique exceptionnelle. Ils ne sont pas représentatifs des patients que nous voyons à notre consultation, fut-elle de médecine du sport, mais ils constituent des modèles susceptibles de nous faire mieux comprendre les effets du vieillissement sur les mécanismes d'adaptation à l'exercice physique et pourraient nous aider à motiver nos patients sédentaires en leur montrant que l'âge ne saurait constituer une excuse.