Une vieille tradition française veut, sauf exception, que l'on ne filme pas ce qui se passe au sein des cours d'assises. Ceci explique deux choses : la survie des dessinateurs spécialisés dans le «croquis d'audience» et le parfum délicieusement suranné de ce spectacle édifiant, ouvert à tous mais pour autant interdit de télétransmission. Nous ne verrons donc pas sur nos écrans François Besse, qui fut dans les années 1970 un proche du célèbre Jacques Mesrine et qui répond aujourd'hui à Paris de quatre attaques à main armée en 1976 et 1978, de l'évasion de la prison de la Santé en compagnie de Mesrine le 8 mai 1978 et de l'organisation de l'évasion d'un complice de la prison de Rome en 1986. On ne filme pas Besse mais son visage éclate sur le papier des quotidiens. Regard profond autant que rieur, cheveux et barbe gris, traits d'ascète, austère veste noire à col Mao, chemise blanche immaculée ; voilà un homme de 58 ans dont la force intérieure fait qu'il est, auprès de nombreuses femmes, le profil même de la séduction masculine. Du moins le croit-on.Et puis, comme toujours, voilà la cour d'assises qui se plaît à jouer le rôle du divan collectif, de la plongée dans l'enfance pour sinon excuser du moins tenter de comprendre. Entrons, asseyons-nous et écoutons. François Besse a grandi dans une famille que l'on ne disait pas, alors, «recomposée» avec, au foyer, deux aînés du premier mariage de sa mère. Son demi-frère est «caractériel» à cause, dit-on, du suicide de son père en 1941. Marcelle, sa mère, rencontre Francesco Esposito, un réfugié républicain espagnol avec qui elle forme un nouveau couple. «Ils ont vécu ensemble et ils m'ont conçu» dit François, 58 ans plus tard. Marié et condamné à mort en Espagne, son père biologique ne peut pas le reconnaître, pas plus que sa sur Noëlle. Puis vient la biographie habituelle de ceux qui deviendront truands souvent, criminels parfois.A Cognac, l'enfant ne se plaît guère à l'école. On le tient pour «chétif», voire «rachitique». Mieux que tout, le voilà promu au rang d'insecte. C'est «la puce». D'adoré, Francesco le père va être haï. François fait des «bêtises» ? Francesco le frappe avec son ceinturon, le menace de son couteau. «Un jour, mon père a coupé la tête d'un coq m'appartenant, car il chantait au moment des informations», dira François aux jurés. Francesco, réfugié espagnol en France, a-t-il le droit de couper la tête de l'oiseau gaulois appartenant à son fils François ? Le modèle paternel vaut encore. François devient un apprenti électricien comme l'était Francesco en Espagne à l'âge où l'on ne passait déjà plus le certificat d'études primaires. Trois ans plus tard, il quitte le domicile familial «sur un conflit définitif» avec Francesco. On le retrouve à Strasbourg, chez sa demi- sur, travaillant à la chaîne dans une fabrique de sièges pour des automobiles. «J'ai connu des jeunes de mon âge, lycéens, sympas, mais ils avaient lu des choses
J'ai décroché. J'ai rencontré des marginaux qui sortaient de foyers de correction, je m'amusais plus. Un jour, j'ai fait un cambriolage» confie-t-il.Et puis voilà le bel été 1962 et son enfermement, pour la première fois, dans une maison d'éducation surveillée de l'est de la France. Souvenirs : «Nous étions laissés à nous-mêmes, avec un éducateur pour 40 jeunes issus du même milieu, fils d'ouvriers, pas de la grande société. Je me suis retrouvé avec des multirécidivistes à l'atelier à fabriquer des cartons pour bouteilles de bière, avec une loi qui n'est pas celle de la société normale. Arrivé avec un mandat de dépôt comme cambrioleur ça avait une valeur j'ai été accepté comme une mascotte, la notion d'enfermement a disparu. Quand on est ignorant de la vie, on ne prend pas les bonnes décisions, la preuve, c'est que j'en suis là aujourd'hui. Il faudrait encadrer de façon plus constante, avec deux éducateurs par jeune, et des petits groupes». La belle prescription !Le même jour, dans le beau pays de France, en phase avec les promesses de campagne du candidat Jacques Chirac, Dominique Perben, tout nouveau ministre de la justice, annonce qu'il entend au plus vite créer des «centres pour mineurs délinquants». «Ce que je souhaite, c'est faire un certain nombre d'expériences diversifiées car l'articulation entre le fait que le centre soit fermé et le fait que ce soit un centre éducatif n'appelle probablement pas une réponse uniforme» a-t-il fait valoir, en réponse à l'insécurité hexagonale et à l'indispensable lutte contre les «sauvageons». François Besse ? Il a appris le latin pour lire Virgile, a passé un diplôme d'ingénieur du son et étudie la philosophie. Aux jurés : «je me vois un avenir, je suis en train de le construire chaque jour. Chaque jour, je lis beaucoup et, de plus en plus, j'ai des choses à faire pour ceux que j'aime». Il a les larmes aux yeux quand il évoque sa fille de huit ans, Charlène, racontant qu'on lui avait interdit toute visite pendant plusieurs mois lors de son incarcération en 1994. Il n'a jamais revu son fils, âgé aujourd'hui de 32 ans et qui ne saurait pas qui est son père.A quoi tient l'enfance d'un chef, l'enfance d'un criminel ? Jean-Paul Sartre avait, en son temps, soutenu Besse et Mesrine dans leur lutte contre le total isolement carcéral ; on disait les QHS, pour «quartiers de haute sécurité»
François en rirait, aujourd'hui, s'il le pouvait. Rien n'a changé dit-il. Quand sortira-t-il ? La question ne le concerne guère puisqu'il «est libre». L'enfance d'un criminel ? Au moment où Besse séduisait la cour d'assises de Paris, à Nantes, un lycéen de 17 ans tuait de plusieurs coups de couteau une de ses camarades de 15 ans. Quinze jours plus tôt, il avait vu le film d'horreur «Scream» et «décidé de tuer quelqu'un». Les deux jeunes gens, qui faisaient partie du même groupe d'amis, s'étaient retrouvés vers 17 h 00 à Saint-Sébastien-sur-Loire, commune proche de Nantes, chez les parents de la victime. Ils sont ensuite partis se promener près du périphérique de la ville. Le drame s'est produit dans un quartier résidentiel, aux abords d'un terrain de football, à moins de 50 mètres des premières habitations et à 200 mètres du domicile de la victime. L'adolescent a reconnu avoir frappé son amie à plusieurs reprises avec son couteau avant de s'enfuir à l'arrivée d'un témoin. Arrêté chez ses parents quelques minutes après, il a dit avoir été inspiré par «Scream». Les enquêteurs ont retrouvé chez lui un sac contenant un modèle du masque utilisé par le héros du film et un couteau qui a servi au crime.«Scream» ? Cette trilogie du réalisateur américain Wes Craven met en scène des adolescents issus de milieux bourgeois qui sèment la terreur sur des campus en revêtant un masque effrayant pour poignarder leurs condisciples. L'assassin ? Un élève sans histoire d'une classe de seconde générale. «C'est un garçon sans aucun problème, je vous assure qu'on ne comprend pas», a déclaré la proviseur-adjointe du lycée. Cet élève sera-t-il conduit dans un centre fermé ? Lira-t-il un jour Virgile ?